#JesuisLaura ou comment la fachosphère a repris le meurtre de Laura à Sallaumines pour diffuser son idéologie

Ce matin du 5 février, le hashtag "#JesuisLaura" était la cinquième tendance française de Twitter avec plus de 8000 tweets reprenant ce hashtag. Parmi ces tweets, nombreux étaient ceux qui ont utilisé le meurtre de Laura à Sallaumines pour servir une idéologie d'extrême droite. 

"C'est un classique", estime Tristan Mendès France, maître de conférence associé à l'université de Paris, spécialisé dans les cultures numériques. Alors que Laura, jeune fille de 16 ans a été retrouvée morte jeudi 30 janvier à Sallaumines (Pas-de-Calais), de nombreux internautes à travers le hashtag #JesuisLaura reprochent aux médias de taire ce fait divers, dressant le portrait d'un tueur qui serait soit musulman, soit arabe.

Pourtant, le sujet a bien été traité plusieurs fois ces derniers jours par les médias et la police n'a pour l'instant procédé à aucune interpellation, ni mentionné le mobile ou l'identité d'un ou de possibles suspects. Alors comment expliquer le succès de ce hashtag, la méfiance de ces internautes vis-à-vis des médias et leurs accusations gratuites envers un groupe de population ciblé ? 
  

1. Les médias, tous silencieux ? 


"Pourquoi cette personne n'émeut personne dans la classe politique et les médias ?", "On nous bassine avec des histoires à la con [...] mais quand il s'agit de parler d'un drame qui a meurtri une ville entière [...] les médias sont aveugles !", s'indignent des internautes.
   
Des médias qui taisent des événements au nom d'intérêts particuliers, c'est une des bases de toute théorie du complot. "Le sous-entendu qui est derrière c'est que les médias sont aux ordres du pouvoir. C'est un fantasme complotiste récurrent", note Tristan Mendès France, le spécialiste des cultures numériques. 

En réalité, la couverture de ce fait divers par les médias a bien été réalisée. Sur notre site internet, trois articles ont été publiés : un premier le 30 janvier, un second le 31 janvier et un troisième le mardi 4 février pour faire un point sur l'enquête.

Du côté de nos confrères, la chaîne d'information en continu, LCI, a diffusé l'information sur son site internet et la Voix du Nord, a écrit quatre articles à ce sujet

 
 

2. Le Whataboutism 


Le "whataboutism" est une technique argumentative qui consiste à répondre à une accusation ou une question difficile en faisant une contre-accusation ou en évoquant un problème différent.

Parmi les tweets ayant le hashtag #JesuisLaura, des internautes faisaient un comparatif entre l'attention accordée à Mila et celle accordée à Laura. Certains reprochant que les médias aient beaucoup parlé de Mila et très peu de Laura.
 
Pour rappel, Mila est une jeune femme de 16 ans qui a subi une vague d'insultes et de menaces sur les réseaux sociaux après avoir critiqué l'islam, qu'elle a qualifié de "religion de la haine" dans une vidéo postée sur Instagram. Le hashtag #JesuisMila a été utilisé par des internautes pour la soutenir. Laura est, elle, une jeune femme du même âge. Elle a été tuée jeudi 30 janvier à Sallaumines de quatre coups de couteau. 

Ces deux situations sont donc très différentes. Si comparer le traitement médiatique de la coupe du monde de football féminine et celle masculine par exemple pourrait permettre d'illustrer un fait de société, comparer le traitement médiatique du meurtre d'une jeune fille dont on ignore tout de l'auteur et celui des menaces et des insultes qui visent une autre fille, ne présente donc aucun intérêt car il n'est pas significatif.  
 
Un autre internaute, dénommé Napoléon sur Twitter, applique cette stratégie du "whataboutism". Celui qui se décrit dans sa biographie comme "oeuvrant au rassemblement de Patriotes pour sauver le pays!" est  "un habitué de la reprise de faits divers", selon Tristan Mendès France.

Dans son tweet, il reproche aux médias de refuser de parler du meurtre de Laura pour lui préférer la possibilité d'"accabler l'élu qui propose que les Français s'entraînent au tir pour se protéger!"
 
Il fait référence aux propos de Christophe Marécaux, conseiller régional du Rassemblement national, qui a appelé à former les enfants au tir pour "faire face aux menaces islamistes".
  

3. Pourquoi ça fonctionne ? 


Pour Tristan Mendès France, ce qui a permis au hashtag #JesuisLaura de faire partie des tendances Twitter France, c'est la manière dont certains internautes réceptionnent l'information. "Quand une personne a une inclinaison idéologique, elle va réaliser un tri sélectif des informations qui lui viennent des médias traditionnels. Elle ne va garder que celles qui peuvent confirmer son biais idéologique. Sur les réseaux sociaux, elle va la relayer à sa communauté qui, souvent, partage cette même idéologie et qui va à son tour la relayer, ce qui créé un mini-buzz". 

C'est là que la responsabilité des réseaux sociaux dans la prolifération de l'information entre en jeu. "Les plateformes comme Facebook ou Twitter ont une responsabilité évidente car elles donnent une résonance à des groupes marginaux. Par exemple, Twitter met dans ces tendances France le hashtag #JesuisLaura alors même qu'il véhicule des propos anti-médias et islamophobes. Avec son algorithme, il donne ainsi une visibilité à des messages marginaux." Le hashtag est alors mis en lumière et des personnes extérieures au fait divers vont s'y intéresser, lui donner de l'importance que ce soit en le soutenant ou en le critiquant. 
 
Comme cet internaute, chrisAPteam, qui s'insurge dans ce tweet : "L'auteur est recherché, la police ne connaît pas le mobile et sur le #JesuisLaura, vous avez décidé que c'était un musulman. C'est faire un amalgame [...] Insulter une religion est permis, préjuger de la religion de l'auteur est d'une bêtise crasse."
 

4. A qui ça sert ? 

 
"Je découvre que ceux qui ont mis ce drame en tendance twitter sont les membres de la fachosphère qui évoquent déjà les origines du tueur alors que l'enquête n'a encore rien déterminé.", dénonce cet utilisateur de Twitter. La fachosphère est un néologisme qui désigne les sites internet, les blogs et les activistes des réseaux sociaux liés à l'extrême-droite ou défendant leurs idées. 

"Ce genre de propagande en ligne profite évidemment aux discours complotistes, anti-médias, à ceux qui dénoncent une bien-pensance gauchiste", juge Tristan Mendès France. "C'est pour cela qu'il y en a un paquet sur les réseaux sociaux. Napoléon, par exemple, est utilisateur de Twitter et membre de la fachosphère. Il relaie beaucoup ce type de faits divers". Actuellement, il compte 25 700 abonnés dont Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national. 
 

Marine Le Pen a d'ailleurs tweeté à propos de ce fait divers : "C’est devenu cela la France de 2020, un pays où des jeunes filles de 17 ans se font égorger dans l’indifférence générale des médias et des dirigeants...?", reprenant l'argument complotiste de médias et d'hommes politiques qui chercheraient à taire cet événement. 
 
Parmi les tweets relayant #JesuisLaura, on trouve des propos ouvertement islamophobes ou xénophobes quand bien même ni le mobile, ni le ou les responsables du crime ne sont connus des services de police. 
   
"Il y a une instrumentalisation évidente dans ce genre de faits", explique Tristan Mendès France. "Ces membres de la fachosphère s'encombrent peu de la réalité des faits. Ils plient plutôt les faits à leur agenda idéologique. Leur ressenti passe avant ce qui est établi. Dès qu'il y a un fait divers, s'il y a même un seul élément qui pourrait correspondre de près ou de loin à leur agenda idéologique, ils vont le partager. Dans cet univers, la présomption d'innocence et l'établissement des faits importent peu", conclut-il. 

Laura Bernard, 17 ans, a été tuée de quatre coups de couteau jeudi dernier dans un parc au fond d'une impasse à Sallaumines (près de Lens dans le Pas-de-Calais). La Police judiciaire de Lille est en charge de l'enquête. Depuis jeudi, de nombreuses personnes ont été auditionnées. On ne connait toujours pas à ce jour le mobile du meurtre. Personne n'a été interpellé pour l'instant. 

 
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