Déjà 237 embarcations ont tenté de rejoindre l'Angleterre depuis le début de l'année, près de trois fois plus que l'ensemble des tentatives recensées en 2018. Malgré les risques, les migrants sont de plus en plus nombreux à tenter de traverser la Manche.
Le jour vient de se lever jeudi 24 octobre, un promeneur a donné l'alerte. Les gendarmes de la brigade nautique arrivent en urgence et découvrent une embarcation de fortune qui partait à l'assaut de la Manche. A son bord, 19 migrants dont des hommes, des femmes, des enfants et des personnes âgées. Leur moteur a rendu l'âme à 1 kilomètre du rivage, rendant leur traversée impossible.
Une vedette des douanes assure leur sauvetage, déjà le deuxième de la journée. Depuis plusieurs mois, les tentatives de traversée vers l'Angleterre sont quasi-quotidiennes. Les autorités en recensaient 71 en 2018 et déjà 237 depuis le début de l'année. Un drame humain devenu casse-tête pour les autorités.
Parmi les migrants qui ont tenté leur chance à l'assaut de la Manche, il y a la famille Ebrahimi, un couple de Kurdes ayant fui l'Iran avant de traverser toute l'Europe avec leurs trois enfants, âgés de 3 à 12 ans. C'est leur deuxième tentative infructueuse. "On ne fait pas ça pour le plaisir, on a fui le pays et les problèmes politiques. Les Kurdes sont attaqués par la Turquie, la Syrie, l'Iran. C'est un vrai problème donc nous avons pris ce risque", explique le père, Edris.
La famille veut à tout prix rejoindre l'Angleterre où une partie de leurs proches se sont déjà rendus, un pays dont ils parlent la langue et où ils espèrent obtenir l'asile. Ils ont payé 3000 euros à un passeur pour embarquer dans un canot de fortune qui prenait l'eau. Les enfants sont frigorifiés. "Le bateau était cassé. Je veux aller en Angleterre, c'est tout. Simplement traverser", dit la fille aînée. Leur rêve d'Angleterre vient de se briser pour la deuxième fois.
Frontière mortelle
La famille Ebrahimi est conduite à la police aux frontières pour être interrogée. Comme eux, plus d'un millier de migrants ont été interceptés depuis le début de l'année. Pour repérer les embarcations, des gendarmes patrouillent quitidiennement dans la Manche, le couloir maritime le plus fréquenté au monde. La zone concentre près de 25% du trafic mondial. C'est aussi l'une des mers où les courants sot les plus agités.
"Plus on s'éoigne de la côte, plus les conditions de mer sont dangereuses. Les risques augmentent quand il y a des passages de cargos ou de porte-conteneurs qui créent des hauteurs de vague et des hauteurs en mer pouvant faire chavirer les petites embarcations", témoigne l'adjudant Sébastien Maréchalle, membre de la brigade nautique de Calais.
Une frontière devenue mortelle. Lundi 14 octobre, deux premiers décès de migrants sont survenus sur les côtes françaises. Hussen, 22 ans, et Soran, 27 ans, deux Kurdes d'Irak retrouvés morts noyés sur une plage du Touquet. Comment lutter contre les filières criminelles qui organisent les traversées clandestines ? Seuls 34 kilomètres séparent la France de l'Angleterre et les départs clandestins ont désormais lieu sur toutes les plages du littoral, de Hardelot à Oye-Plage.
"J'ai déjà été arrêté dix fois"
Près de 100 kilomètres de côtes sont placées sous haute surveillance par les gendarmes du Pas-de-Calais, de jour comme de nuit. "Toute plage suceptible d'accueillir un zodiac ou un bateau est un point de départ potentiel", estime le colonel Bertin Malhet, commandant du groupement de gendarmerie du département. Pour lutter contre les passeurs, les Anglais ont financé l'achat de drones et de motos pour les gendarmes français. Des réservistes sont également déployés depuis quelques jours, un plan d'action à plus de 7 millions d'euros.
Les autorités veulent dissuader et rechercher toute trace d'un prochain départ. "Là ils ont caché des sacs de couchage et des affaires personnelles dans les buissons pour ensuite les reprendre le soir et partir directement dans la Manche", montre un gendarme. Les traversées augmentent car le passage par camion est de plus en plus difficile pour les migrants. Chaque poids lourd est inspecté avant de pénétrer dans le tunnel sous la Manche.
Des chiens marquent l'arrêt à l'arrière des camions lorsqu'ils détectent une présence humaine. Le chauffeur est alors sommé de montrer sa cargaison et régulièrement, les douaniers retrouvent des migrants recroquevillés à l'arrière des camions, espérant passer au travers des mailles du filet. "J'ai déjà été arrêté dix fois, confesse un Syrien. Il faut que je réussisse à passer, ma femme et mon fils sont déjà en Angleterre. Je n'ai que deux choix : soit dans un camion, soit sur un bateau."
L'Angleterre coûte que coûte
Une semaine après leur tentative de traversée, la famille Ebrahimi se trouve toujours à Calais. Ils ont obtenu un hébergement d'urgence pour trois nuits mais déjà ils n'ont plus qu'une idée en tête : "Je veux qu'on arrive en Angleterre, les conditions seront meilleures que dans n'importe quel autre pays, reprend la fille aînée. Quel que soit le danger, quels que soient les obstacles, on ira là-bas".
"Je sais que c'est dangereux, on a l'impression de mourir à chaque traversée, à chaque vague mais je suis obligée. Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?", se demande la mère. Pour eux, rester en France n'est même pas une option tant qu'ils seraient condamnés à la clandestinité. Ils l'assurent, un jour ou l'autre, ils passeront. Plus de 1 400 migrants ont réussi à gagner le Royaume-Uni illégalement en 2019.