PORTRAIT. Constance Pascal, l'une des premières femmes psychiatres, à la tête du plus grand asile de France

L'histoire du dimanche - Des hommes, des femmes, des enfants. En 1909, près de 2 000 patients se trouvent entre les murs de ce qui est alors appelé "l’asile" de Clermont-de-l'Oise, en Picardie. Constance Pascal, médecin-adjoint de l'époque, a eu un rôle clé au sein de cet hôpital psychiatrique. Un siècle plus tard, son nom a pourtant été oublié.

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Retracer l'histoire de Constance, née Constanza Pascal, c'est découvrir combien il lui a fallu lutter pour s'imposer en médecine. Tout commence en 1897. À l'âge de 20 ans, contre l’avis de sa famille, elle quitte sa Roumanie natale avec un objectif : s’inscrire à la faculté de médecine en France.

"Il faut savoir qu’à l’époque où elle étudie, à la fin du 19e siècle, il n’y a que deux pays qui ouvre les études de médecine aux femmes : la Suisse premièrement, suivie par la France très rapidement. C’est pourquoi beaucoup de femmes, notamment de l’est, vont venir du monde entier pour y étudier", explique Aude Fauvel, maîtresse d’enseignement et de recherche en histoire de la médecine à la faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne, en Suisse.

Si les études sont ouvertes aux femmes, il leur est impossible de devenir interne. Déterminée, Constance Pascal conserve son objectif : être "alliéniste", métier que l’on appellera plus tard "psychiatre". En 1903, elle réussit le concours des asiles de la Seine et devient la première femme interne en psychiatrie, aux côtés de Madeleine Pelletier. Cinq ans plus tard, elle est également la première femme à devenir médecin adjointe. Ce statut doit lui permettre de décrocher un poste en milieu hospitalier, mais là encore, Constance Pascal devra se battre pour y accéder.

Clermont-de-l'Oise : le plus grand asile de France

À force de multiplier les courriers, la décision est prise de la nommer à Clermont-de-l’Oise. "Au vu de sa mauvaise réputation, personne ne veut aller diriger cet hôpital. Alors, ils lui proposent directement, ce qui est une énorme promotion. C’est aussi tout un symbole à une époque où très peu de femmes sont directrices de quoi que ce soit", rappelle Aude Fauvel.

Pour comprendre la mauvaise réputation de cet hôpital, il faut remonter dans le temps. "Au départ, c’est un asile censé être modèle. Il a un statut administratif particulier : c’est un hôpital privé, devenu laïc, sous contrat avec l’État", contextualise Aude Fauvel. "C’est surtout le plus gros asile de France, probablement d’Europe à cette époque, voire du monde. Il est situé en périphérie de Paris et récolte les "chroniques", les "incurables". Il est censé être un hôpital psychiatrique moderne. Il y avait par exemple des "colonies agricoles", les patients travaillaient dans les champs et n’étaient pas enfermés. En 1880, suite à un meurtre (l’affaire Appert, ndlr), on découvre que cet asile n'est pas si bien. En 1887, l’État décide de le racheter, s’aperçoit de la réalité et qu’il coûte très cher."

En 1909, alors âgée de 32 ans, Constance Pascal arrive dans l'Oise. Non sans surprise. "Il faudrait un volume pour décrire l'organisation de l'Asile de Clermont [...] Maintenant, c'est le bagne des aliénistes", écrira-t-elle dans un de ses journaux personnels. Felicia Gordon, historienne britannique, a pu les consulter. Elle s'est aussi rendue dans tous les hôpitaux au sein desquels Constance Pascal a travaillé. Y compris celui de Clermont-de-l'Oise où, selon cette écrivaine, la médecin a réalisé de "notables réformes".

Elle fit interdire l’usage des châtiments corporels et de la camisole de force pour les patients ; elle engagea une femme comme chef du personnel infirmier en charge des enfants handicapés ; et (comme il est noté par l’inspection) elle fit en sorte que la vie quotidienne des patients soit grandement améliorée.

Felicia Gordon, historienne

Constance Pascal (1877 - 1937), Une pionnière de la psychiatrie française

"Veillant à ce que les dortoirs soient propres et rangés, à ce que les enfants soient bien traités et que leur environnement, y compris des bordures de fleurs colorées, soit gai et moins prohibitif qu’auparavant", énumère Felicia Gordon dans son ouvrage intitulé Constance Pascal (1877-1937) : une pionnière de la psychiatrie française.

Un rôle majeur durant la Première Guerre mondiale

Cinq ans après son arrivée en Picardie, la Grande Guerre éclate. Clermont-de-l'Oise est au premier rang du conflit. Constance Pascal choisit de rester auprès de ses patients et de se mobiliser, "n’hésitant pas à transgresser le règlement interdisant aux aliénistes hospitaliers de sortir de leur établissement pour donner des soins en ville", retrace Jacques Chazaud dans Histoire des sciences médicales, tome XXXV.

Un engagement confirmé par Felicia Gordon dans sa biographie : "En 1914, avec l’aide du personnel de l’asile, elle aida à ravitailler les troupes françaises en retraite. Durant la brève occupation allemande de Clermont, elle cache des soldats français, leur apporta une assistance médicale et les aida à passer en territoire français."

Pourtant, dans ses journaux de guerre, l’aliéniste se sent comme "anéantie par l'inaction". Constance Pascal souhaiterait en faire davantage. "Elle était assez désespérée durant la guerre : elle était seule, sans contact familial, elle ne s’entendait pas très bien avec l’administration", résume l’historienne. Du moins jusqu'en 1915, date à laquelle un événement bouleverse sa vie.

Une vie cachée pour préserver sa carrière

Alors que l’état-major est logé dans un château à proximité de l’hôpital, Constance Pascal rencontre le général Justin Mengin. Un an après, elle quitte l’hôpital de Clermont pour plusieurs mois, prétextant une opération. Elle va en réalité accoucher à Paris de leur petite fille nommée Jeanne. Sur son acte de naissance, en date du 17 juillet 1916, il est inscrit "père et mère non dénommés". Constance Pascal finit par l’adopter en tant qu’orpheline de guerre.

Un secret conservé durant de longues années. Dans son ouvrage, Felicia Gordon, qui a pu rencontrer Jeanne Pascal-Rees et ainsi accéder aux souvenirs familiaux, estime que "le fait que rien n’ait transpiré de son histoire personnelle jusqu’à récemment indique bien le besoin primordial de Constance d’apparaître professionnellement comme une psychiatre d’abord et avant tout [...] tout relâchement et toute irrégularité dans sa vie personnelle l’auraient exposée à la censure et au scandale d’une façon inimaginable pour ses collègues hommes."

S'imposer dans un milieu masculin

Une situation dont Constance Pascal est elle-même consciente. En 1912, dans une lettre adressée à son frère et évoquée lors d'une conférence par l’association de la Maison Blanche (un hôpital psychiatrique situé en Seine-Saint-Denis où elle a également travaillé), elle relate son combat et lui conseille de faire davantage "d’observations sociologiques: "As-tu jeté un coup d’œil sur la société ? N’as-tu pas vu que toutes les écoles, toutes les fonctions sont largement ouvertes aux hommes seulement ? Que n’importe quel imbécile du sexe masculin qui sait lire et écrire peut entrer dans une école d’État. Quel mérite d’être un homme", ironise-t-elle.

En parallèle de son quotidien à l'hôpital, Constance Pascal veut faire entendre sa voix. Elle publie plusieurs articles dans des revues ou des textes tels que La démence précoce (1911). Une médiatisation rare pour le début du 20ᵉ siècle.

Il faut se rendre compte qu’à cette époque, il n’y a pas beaucoup de femmes qui publient sous leurs noms. Très souvent, elles ont besoin de la caution d’un homme.

Aude Fauvel

Spécialiste de l'histoire des femmes

"Le fait que Constance Pascal ait autant d’articles et de livres, à son nom, c’est quand même le témoignage que c’était quelqu’un de reconnu par les savants de son époque. Et qu’elle avait un caractère tranché, qu’elle voulait se faire une place, un nom", éclaire Aude Fauvel, également spécialiste de l’histoire des femmes.

Quelle postérité ?

Alors pourquoi Constance Pascal a-t-elle été oubliée à Clermont-de-l’Oise et, plus généralement, dans l’histoire de la psychiatrie ? "Elle s’est démenée toute sa vie pour faire sa place, elle n’avait pas sa langue dans sa poche et, très étonnamment, elle efface sa postérité. Elle a même demandé à sa fille de détruire les documents […] L’hypothèse qu’on peut faire, que Felicia Gordon fait et que j’aurais tendance aussi à faire : c’était pour protéger sa fille", estime Aude Fauvel.

Aujourd'hui, le nom de Constance Pascal réapparaît. Par exemple, en décembre 2019, au centre hospitalier de Valenciennes, l’unité de psychiatrie emménage dans un bâtiment neuf. Il faut lui trouver un nom. "Pour moi, il fallait que ça ait un sens", se souvient le Docteur Eric Thomazeau, chef du pôle psychiatrie. Lors d'un sondage auprès des membres du service, plusieurs noms reviennent, mais ils font souvent référence à différents courants de la psychiatrie.

"Par la suite, on est tombés sur Constance Pascal, quelqu’un d’exceptionnel à plus d’un titre. Elle était bien dans son temps et s’intéressait à tout. Elle a fait autant de recherches sur les traitements psychotiques que médicamenteux, elle ne s’enfermait pas dans une pratique bien particulière. Autre chose : c’est quelqu’un qui était manifestement profondément humain, qui aimait beaucoup son service, très attentive à la qualité des soins apportés aux patients. Elle se battait contre les politiques administratives et souhaitait que l’hôpital soit très ouvert sur l’extérieur. Quand on l’a proposé à ceux qui travaillent dans le service, la question "c’est qui ?" est beaucoup revenue. Cela a permis d'expliquer son parcours."

Début décembre, l’association Histoire(s) & Mémoire de Maison Blanche, située en région parisienne, consacre une journée aux femmes psychiatres et, plus particulièrement, à Constance Pascal. De quoi remettre son nom en lumière, un siècle plus tard.

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