Témoignage. Les services de soins palliatifs après 2 ans de Covid-19 : "On ne doit plus tenir à distance les familles des patients en fin de vie"

Publié le Écrit par Alix Guiho

Le Dr Marie-Josée Lasseron est médecin au service de soins palliatifs au centre hospitalier de Beauvais. Elle revient avec émotions sur la manière dont les équipes de soins palliatifs ont été contraintes d'accompagner les patients en fin de vie pendant la crise sanitaire.

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Marie-Josée Lasseron est médecin au service de soins palliatifs du centre hospitalier de Beauvais. Son service mobile est là pour accompagner au mieux les personnes atteintes de maladies graves engageant le pronostic vital. L’équipe de cinq personnes a été beaucoup sollicitée avec le Covid. Marie-Josée Lasseron revient sur deux années de crise sanitaire, difficiles évidemment pour les patients, les familles, et aussi pour les soignants, éprouvés.

En quoi a-t-on eu encore plus besoin des soins palliatifs pendant cette période de crise sanitaire ?

Marie-Josée Lasseron : "La maladie du Covid-19 était nouvelle, décrite comme particulièrement mortelle et nous nous attendions à beaucoup de malades qui n’allaient pas bénéficier de réanimation et allaient mourir en faisant une détresse. Nous avions appris cela de l’expérience du Grand Est. Nous savions aussi que nous n’allions pas pouvoir utiliser les traitements utilisés habituellement car nous étions en flux tendu sur les médicaments. Il a fallu former aussi des personnes à la prise en charge de la fin de vie en détresse. Il a fallu aussi accompagner des équipes qui prenaient en charge des malades potentiellement contagieux, et des patients mis à distance très angoissés."  

Comment accompagner la fin de vie en tenant la famille et les proches à distance à cause de la contagiosité du Covid-19 ? 

Marie-Josée Lasseron : "Nous devions faire cela avec des contraintes sanitaires et humaines qui étaient nouvelles. Moi, personnellement j’ai toujours tenu la main des malades, je me suis toujours rapprochée d’eux. Ce n'est pas possible d’accompagner à deux mètres de distance. C’était difficile de travailler contre nos valeurs, en tenant à distance les familles. C’était inhumain. Aucun d’entre nous ne peut dire qu’il est content d’avoir accompagné une personne en fin de vie en tenant la famille à distance. On est tous profondément heurtés d’avoir eu l’obligation de faire ça. Ce n'était pas notre choix, c’était une obligation. Et j’espère que nous avons appris collectivement que c’est quelque chose qu’on ne doit plus refaire. Je ne sais pas si notre société l’a compris, mais il me semble que c’est très important. Il faut comprendre que l’accompagnement, c’est un soin, ce n’est pas un plus qu’on peut retirer si ça ne va pas. Il y a des patients vulnérables qui sont incapable d’utiliser un téléphone portable, une tablette, de communiquer avec leurs proches à distance. Ils se retrouvent totalement isolés. C’est indispensable qu’il y ait des proches. Et de toute façon, un téléphone ne donne pas de bisous."

Comment le service a-t-il vécu le "tri" des patients ?

Marie-Josée Lasseron : "On n’a pas fait du tri, parce qu’on n’avait pas les ressources. Ce n’est pas comme ça que nous on l’appelle, ce n’est pas un beau mot, le "tri". On a pris des décisions médicales réfléchies, argumentées sur ce que la réanimation aurait pu apporter comme bénéfice au patient ou sur l’absence de bénéfices que l’on attendait. Et ça, il faut à la fois le réfléchir et que les équipes le comprennent, pour qu’elles n’aient pas l’impression qu’on abandonne. On s’attachait à comprendre si elles avaient bien compris pourquoi on n’allait pas jusqu’à l’intubation, jusqu’au transfert en réanimation. Le soutien, c’était entre nous, et c’était la population qui se confinait pour nous aider, pour éviter que trop de malades n’arrivent."

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