Suppression de 103 emplois à AGCO : la direction se défend d'avoir trahi ses engagements, plusieurs sources évoquent un climat de peur

Après avoir annoncé un plan social menaçant une centaine d'emplois à Beauvais, la direction d'AGCO avait essuyé des critiques de plusieurs élus locaux, car elle s'était engagée à créer des emplois en contrepartie de la construction d'un pont reliant deux de ses sites de la ville. Elle indique aujourd'hui avoir tenu ses engagements. D'autres sources dénoncent les pressions de la direction.

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L'enchaînement des événements a fait réagir. Le 3 octobre dernier, l'entreprise AGCO, qui emploie 3 000 personnes à Beauvais, annonce un projet de suppression de 103 postes sur ses sites Massey-Ferguson. Les élus de l'opposition locale dénoncent alors une trahison : AGCO était censé créer des emplois en contrepartie du financement par l'agglomération du Beauvaisis d'un pont reliant deux de ses sites, inauguré en décembre 2023.

Mais la direction de l'entreprise se défend d'avoir trahi ses engagements. "J'avais promis, en 2020, la création de 185 emplois supplémentaires. Au 31 août 2024, nous avons créé 320 emplois dont 256 à Beauvais. En résumé, nous avons maintenu notre promesse" indique Thierry Lhotte, président d'AGCO France. À l'époque, nos reportages évoquaient une promesse de 300 emplois à Beauvais, mais aucun document officiel ne permet aujourd'hui de vérifier la teneur des échanges entre l'entreprise et l'agglomération, ni leurs engagements mutuels.

"Nous n'avons pas touché 13 millions d'argent public" ajoute Thierry Lhotte, soulignant que le pont Blaise Pascal profite à l'ensemble des automobilistes de l'agglomération. Une vision également défendue par la présidente du Beauvaisis, Caroline Cayeux. Question de définition, donc : l'entreprise n'a en effet pas touché de subvention directe.

Lors de l'inauguration du pont, la présidente de l'agglomération justifiait toutefois la conservation d'un passage à niveau ferroviaire jugé dangereux en indiquant que "les délais de réflexion de la SNCF étaient devenus insupportables pour l'entreprise". S'il ne s'agit pas d'un "pont AGCO", cette prise de position montre que l'entreprise était très impliquée dans le chantier, qui devait lui permettre d'augmenter sa productivité pour créer ces fameux emplois.

Crise ou délocalisation ?

Cependant, le 3 octobre dernier, un plan social menaçant 103 emplois est donc annoncé aux salariés d'AGCO. "AGCO est un regroupement de diverses compagnies par acquisition, AGCO ne s'est jamais vraiment structuré en tant que groupe et nous avons des duplications dans beaucoup de fonctions support, constate Thierry Lhotte. Ces duplications se sont trouvées encore plus mises en exergue au moment où l'industrie du machinisme agricole s'écroule, de la plus belle manière depuis dix ans. Donc, il nous est apparu important de lancer ce projet de restructuration en ce moment."

AGCO est en effet un géant de la production de tracteurs. Le groupe rassemble à Beauvais Massey-Ferguson, "une marque leader sur le marché mondial des machines agricoles", peut-on lire sur son site. Mais également GIMA, le Groupement international de mécanique agricole, qui fabrique à Beauvais des transmissions et des composants pour les tracteurs. AGCO est donc client et actionnaire principal de GIMA, qui équipe les tracteurs Massey-Ferguson.

Au fil des ans, AGCO s'est considérablement agrandi à Beauvais. En 2012, AGCO ouvre l'usine Beauvais 2, investissant 15 millions d'euros pour la mise en exploitation d'un site de quatre hectares. En 2017, il acquiert 8 hectares et un bâtiment de 30 000 m². En 2019, le rachat de l'ancien site Fromeri, fabricant de glaces du groupe Nestlé qui a fermé ses portes, est acté. En 2021 et 2022, le groupe fait état de bénéfices records, malgré des périodes de chômage technique imposées sur plusieurs sites en raison de problèmes dans l'approvisionnement de composants électroniques.

C'est par visioconférence que tout bascule. Le 3 octobre, le PDG d'AGCO-Massey Ferguson évoque une contraction du marché pour justifier le projet de supprimer ces 103 emplois. C'est le bureau d'étude (service engineering) qui est principalement touché, avec 59 postes menacés sur 180, ainsi que le service informatique, où 10 postes sur 25 devraient être supprimés.

Le PDG va loin dans cette visio, il dit que ceux des salariés qui vont perdre leur emploi auront la tâche difficile de devoir former leurs remplaçants.

Thierry Aury, conseiller municipal d'opposition (PCF) à Beauvais

Seulement, des salariés ayant assisté à la visioconférence confient à Force ouvrière que le PDG a parlé d'offshoring de ces fonctions, c'est-à-dire de délocalisation vers l'Inde et le Brésil. En juin 2024, AGCO a en effet annoncé l'ouverture d'un centre numérique à Pune en Inde, il en possède déjà un autre à Bangalore. Le salarié indique également à Force ouvrière que son service d'engineering sous-traite déjà certaines tâches en Inde. Dans ce même témoignage publié sur la page Facebook du syndicat, ce salarié indique enfin que les employés d'AGCO ont comme consigne de "ne pas parler à la presse".

Thierry Aury, conseiller municipal d'opposition (PCF) à Beauvais, est, lui aussi, en contact avec des salariés d'AGCO. "Le PDG va loin dans cette visio, il dit que ceux des salariés qui vont perdre leur emploi auront la tâche difficile de devoir former leurs remplaçants, en télétravail, dans d'autres pays où la main d'œuvre est moins chère" relate-t-il. "Il n'y a pas de délocalisation" répond pour sa part Thierry Lhotte.

"Rien n'est acté" pour les suppressions de poste, mais tout n'est pas rose

Concernant ce plan social, Thierry Lhotte se veut rassurant. "Il s'agit d'un projet et d'une négociation qui a lieu de manière constructive et respectueuse. Rien n'est acté précisément aujourd'hui, nous sommes dans la phase de discussion avec nos CSE, CCSE et employés" souligne-t-il. Des discussions qui se dérouleraient donc dans de bonnes conditions.

"Je pense malheureusement qu'aucun délégué AGCO ne s'exprimera par peur des représailles de la direction, nuance un salarié du groupe, proche des syndicats et qui a demandé à rester anonyme. La direction a mis la pression aux délégués, pour ne pas parler à la presse, arguant qu'il faut avoir une union pour que le PSE [ndlr : le plan de sauvegarde de l'emploi] se passe bien. Cette direction pratique le management de la peur depuis plusieurs années."

On a une inquiétude, car ils ont le bras très long, on ne sait jamais jusqu'où ils peuvent aller.

Employé d'AGCO

"Lors de la visioconférence avec les 700 salariés, on leur a dit de ne pas aller voir leurs représentants du personnel et de faire confiance à leur encadrement. Et surtout, de ne pas parler à la presse. Il y a une chape de plomb très lourde chez AGCO" indique pour sa part Thierry Aury.

"On a une inquiétude, car ils ont le bras très long, on ne sait jamais jusqu'où ils peuvent aller. Ce n'est jamais simple, mais là, c'est très compliqué" insiste une autre source syndicale, qui souhaite, elle aussi, rester anonyme. De quoi mettre en doute le climat d'apaisement qu'évoque la direction.

Ce n'est pas le premier plan social du groupe cette année. Depuis le mois de mai, une trentaine de salariés de GIMA luttent pour obtenir un reclassement. Il s'agit de l'équipe de weekend de l'entreprise spécialisée dans les transmissions.

Les solutions qui leur ont été initialement proposées furent considérées comme inacceptables, même par la présidente de l'agglomération du Beauvaisis, qui l'indiquait lors du conseil communautaire du 31 mai dernier. "Les dirigeants, je leur demande des comptes puisqu'en effet, il y a eu une aide publique, il me paraît normal qu'ils rendent des comptes, disait-elle alors. Ils m'ont assuré qu'il n'y avait pas de licenciements à ce jour, qu'il y avait en effet quelques reclassements."

Le temps le dira, car les négociations sont toujours en cours, mais pour l'heure, aucun reclassement acceptable n'a été proposé à ces salariés lors de la dernière réunion du 15 octobre, peut-on lire sur la page Facebook "FO GIMA". Les représentants syndicaux comptent maintenant sur la DREETS, le service de l'État chargé de la vie des entreprises, pour mettre la direction face à ses responsabilités. Une attitude qui a de quoi inquiéter concernant le nouveau plan social.

Un nouveau plan social à venir ?

Plusieurs sources évoquent enfin une autre vague de licenciements dans les mois à venir, qui toucherait cette fois les fonctions de production du groupe, appelées manufacturing. Notamment chez GIMA. "Il y a du monde en trop, ce ne sont pas des théories de syndicaliste, c'est la direction qui nous l'a dit" indique une source syndicale. "Le manufacturing est en sureffectif depuis trois ou quatre ans, confirme un salarié d'AGCO. La deuxième vague de licenciements va donc toucher ce service."

Thierry Aury souligne enfin que dans l'angle mort de ces licenciements, le groupe se sépare de ses intérimaires. "Les contrats ne sont plus renouvelés, explique l'élu PCF. Cela ne fait pas de bruit, mais chez GIMA, il n'y en a déjà plus. Côté AGCO, je crois qu'il en reste environ 250, mais je pense qu'ils ne seront pas renouvelés."

L'ampleur des réductions d'effectifs pourrait donc être bien plus grande qu'annoncée chez le géant du machinisme agricole implanté à Beauvais. 2025 pourrait s'annoncer encore plus difficile que cette année 2024 mouvementée.

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