Témoignages. "J’ai appris beaucoup de choses de la vie. L’entraide, l’amitié." Immersion dans une communauté Emmaüs

Publié le Écrit par Elise Ramirez

A Erquery, dans l’Oise, la communauté est installée dans l’ancienne annexe de l’hôpital psychiatrique de Clermont de l’Oise. L’établissement est, depuis 2004, un lieu d’accueil et de vie pour les personnes exclues de la société, une communauté où le travail et l’entraide permettent de se reconstruire.

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Nous avons passé une journée dans la communauté, à la rencontre des bénévoles, des compagnons et des salariés de l’association. Une journée où nous avons observé la mécanique de la solidarité qui s’opère à Emmaüs. Une solidarité envers les exclus qui deviennent des compagnons mais aussi un lien entre tous les membres de la communauté. Emmaüs, c’est aussi une boutique ouverte à tous, un lieu de vente solidaire.

"Emmaüs m’a permis de remonter la pente et de reprendre confiance en moi"

Thomas, compagnon Emmaüs

Dans la matinée, nous faisons la connaissance de Thomas. Il est compagnon depuis un an dans cette communauté. Il a revêtu une combinaison de travail et nous emmène dans le jardin de la communauté. "J’aime bien être à l’extérieur, dans la nature, faire pousser des plantes. C’est mon truc à moi. Le jardin était abandonné avant que j’arrive et j’ai tout repris à zéro. J’ai mis des tomates, des courgettes, des carottes, des échalotes, de l’ail", détaille le compagnon, qui nous explique qu’après la cueillette, tous les légumes sont apportés en cuisine. "Je partage tout avec la communauté car ici nous donnons de notre propre travail pour vivre en harmonie", ajoute Thomas.

Au fil de la conversation, il se livre sur son passé. Après une séparation, un deuil et la perte de son travail, il est tombé dans l’engrenage de la désocialisation et s’est retrouvé à la rue. "Je suis tombé au fond du trou et Emmaüs m’a permis de remonter la pente et de reprendre confiance en moi. J’étais complètement enfermé dans ma bulle. Ils m’ont aidé à reprendre un rythme de travail."

Une solidarité dans le travail

Du travail, il n’en manque pas. Quand il n’est pas au jardin, il participe aux ramasses, au tri des dons, à la réparation des objets ou à la vente. Et tout se fait en collaboration avec les 40 bénévoles, qui se relaient pour offrir un peu de leur savoir-faire. Jean est bénévole dans la communauté depuis quelques mois. Il répare les vélos qui ont été déposés par les particuliers. Pour lui, cette aide est à double sens. "On transmet ce que l’on sait aux compagnons mais ils nous transmettent aussi. C’est un échange qu’on ne comptabilise pas. Je suis sensible au partage et à l’aide réciproque. On a tous besoin de vivre, aujourd’hui, plus encore, cette solidarité avec les autres, surtout lorsqu’elle est remise en cause par beaucoup. C’est important de s’ouvrir."

"Ici, c’est comme ma deuxième famille. Ce sont mes frères et sœurs de cœur"

Thomas, compagnon Emmaüs

Les compagnons peuvent apprendre différents métiers dans la communauté grâce aux ateliers mis en place : recyclage de matériel informatique, espaces verts, freeperie, réparation de meuble, vente. Il y en a pour tous les goûts mais l’objectif est de participer à toutes les activités pour trouver sa voie ou se perfectionner avec l’aide des bénévoles. "Ils nous apportent leur expérience. Ils nous soutiennent aussi. Quand on a besoin d’eux pour des explications ou des démarches administratives, ils sont toujours présents. J’ai appris beaucoup de choses, des choses de la vie… L’entraide, l’amitié… Ici, c’est comme ma deuxième famille. Ce sont mes frères et sœurs de cœur", souligne Thomas.

En échange de sa participation au travail collectif, Thomas est hébergé dans une chambre individuelle, comme les 32 autres compagnes et compagnons. Ici, on leur offre les repas, un toit et un emploi. Le déjeuner est servi à midi dans le réfectoire. Un self où toute la communauté se retrouve pour une pause. Compagnons, bénévole et salariés partagent ce moment convivial et également les tâches du service et de la plonge. "Le grand principe à Emmaüs, c’est que tout le monde participe et aide. On essaie d’être polyvalents. L’association n’est pas là pour aider les gens. Ce sont eux qui vont venir travailler avec nous, enrichir la communauté de leurs activités, de leurs connaissances. C’est par le travail, par l’activité collective, et l’organisation horizontale de l’association qu’on apprend à être solidaire", explique Ludwig Debienne, coresponsable de la communauté.

"Maintenant, je dors tranquille et tout ça grâce à Emmaüs."

Mamadou, salarié de l'association Emmaüs

Grâce à l’entraide, Mamadou, sénégalais, a appris le métier d’ébéniste. Il a intégré la communauté en tant que compagnon en 2015, après des mois de galère à la rue. "Mon premier poste, c’était aux bibelots, puis au camion pour les ramasses. Et je me suis retrouvé aux meubles. J’ai commencé à sabler des buffets, des bureaux, des tables, des chaises, des objets en métal. Ça m’a plus tout de suite et je n’ai jamais arrêté", explique Mamadou.

Après quelques années, Emmaüs lui fait une promesse d’embauche et il peut enfin obtenir son titre de séjour. Depuis, son poste s’est professionnalisé avec l’achat par Emmaüs d’une cabine de sablage. Mamadou est désormais salarié de l’association et affecté à la rénovation des meubles. "J’ai mes papiers, un appartement, une femme, des enfants. Maintenant, je dors tranquille et tout ça grâce à Emmaüs. Je suis reconnu et intégré. Sans le travail, tu ne peux pas t’intégrer", insiste Mamadou. Les meubles qu’il rénove sont ensuite mis en vente dans la boutique.

Un accueil inconditionnel

Les jours d’ouverture de la boutique sont très attendus car les bénéfices des ventes permettent de faire vivre la communauté. Le mouvement Emmaüs fondée par l’Abbé Pierre en 1949, a toujours refusé les subventions pour rester libre d’accueillir sans condition. "Le principe d’Emmaüs n’a pas changé depuis sa création. C’est l’accueil inconditionnel : On ne refuse pas les anciens détenus, les migrants, les gens malades et les exclus de la société, les gens perdus. Lorsqu’une personne se présente à notre porte, on l’accueille. Si on n’a pas de place, elle peut rester une ou deux nuits", rappelle Ludwig Debienne.

C’est le fruit du travail de la semaine avec les ramasses, le tri, l’upcycling, qui est mis en vente dans la boutique. Nous y croisons Lucky, un jeune compagnon, demandeur d’asile. Il est affecté à la vente des meubles et objets de décoration. Tout sourire, il nous explique que c’est son "truc", la vente. Il aime le contact avec les gens. "Dans mon pays, je faisais du commerce et ici, je conseille les acheteurs, je leur montre nos nouveautés. Parfois, je répare les meubles aussi." Ici, pas de professionnels mais des apprentis vendeurs. Selon les responsables, c’est primordial. "Les compagnons ne sont ni vendeurs, ni commerçants. Ils apprennent. Nous ne sommes pas un magasin. On vend à petits prix et cela rend service à la population mais on est là surtout pour accompagner les compagnons", insiste Ludwig.

Emmaüs est l’une des premières associations à promouvoir une société alternative, un modèle d’économie circulaire, sociale et solidaire. Le mouvement regroupe aujourd’hui 30 000 personnes en France et elle est également présente dans 37 pays du monde. Elle accompagne, chaque jour, plus de 2000 personnes en France.

Et tout a commencé par un appel à l’aide le 1er février 1954, dans un contexte de grave pénurie de logements et un hiver meurtrier. Celui de l’Abbé Pierre, "la voix des sans voix". "Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle, le papier par lequel avant-hier, on l’avait expulsé. Chaque nuit, ils sont 2000, recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain […] Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent […] à la porte des lieux où il y ait des couvertures, paille, soupe et où on lise sous ce titre : Centre fraternel de dépannage, Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir. Ici, on t’aime…"

 

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