Le crash d'Ermenonville dans l'Oise, le 3 mars 1974, a coûté la vie à 346 passagers. C'est la catastrophe aérienne la plus meurtrière de l'histoire sur le sol français. Pourtant, si on s'en tient à de nombreux rapports, il aurait pu être évité. Retour sur les dernières heures avant le drame et sur l'histoire d'un constructeur d'avions qui courrait après le profit.
"La première chose que je vois, c'est un bras, une main et surtout les galons de commandant pendus dans l'arbre." Francis Maillart, journaliste, en a gardé un souvenir précis et détaillé. En 2017, au micro de France 3 Hauts-de-France, il racontait l'horreur : celle du crash d'avion dans la forêt d'Ermenonville, près de Fontaine-Chaalis dans l'Oise, le 3 mars 1974, il y a 48 ans.
Plongée dans l'un des accidents les plus meurtriers de l'histoire de l'aviation civile mondiale.
Une heure et vingt-huit minutes
Ce jour-là, l'avion du vol Turkish Airlines 981 atterrit en provenance de l'aéroport d'Istanbul-Atatürk vers celui de Paris-Orly à 11h02, heure locale, pour une courte escale, selon le Rapport final de la Commission d'Enquête. Au cours de sa première étape, il transportait 13 membres d'équipage et 167 passagers. Parmi eux, 50 débarquent à Paris.
216 nouveaux passagers montent à bord. La majorité était initialement inscrite dans des vols de la compagnie British Airways. Mais à cause d'une grève du personnel, ils sont reportés sur celui de Turkish Airlines. Nombre d'entre eux sont des supporters de l'équipe d'Angleterre de rugby qui ont assisté au match contre la France : les deux pays avaient fait un score nul la veille.
Une heure et vingt-huit minutes plus tard, à 12h30 précises, l'avion décolle en direction de l'aéroport Heathrow de Londres, sa destination finale. Il prend la direction de l'est vers Meaux avant de tourner vers le nord, le but étant de ne pas survoler Paris. "Contrairement à plusieurs rumeurs, l'avion n'était pas plein à craquer", affirme un site internet spécialisé dans l'histoire et l'actualité de l'aéroport Paris-Orly tenu par un régulateur de trafic aérien.
Au sein de l'appareil, on compte 11 membres de l'équipage et 335 passagers de 12 nationalités différentes : 176 Britanniques, 44 Turcs, 48 Japonais, 25 Américains, 16 Français mais aussi des Brésiliens, des Argentins ou encore des Indiens.
77 secondes de crash
"Trois ou quatre secondes avant 12h40, le bruit de la décompression est entendu dans l'enregistrement des conversations du cockpit", peut-on lire dans le rapport d'enquête. Le copilote déclare en turc que "la carlingue a éclaté" et l'alarme sonore "pressurisation" se déclenche. À cet instant, l'avion est déjà à 12 000 pieds, soit 3 657,6 mètres au-dessus du sol.
Quelques minutes plus tard, à 12h40, le contrôleur aérien qui suit le vol TK 981 entend "une émission confuse, mêlant un fort bruit de fond, des paroles en langue turque et les signaux d'alarme de pressurisation puis de survitesse". Dans les airs, une violente explosion vient d'avoir eu lieu. Les deux rangées de sièges les plus à l'arrière sont directement aspirées à travers le plancher de la cabine et les six passagers assis sont soufflés par un trou sur le côté du fuselage. Environ 77 secondes plus tard, l'avion s'écrase à 700 km/h dans la forêt, près du lieu-dit Le Bosquet Dammartin. Personne ne survit.
Dominique Godard, journaliste venu prêter main forte aux secours sur place, aussi interrogé en 2017 par France 3 Hauts-de-France, se demande toujours ce qui s'est "passé dans la tête de ces passagers à ce moment-là ? Sachant que c'était la fin. L'équipage, j'entends aussi, bien évidemment. Ils étaient encore davantage au fait que c'était fini."
Le capitaine Lannier et ses hommes savaient que c'est lors de la première heure après un accident que des vies peuvent être sauvées : quand le sang qui coule peut être contenu et que les couvertures peuvent contrecarrer le choque. Mais cette fois-ci, ils ne savaient pas que les premiers secours n'auraient aucune utilité.
Paul Eddy, Elaine Potter et Bruce PageExtrait du livre "Destination Disaster: From the Tri-Motor to the DC-10 - The Risk of Flying" (1976)
"On pensait que c'était une bombe"
Des habitants des alentours qui y ont assisté pensent dans un premier temps qu'il s'agit d'une bombe. "Un gros morceau est tombé et nous ne savions pas de quoi il s'agissait", explique l'un d'eux dans un reportage tourné au moment du crash. Très rapidement, d'autres "morceaux" tombent du ciel. "On pensait que c'était une bombe alors nous sommes tombés par terre, relate-t-il. Trois autres morceaux sont tombés. On ne savait pas si c'était des cadavres, des chaises ou des morceaux d'avions." Quelques instants plus tard, ils aperçoivent "le premier cadavre", celui d'une femme et "deux hommes" identifiés comme japonais. "Ensuite, il y avait une chaise avec une passagère attachée", elle aussi décédée.
En plein dimanche ensoleillé ce jour-là, beaucoup de touristes sont présents dans la forêt d'Ermenonville. "Je sais qu'il faisait beau et qu'il y avait du soleil, c'était une très belle matinée", se rappelle Francis Maillart, venu couvrir la catastrophe pour FR3. À cause de l'affluence de promeneurs, les secours ont des difficultés à s'approcher du lieu de l'accident. Sur place, l'horreur est palpable : "ce qui m'a impressionné, c'est que par endroit, il y avait de la fumée, c'était gris, tout était gris, pas brûlé noir". Les arbres aux alentours sont calcinés et un bout de la forêt est décimé.
Dominique Godard ressent "une certaine torpeur" en se retrouvant face à la scène du crash. Il se voit encore arriver, mettre les mains dans ses poches et se dire "qu'est-ce que je vais faire ?" L'ampleur des dégâts est faramineuse. Francis Maillart reste marqué par "une grande tente en hauteur et tous les corps, tous les sacs qui arrivaient dans cette tente". La plupart d'entre eux ne sont pas entiers. Parmi les 346 passagers, seulement une vingtaine est identifiée comme intacte. 20 000 bouts de corps sont collectés par les secours. Certains corps sont même retrouvés 10 km plus loin, dans la commune de Saint-Pathus en Seine-et-Marne.
Un défaut de conception en cause
Au départ, l'hypothèse d'un attentat fomenté par des extrémistes d'origine arménienne est mise en avant. Mais très rapidement, celle d'une explosion accidentelle est retenue. L'enquête finit par aller dans ce sens après maintes investigations. "Le facteur initial de l'accident a été l'ouverture et l'éjection en vol de la porte cargo arrière", note le rapport d'enquête.
Il met également en évidence "un défaut de conception du système de fermeture des portes de soute" qui avait été signalé aux compagnies, mais n'a pas été réparé. La porte de la soute arrière a également été mal fermée par le personnel au sol, qui n'en avait aucune idée car celle-ci paraissait verrouillée.
L'enquête confirme l'ouverture en plein vol de cette porte, "amenant la dépressurisation de la soute" et, "sous l'effet de la différence de pression, l'affaissement du plancher dans lequel passaient les circuits de commande de vol de l'empennage". Tout ceci a mené au blocage des commandes et à la perte de contrôle de l'avion.
L'engagement incorrect du mécanisme de verrouillage de la porte avant le décollage est à l'origine du processus de l'accident. Les caractéristiques de conception du mécanisme pouvaient en effet permettre une fermeture de la "vent door" et un verrouillage apparents de la porte, alors qu'en fait les crochets n'étaient pas complètement refermés et que les broches de sécurité n'étaient pas en place. À noter cependant qu'un hublot de contrôle était destiné à permettre une vérification visuelle de l'engagement de ces broches.
Rapport final de la Commission d'Enquête sur l'accident de l'avion D-C10Journal officiel (12 mai 1976)
La course à l'aviation civile
Mais pourquoi le défaut de fabrication connu n'a-t-il pas empêché l'avion de voler à plusieurs reprises ? Pour le comprendre, il faut remonter à l'histoire de la conception du modèle DC-10 et à un accident qui s'est produit deux ans avant celui d'Ermenonville.
En 1967, le constructeur d'avion américain Douglas Aircraft Company est au bord de la faillite. L'effondrement des ventes de ses appareils, les retards de livraison et les pénalités financières infligées par les compagnies aériennes qui en découlent n'arrangent rien. La société finit par fusionner cette même année avec McDonnell Aircraft Corporation. Les deux deviennent McDonnell Douglas et entrent en compétition intense avec le constructeur aéronautique Lockheed dans la commercialisation de leur futur avion triréacteur, le DC-10, à une époque où le Boeing 707 rencontre un succès fulgurant.
La production du DC-10 commence en 1968 et les affaires reprennent de plus belle. McDonnell Douglas peut compter sur des années d'expertises en matière d'avions triréacteurs pour accélérer le processus de conception et s'appuyer sur une technologie déjà existante pour son futur DC-10, quitte à ignorer des normes de sécurité, relevé par un Tribunal de district fédéral américain après le crash. Durant les essais au sol, les ingénieurs sont témoins d'un défaut de sécurité et d'une explosion de la porte de soute. Ceux-ci n'empêchent toutefois pas sa commercialisation en 1971.
Le 12 juin 1972, durant ses tous premiers vols, le DC-10 connaît un premier accident similaire à celui qui se produira à Ermenonville deux ans plus tard. Lors d'un vol de la compagnie American Airlines, l'avion perd sa porte de soute arrière en plein vol au-dessus de Windsor, dans la province de l'Ontario, au Canada. Le scénario se déroule de la même manière : une dépressurisation, un affaissement du plancher et une perte des commandes - partielle cette fois - qui permet au pilote de contrôler et de poser l'avion, sauvant de justesse les 67 passagers à bord. Seulement une personne est légèrement blessée.
Un rapport d'enquête adopté aux États-Unis un an avant le crash d'Ermenonville
Durant l'enquête qui suit, le constructeur aéronautique McDonnell Douglas pointe du doigt une erreur humaine et insiste sur le fait que la porte n'a pas été proprement fermée par l'opérateur test au sol. Pourtant, le Conseil national américain de la sécurité des transports note dans un rapport d'enquête que les tests conduits à la Douglas Aircraft Company "ont démontré que la porte de ventilation peut être fermée et la poignée rangée sans que les goupilles de verrouillage ne soient engagées". En d'autres termes, la porte paraît fermée de l'extérieur, mais ne l'est que partiellement en réalité et peut ne pas résister à la pressurisation. D'où l'explosion pendant les phases tests et au cours du vol au-dessus de Windsor.
McDonnell Douglas s'en sort en évitant une "consigne de navigabilité" (obligeant à corriger un défaut de fabrication pouvant provoquer "une situation dangereuse", quitte à interdire à l'avion de voler si ce n'est pas fait) malgré de très nombreuses mises en garde, comme le rapporte la revue américaine DesignNews, spécialisée dans l'ingénierie de conception. À la place, la société reçoit un "bulletin de service" qui suggère seulement des besoins d'amélioration (sans les obliger) pour le défaut de la porte de soute. C'est pourquoi il est ignoré par plusieurs compagnies aériennes.
D'autres accidents ont suivi
À l'issue du procès du crash d'Ermenonville, McDonnell Douglas est condamné à payer 80 millions de dollars aux familles des victimes, l'indemnité la plus élevée jamais versée dans une tragédie de cette nature.
Après le crash d'Ermenonville, une trentaine d'accidents et d'incidents se sont produits avec le DC-10, notamment celui de Malaga (Espagne) en 1982 qui a fait 50 morts ou encore Sioux City (Iowa) en 1989 qui en a fait 111. McDonnell Douglas, qui a pâti d'une mauvaise réputation par la suite, a finalement été rachetée par son concurrent Boeing en août 1997.
Depuis la tragédie d'Ermenonville, les corps des victimes ont été réunis à l'église Saint-Pierre de Senlis et des cérémonies de commémoration ont lieu tous les ans. Un mémorial à leur mémoire a été érigé au sein de la forêt quelque temps plus tard. Des morceaux du DC-10 sont d'ailleurs toujours présents autour de la grande stèle.
35 ans plus tard, la commune a été rattrapée par les fantômes du passé lors du crash du vol Paris-Rio le 1er juin 2009 où trois conseillères municipales d'Ermenonville ont perdu la vie. Le procès de cette tragédie qui a fait 228 morts se termine début décembre au tribunal correctionnel de Paris.