Destin de femmes, une association, située en plein cœur du quartier Saint-Jean à Beauvais, se bat contre le harcèlement scolaire. Régulièrement, elle reçoit des enfants et adolescents victimes, souvent isolés. Comme Aya, victime d’agression dans son collège depuis la rentrée et qui a accepté de témoigner pour briser le silence.
Depuis la rentrée, Aya vit dans la peur. Scolarisée en troisième, au collège Charles Fauqueux, à Beauvais, elle est victime de harcèlement physique et psychologique de la part d’un groupe de garçons de sa classe. Les insultes et les brimades sont devenues son quotidien dès qu’elle entre dans l’établissement. "Ils me crient 'Attention, la grosse vache arrive', 'Sale taureau', ils m’appellent l’extincteur. Certains se désinfectent les mains après m’avoir approchée. Sur les réseaux sociaux, je reçois des messages dégoutants", raconte Aya, qui tente de retenir ses larmes. La jeune fille accepte de témoigner à visage découvert car elle ne veut plus se cacher et souhaite libérer la parole. Elle nous livre les détails qu'elle a cachés durant de longs mois.
Des agressions verbales et physiques
Des agressions verbales qui deviennent physiques avec le temps. "Un élève m’a jeté du sable dans le dos et un autre, un jour, m’a claqué la porte de la classe sur le visage. J’avais un hématome sous l’œil et je saignais de la bouche. Il n’a pas été sanctionné parce qu’il s’est défendu en disant qu’il ne l’avait pas fait exprès", explique l’adolescente.
J’ai mis du temps à en parler parce que j’avais honte, j’avais peur que ça empire et je ne me sentais pas soutenue
Aya, victime de harcèlement scolaire
Lorsque nous rencontrons la jeune fille, dans le local de Destin de femmes, au cœur du quartier Saint-Jean, elle est entourée de sa mère, de sa sœur, de sa grand-mère et de plusieurs femmes de l’association qui la soutiennent depuis qu’elle a osé parler de sa situation. Mais Aya n’a pas toujours été soutenue. "Je suis exclue depuis la sixième. Mais cette année, c’est la pire. J’ai mis du temps à en parler parce que j’avais honte, j’avais peur que ça empire et je ne me sentais pas soutenue. Quand j’en parle aux professeurs, ils s’en fichent. Les élèves ne sont pas sanctionnés", ajoute-t-elle. Ces élèves, ce sont quatre garçons, dont un meneur qui terrorise Aya et d’autres élèves, "les plus discrets", précise Aya qui se désole de l’absence de réaction de ses professeurs.
Des victimes toujours plus jeunes
Si le ministère de l’Éducation nationale a pris en compte ce phénomène de harcèlement scolaire, les victimes se sentent toujours isolées. Le harcèlement scolaire se définit comme une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique au sein de l’école. Elle est le fait d’un ou de plusieurs élèves à l’encontre d’une victime qui ne peut se défendre. Lorsqu’un enfant ou un adolescent est insulté, menacé, battu, bousculé ou reçoit des messages injurieux à répétition, on parle de harcèlement.
D’après une enquête menée, en 2017, par le ministère de l’Éducation nationale, en CM1-CM2, 2,6 % d’élèves subissaient une forte pression qui pouvait être apparentée à du harcèlement, au collège, 5,6 % d’élèves en étaient victimes et au lycée, 1,3 % d’élèves.
Depuis la rentrée 2022, l’Éducation nationale a mis en place un plan de prévention du harcèlement dans les écoles élémentaires et les collèges publics : le programme Phare. Il s’agit de prévenir les phénomènes de harcèlement avec, notamment, la mise en place de formations destinées aux enseignants et au personnel.
Aya n’a pas eu la chance d’être soutenue par ses professeurs. Elle raconte même que l’un d’entre eux a participé à ces brimades. "J’avais proposé de réaliser un court-métrage, en arts plastiques, sur le harcèlement scolaire, pour en parler, pour que ça s’apaise. La prof a ajouté que je jouerai bien la victime."
Un isolement des victimes
Après des mois de harcèlement, Aya, ne tient plus. Lors d’un rendez-vous au collège avec sa mère, elle craque et révèle les agressions. Sa mère sollicite alors des entretiens à l’administration du collège pour faire cesser ce harcèlement. "L’établissement n’a pas réagi. Ils ont donné quelques heures de colle aux auteurs, mais pour moi, ce n’est pas une sanction. Par contre, ils ont mis en place une mesure compensatoire pour exclure ma fille du collège pendant une semaine, pour la protéger. Mais rien aux harceleurs. Ils m’ont dit : 'On ne peut pas exclure 15 personnes pour une seule personne victime. C’est injuste !'", réagit Zahira, la maman d'Aya.
Un élève de sa classe lui a dit : "Va te suicider, c’est mieux pour toi".
Zahira, maman d'Aya
Depuis, Zahira dort mal, elle est inquiète pour sa fille. "Les enfants qui subissent le harcèlement vivent un cauchemar, surtout si les parents ne les soutiennent pas. Et pour les parents, c’est très dur de voir son enfant en souffrance. Aya m’a raconté aussi qu’un élève de sa classe lui avait dit : 'Va te suicider, c’est mieux pour toi'. Heureusement, elle me l’a dit tout de suite. Parce que ça va vite. Il y a beaucoup de suicides d’adolescents. Alors on reste fort et j’essaie de donner cette force à ma fille", insiste la maman.
Pour Aya, se confier à sa mère a été un soulagement. "C’est difficile de supporter les moqueries 15 fois dans la journée. Je n’ai pas de grand frère, ni de grande sœur. Il n’y a que ma mère pour me défendre. Il n’y a qu’à elle que je peux me confier", témoigne Aya, en pleurs.
Une association de soutien aux victimes
La mère et la fille ont trouvé du réconfort et du soutien auprès de Fatiha Bouzekri, la fondatrice et présidente de l’association Destin de femmes. C’est auprès d’elle qu’Aya a trouvé une oreille attentive avant de se confier à sa mère. Situé au pied des bâtiments du quartier Saint-Jean, le petit local de l’association est ouvert à tous. Mais ce sont surtout des femmes que nous retrouvons autour d’un thé à la menthe, ce matin-là. Accompagnées de leurs enfants, elles se rendent régulièrement dans ce lieu pour échanger, se soutenir et s’apporter des conseils.
Fatiha Bouzekri a fondé cette amicale en 2005 pour lutter contre les violences faites aux femmes. Cette année, elle a décidé de s’emparer du phénomène du harcèlement scolaire en y associant les parents. "Le harcèlement est une réelle souffrance pour les enfants. Je reçois beaucoup de jeunes victimes qui refusent d’en parler à leurs parents parce qu’ils ont peur des conséquences. C’est aussi aux parents de s’emparer de ce problème. Je les sensibilise pour qu’ils se responsabilisent", explique Fatiha.
Les parents des harceleurs doivent faire le nécessaire pour corriger leurs enfants, les punir, les surveiller, leur faire comprendre que le harcèlement est un délit puni par la loi.
Fatiha Bouzekri, présidente de l'association Destin de femmes
Chaque semaine, elle rencontre des parents de victimes, mais aussi d’auteurs de harcèlement. "Les parents des harceleurs doivent faire le nécessaire pour corriger leurs enfants, les punir, les surveiller, leur faire comprendre que le harcèlement est un délit puni par la loi. Malheureusement, beaucoup de parents sont dépassés et n’ont plus d’autorité sur leurs enfants. Ici, on les oriente vers des structures pour les aider. Et il faut aider les victimes à briser le silence. C’est déjà un premier pas. Les enfants doivent apprendre à dire ce qu’ils subissent. Le reste, c’est le travail des adultes", rappelle Fatiha.
Pour mettre en lumière ce fléau, l’association Destin de femmes a lancé "le marathon scolaire". De juin à décembre, Fatiha Bouzekri met en place des actions de sensibilisation. Pour commencer, un ciné-débat a été organisé autour du film, Un monde, de Laura Wandel, sur le harcèlement d’un jeune garçon à l’école. 177 élèves de collèges et lycées de Beauvais y ont participé. Des policiers en tenue ont été invités pour exposer les droits et les devoirs de chacun. Un tournoi, puis une sortie dans un parc d’attraction à la rencontre des visiteurs et enfin une action dans le quartier Saint-Jean devraient suivre. "En décembre, nous nous retrouverons avec les jeunes qui ont participé pour savoir si toutes les actions ont eu un effet. Nous reparlerons de tout ça. L’objectif est de bien préparer une rentrée apaisée", conclut Fatiha.
Pour Aya, l’année scolaire n’est pas terminée. Il reste encore une semaine à tenir avant le brevet et les vacances. Avec sa mère, elles espèrent que le climat s’apaise.
L'inspecteur académique du département de l'Oise, sollicité par nos soins, a refusé de répondre à notre demande d'interview.