On la pensait évacuée totalement : sur la Lande, communément appelée la "Jungle" de Calais, des réfugiés ont de nouveau établi leur point de chute. Quelques affaires, des couchages de bric et de broc, faut-il y voir le renouveau du camp qui a rassemblé plus de 7000 personnes l'automne dernier ?
Ce mardi après-midi, nos équipes ont pu suivre un groupe de réfugiés érythréens et éthiopiens croisés dans les rues de Calais. Ils nous ont emmené jusqu'à leur point de fixation, pour dormir, la nuit : le terrain de l'ancienne "Jungle", laissé à l'abandon. Ils y ont déposé les quelques affaires qu'il leur reste, à peine quelques sacs de couchage posés dans la végétation sèche. "La vie ici est terrible", raconte l'un d'entre eux. "Mais si je vais ailleurs, sur la route, la police va me prendre, on va me m'emmener au poste. Là-bas, si j'ai faim, on ne va pas me répondre. Si je dois aller aux toilettes, c'est compliqué", poursuit-il en anglais.
La plupart sont mineurs. Certains sont blessés. Lui raconte avoir été blessé à la main lors d'une interpellation de police. Alors depuis, ils évitent le centre-ville. L'objectif : c'est l'Angleterre. "On essaye tous les jours et un jour on y arrivera", ajoute un autre. "Un jour on arrivera à passer en Angleterre", souffle-t-il, frigorifié. "Et je sais que depuis Calais c'est possible." Eux n'ont pour seul objectif que de passer la frontière, la Manche, mais la traversée est toujours aussi difficile, alors ils attendent ici, sur l'ancien camp de réfugiés. Certains sont là depuis des mois et n'ont pas connu la "Jungle", d'autres des années.
Déni de réalité ?
"Interdit au public", indique un panneau à l'entrée du terrain de 400 hectares. Officiellement, ici, personne ne passe, personne ne se repose, pas même quelques heures. Mais les réfugiés qui veulent passer en Angleterre n'ont plus d'autre choix dans le Calaisis.L'objectif "Zéro migrant" à Calais, fixé par la Préfecture, a impliqué la fermeture de toutes les structures d'accueil de la Ville. Le 31 janvier, Bruno Le Roux et Emmanuelle Cosse, confirmaient "la fermeture de tout dispositif sur la lande de Calais" afin "de ne pas en faire un point de fixation". Des équipes de policiers sont chargées de patrouiller dans le Calaisis pour éviter l'installation de migrants dans des camps sauvages ou des squats.
La vie après le démantèlement
Les autorités pensaient avoir trouvé la solution la plus radicale et définitive : celle de l'évacuation totale de la "Jungle" de Calais. Le démantèlement avait commencé en septembre 2016 pour s'achever le 24 octobre dernier. Les réfugiés qui y avaient trouvé refuges étaient alors envoyés en Centre d'Accueil et d'Orientation (CAO) ou placés dans des centres de rétention administrative.Oubliés, disparus, les migrants de Calais. Les voilà officiellement dispatchés un peu partout en France, mais pas à Calais. Fin janvier pourtant, des associations sonnaient l'alerte. "Ils dorment sous les ponts, dans les buissons... Par -9 degrés ressentis, c'est un scandale et une catastrophe", avait déclaré Jean-Claude Lenoir, de l'association Salam, le 27 janvier dernier.
A ce moment là, on parle d'une centaine de réfugiés, peut-être 200, visibles en journée dans les rues de Calais mais sans aucune prise en charge de l'Etat pour la nuit. Le 12 janvier, le sous-préfet du Pas-de-Calais, Vincent Berton, déclarait à nos confrères de Nord littoral : "il y a encore des migrants qui sont trouvés à bord des camions ou contrôlés par les forces de l’ordre. Mais il n’y a ni campement, ni squats dans le Calaisis".
A l'époque, nous avions réalisé un reportage dans les rues de Calais, à la rencontre de réfugiés revenus des CAO :
Objectif : Angleterre
Les associations d'aide aux migrants étaient persuadées du retour des migrants dans le Calaisis, car malgré l'ouverte de centres dans plusieurs régions de France, l'objectif de la plupart des réfugiés de Calais est bien de rejoindre l'Angleterre pour y retrouver de la famille par exemple. Une situation qui pousse beaucoup d'entre eux à prendre des risques, même les enfants, comme à Dunkerque où l'on a retrouvé une douzaine de réfugiés, dont des mineurs, dans un camion frigorifique.
Tandis que l'hiver est toujours bien installé, ainsi que les températures qui vont avec, ils demandaient donc de quoi accueillir dignement les personnes à la rue, même de manière ultra-provisoire. Une évidence pour les bénévoles, qui ne semble pas avoir été entendue par les autorités. A Calais, interdiction stricte est faite d'aider de quelques manières que ce soit les réfugiés de passage.
Le Secours Catholique poursuit ainsi une procédure judiciaire à rebondissements depuis que le Mairie a bloqué l'accès de ses locaux avec une benne à ordures, il y a quelques jours. La muncipalité reprochait à l'association de laisser des migrants y dormir, après avoir retrouvé des sacs de couchage. L'association avait retorqué qu'ils ne faisaient qu'attendre l'ouverture des locaux une heure ou deux.