Dans son livre "Et pourtant, je lui demandais pardon" récemment publié chez Hello Éditions, Agathe Moriaux, originaire des Hauts-de-France, partage son histoire d'emprise par un pervers narcissique et son parcours vers la libération. Ce témoignage poignant, fruit de dix ans d'écriture, se veut à la fois un exutoire personnel et un guide pour les autres victimes de tels bourreaux. (Première publication le 31/07/2024).
Attention, cet article aborde les thèmes des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Certains passages peuvent heurter la sensibilité des lecteurs.
Dès les premières pages de son livre, Agathe Moriaux, qui écrit sous pseudonyme, raconte comment elle est tombée sous l'emprise de son ex-mari, qu'elle a rencontré dans sa jeunesse. "Tout d'abord, il vous charme, avec de jolis mots, ceux que vous avez toujours rêvé d'entendre, des mots emplis de gentillesse, des compliments, vous donnant l'impression d'être valorisée, exceptionnelle, unique, et surtout, précieuse à ses yeux. (...) Ce début de relation vous apparaît si idyllique qu'il vous conforte dans l'idée que cet homme est l'élu de votre cœur, qu'il est l'homme de votre vie. Je vais pourtant me rendre compte, mais un peu tard, qu'il ne sera pas l'homme de ma vie, mais l'homme qui me pourrira la vie. À l'issue de cette période de 'Lune de miel', que décrivent toutes les victimes, le pervers narcissique vous fait vivre une période beaucoup plus austère."
Une période austère, marquée de violence physique, psychologique, sexuelle et financière. Elle raconte que son ex-mari la privait de sa carte bancaire et de son propre salaire, pour mieux asseoir sa soumission.
L'étau se referme progressivement sur elle, son ex-mari l'isole "Cillian* a lentement et subtilement éloigné le peu d'amis qu'il me restait, ainsi que toutes les personnes de son entourage qui lui semblaient réticentes à notre mariage. D'une part, en me démontrant qu'ils étaient nocifs pour moi, puisqu'ils en voulaient à mon argent ou à mes fesses et, d'autre part, en les manipulant, en leur expliquant que je ne voulais plus les voir ou que j'avais eu des propos insultants à leur égard, écrit-elle dans son livre. Et pourtant, je lui demandais pardon."
Violences physiques et sexuelles
Agathe raconte les viols conjugaux réguliers, y compris jusqu'au terme de sa première grossesse. "Au fil des années, chaque fois que je subissais un viol ou une torture, instantanément mon cerveau activait la dépersonnalisation et/ou la déréalisation. Ces systèmes d'autodéfense inconscients me permettaient de gérer l'état de stress intense que je ressentais, lorsque ma vie était en danger. Parfois, mon esprit se détachait de mon corps. Il semblait flotter au-dessus de moi, comme un observateur extérieur de ma propre existence". La brutalité devient son quotidien, sa normalité.
Elle égrène les exemples. "Les soirs où il sortait avec ses amis, je devais lui préparer une chemise et à nouveau parfaitement repasser, pour en retirer tous les plis. Un jour, mécontent du temps que j'avais mis, il a empoigné le fer et me l'a collé sur le visage."
Comment allais-je expliquer cette brûlure à mes collègues ? J'ai bien tenté de la cacher derrière mes cheveux, mais ils n'ont pas été dupes.
Agathe Moriaux,Victime de violences conjugales, autrice
Pourtant, son entourage garde le silence, par peur des représailles, ou par solidarité avec son ex-mari, qu'elle dit manipulateur et qu'elle décrit comme un pervers narcissique.
Violence envers les enfants
Au fil des années, Cillian devient de plus en plus violent avec leurs deux enfants. De la torture psychologique à la privation de nourriture, la violence devient physique envers eux. "Il avait, sans raison apparente, forcé Côme à se rendre dans le garage et s'était mis à l'étrangler, tout en lui donnant des coups de genoux."
Puis ce fut au tour de sa fille Ambre.
Cillian lui avait demandé de ramasser les déjections du chien dans le jardin. Comme elle ne s'était pas exécutée séance tenante, il a attrapé une énorme pelle, l'a remplie d'excréments et la lui a violemment jetée au visage.
Agathe Moriaux,Victime de violences conjugales, autrice
Par instinct de protection envers ses enfants, Agathe Moriaux parvient à s'enfuir avec eux, à déposer plainte contre son bourreau, qui est finalement relaxé au bout de 3 ans de procédure.
"Durant quelques minutes, la Cour s'est retirée, avant de revenir annoncer le verdict. À l'annonce de ce dernier, je suis restée sans voix, à la fois stupéfaite et dépitée. Le président venait de prononcer la relaxe de Cillian, de tous les chefs d'accusation, ‘au bénéfice du doute’. Que signifiait ce terme ? J'avais une nouvelle fois la sensation que personne ne m'avait crue ! Quel était l'intérêt de venir devant cette cour exposer ce qui nous faisait nous sentir coupables et honteux ? Quel était l'intérêt d'humilier mes enfants ? Quel était l'intérêt de ressasser nos tortures... si c'était pour le relaxer en doutant de nos propos".
La femme relate dans son livre son échange avec son avocate à la sortie de la salle d’audience, qui lui confie connaître le verdict avant même la plaidoirie du président du tribunal.
Lorsque l'on est en présence de cas similaires au vôtre, et qu'il s'agit de ce président [de tribunal], ses verdicts sont toujours les mêmes. En effet, il est de notoriété publique qu'il maltraite son épouse !
Avocate d'Agathe Moriaux, citée dans le livre
Aujourd’hui encore, même si elle nous dit ne plus avoir de colère envers la justice, elle aborde encore avec émotion son procès, et garde une certaine amertume. "Malheureusement, dans toutes les strates de la société, on retrouve des pervers. Mes enfants me disent que la justice nous a abandonnés. Mais il faut savoir avancer. Je garde de la colère vis-à-vis de ce président de tribunal, mais je ne veux pas mettre tout le monde dans le même panier", nous confie Agathe.
Comprendre et accepter pour se libérer
Aujourd'hui, la femme souhaite avancer, elle a entamé un long processus de reconstruction, effectué plusieurs thérapies et suivi une formation de psychopraticienne, dans une quête de compréhension. "Pour comprendre le comportement de mon ex-mari et ne plus me sentir responsable, coupable de ce qui s'était passé vis-à-vis de mes enfants." C'est encore avec la voix tremblante qu'elle évoque ses enfants, pour lesquels elle a pu trouver le courage de fuir.
Sa démarche thérapeutique l'a aidée à enrichir son récit et apporter des éclairages psychologiques et psychiatriques. Pour elle, l'écriture fut la première étape vers la guérison. "Ça m'a pris 10 ans entre le moment où j'ai commencé à écrire et la publication, c'était une thérapie. J'avais besoin de coucher sur papier mon vécu pour me dire 'je n'oublierai pas, mais au moins, j'arrêterai de le ressasser'."
Reconnaître les pervers narcissiques
Plus que le récit de sa vie et de celle de ses enfants, ce livre se veut comme un guide pour reconnaître les signaux d'alerte d’un pervers narcissique, donner des clés aux victimes pour fuir, et aux proches de victimes pour mieux accompagner celles-ci à échapper à leur bourreau et à déposer plainte. "Trop de victimes meurent en demandant pardon à leur bourreau, sans savoir pourquoi elles doivent lui demander pardon !"
Parmi les signes pour reconnaître un pervers narcissique, elle cite : le besoin de pouvoir, la mégalomanie, le besoin d'attention, d'admiration, de reconnaissance, l'utilisation de la violence psychologique, parfois les violences physiques, le double visage, et bien d'autres caractéristiques. Elle détaille également le profil d'une victime, son contexte de vie, les différentes violences endurées (psychologique, sexuelle, physique, économique, judiciaire, spirituelle, etc).
Aujourd'hui, en parallèle de son métier, Agathe tente de sensibiliser, dans l'objectif de mieux accompagner les victimes. "J'essaie de rencontrer un maximum de personnes, que ce soit dans des associations ou auprès de travailleurs sociaux, pour essayer d'en parler au maximum pour sensibiliser pour leur faire comprendre ce que c'est qu'un pervers narcissique comment on peut identifier comment on peut se rendre compte qu'une personne en est victime". Elle a fait de ses blessures un combat.
*Tous les prénoms ont été modifiés par l'auteur