Affaire Élodie Kulik : 17 ans de combat d’un père pour que justice soit faite

Depuis le meurtre d’Élodie en janvier 2002, Jacky Kulik n’a jamais cessé de mener l’enquête. Après 17 ans de rebondissements judiciaires, le principal suspect sera jugé dans un mois. Retour sur le combat d’un père prêt à tout pour découvrir la vérité sur la mort de sa fille.

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Pendant dix-sept ans, Jacky Kulik n’a jamais cessé d’espérer.
Entre le 10 et le 12 janvier 2002, il a d’abord eu l’espoir de retrouver sa fille Elodie en vie. Mais la découverte de son corps calciné deux jours après sa disparition a brutalement coupé court à ses prières. Quelques jours après la découverte du corps, Jacky Kulik apprend que sa fille de 24 ans, blonde aux traits angéliques, a été violée, étouffée puis brûlée. "Ce drame l’a d’abord brisé puis il a repris confiance en la justice au fil des années" résume Didier Robiquet, l’avocat du père de famille.
 
Rapidement, les enquêteurs isolent plusieurs traces ADN dont du sperme retrouvé dans un préservatif abandonné sur la scène de crime. Mais à l’époque, il n’existe aucun fichier d’empreintes génétiques permettant d’identifier les suspects. Jacky Kulik se tourne alors vers Isabelle Boquel, présidente de l’association Angélique. En effet, le meurtre d'Elodie fait écho à celui d'Angélique Dumetz, assassinée en 1996 à Compiègne. "L’ADN du meurtrier d'Angélique a été retrouvé sur la scène de crime mais à ce moment-là, nous n’avions aucune base de données génétiques pour comparer les prélèvements, explique Isabelle Boquel. Nous avons créé cette association pour obtenir l’élargissement du Fichier National des Empreintes Génétiques. Jacky est venu nous voir pour obtenir notre aide puisque l’affaire concernant sa fille faisait face aux mêmes problématiques".
 


Les gendarmes mènent une enquête de voisinage, analysent des véhicules et, en utilisant les outils scientifiques de l’époque, suivent aussi la piste de l’appel de détresse car,
avant de mourir, Elodie est parvenue à appeler les secours. Sur l’enregistrement, on entend plusieurs voix masculines mais les enquêteurs ne parviennent pas à les identifier. L’instruction piétine pendant près de 10 ans, comme le montre cette frise chronologique.

  

Jacky Kulik, au nom des siens


Jacky Kulik est incapable de patienter une décennie. L’ancien facteur se démène pour résoudre l’affaire au plus vite. "Je ne tenais pas en place. J’avais promis à Elodie que je retrouverai ses assassins" nous confie-t-il par téléphone. De 2002 à 2012, il enquête, espionne et pousse des coups de gueule. "Au moindre indice, j'allais me renseigner et j'enquêtais discrètement. Puis j'allais voir les enquêteurs pour leur raconter mes découvertes". Didier Robiquet, son fidèle avocat, le confirme : "Jacky était impatient, se rappelle son avocat. Pendant dix ans, il se lançait sur toutes les pistes et mettait la pression aux responsables de l’enquête. Il était aussi excessif que désespéré, à tel point que les relations se sont parfois tendues avec les enquêteurs. J’ai passé toutes ces années à le canaliser".

 

Le père de famille se plonge corps et âme dans ce combat pour la vérité, lui qui a déjà perdu ses deux premiers enfants dans un accident de la route. Mais il n’est pas au bout de ses peines. En juillet 2002, un nouveau drame vient frapper la famille Kulik. Rose-Marie, sa femme, fait une tentative de suicide en avalant du poison anti-taupe. Elle restera plongée de longues années dans le coma avant de décéder en 2011. Jacky Kulik refuse de s’avouer vaincu et continue d’espérer.  


Faire parler l’ADN


Finalement, un rebondissement dans l’enquête met fin à son supplice. Grâce à l’association Angélique, les criminels sont désormais inclus dans le fichier national des empreintes génétiques. En janvier 2012, les enquêteurs découvrent que l’ADN retrouvé dans le préservatif usagé correspond partiellement au profil d’un homme fiché pour agression sexuelle. Par recoupement, les scientifiques se rendent compte que l’ADN incriminé est en fait celui de son fils, Grégory Wiart, décédé dans un accident de voiture en 2003.
 
Avec cette nouvelle piste, Jacky Kulik reprend espoir : "Cette découverte a été énorme pour moi. Cela m’a beaucoup soulagé et apaisé". Son avocat confirme : "Mon client s’est rendu compte que toutes les pistes suivies pendant 10 ans, qui semblaient vaines, avaient finalement abouti à quelque chose. Cela lui a permis de reprendre confiance en la justice".

Le 24 janvier 2012, le corps de Grégory Wiart, violeur présumé dans l'affaire, est exhumé. Sa dépouille est conduite à l'institut médico-légal de Saint-Quentin où sont réalisés des prélèvements complémentaires. La justice veut avoir la confirmation certaine de son implication dans le meurtre de la jeune banquière. L'analyse ADN est formelle : le jeune homme alors âgé de 23 ans était bien présent sur les lieux du crime.
 
 

"C’est un homme combatif et tenace avec une immense soif de vérité"

Mais Jacky Kulik est loin d’en avoir fini avec cette affaire. "C’est un homme combatif et tenace avec une immense soif de vérité" confirme Isabelle Boquel, qui fait désormais partie de ses amis proches. Soulagé par la découverte d’un premier suspect, le père de famille fait de nouveau confiance aux enquêteurs : "C'est au tour des complices de Grégory Wiart de ne pas dormir tranquille, déclare-t-il à l’époque. Ils ont eu le temps de parler, ils ne l'ont pas fait pour l'instant".
 

Cette patience à toute épreuve finit par payer : peu après l’identification de Wiart, 7 hommes âgés de 29 à 46 ans sont placés en garde à vue. L’un d’eux se prénomme Willy Bardon, un quadragénaire qui fréquentait le même club de 4x4 que Grégory Wiart. En janvier 2013, l’homme est mis en examen après que cinq proches ont reconnu sa voix dans l’enregistrement audio de l’appel au secours d’Elodie. Plus de dix ans après le meurtre, il s’agit de la première mise en examen de cette affaire. "Je me tenais à 3 mètres de Willy Bardon pendant la mise en situation, lorsque nous sommes retournés sur la scène de crime, raconte le père d’Elodie. J’ai réussi à garder mon calme, mais lui n’a pas osé me regarder une seule fois. Pour moi, c’est une forme d’aveu".   
 


A ce moment-là, Jacky Kulik n’a plus qu’un seul souhait : que celui qu’il considère comme l’assassin de sa fille soit condamné. Mais là encore, sa patience est mise à rude épreuve. Willy Bardon clame son innocence et multiplie les recours en justice. Le quadragénaire se porte en cassation avant d'être débouté en juillet 2018. Son avocat conteste notamment la validité de l’enregistrement vocal, dans lequel on entend Elodie en détresse et les voix de deux agresseurs. Les années passent et le mystère plane toujours sur les circonstances de la mort d’Elodie. "Si ça continue, je vais mourir de vieillesse avant qu’un procès ne soit tenu" confie alors Jacky Kulik à Isabelle Boquel.
 

L’annonce du procès


Après 14 ans d’enquête, le parquet annonce la fin de l’instruction en février 2016. L’année suivante, Willy Bardon est renvoyé devant les Assises. "Je veux qu’il paye au maximum, qu’il soit condamné à perpétuité, s’enquit le retraité d'une voix calme. En retardant le jugement, il a déjà volé 7 ans de liberté". Ce procès, programmé du 21 novembre au 6 décembre 2019 à Amiens, est vivement attendu par Jacky Kulik et son entourage. "Quand il m’a annoncé les dates du procès par téléphone, j’ai fondu en larmes" se rappelle Isabelle Boquel.
 


Ce procès, Jacky Kulik l’attend depuis 17 ans. Il s’y prépare même. "Depuis plusieurs années, il assiste à différents procès aux Assises pour connaître le fonctionnement de la justice" confirme Didier Robiquet, son avocat. "Nous avons assisté à différents procès concernant des affaires similaires comme celui de l’affaire Leconte. Jacky voulait se préparer et voir comment les avocats plaidaient" assure Isabelle Boquel, faisant référence aux viols et meurtres de deux jeunes filles perpétrés par Jean-Paul Leconte dans la Somme en 2002. L’homme avait d’ailleurs été soupçonné un temps du meurtre d’Elodie avant que la piste ne soit écartée. "Avec toutes ces recherches et ces procès, je sais maintenant à quoi m’attendre, assure avec émotion le père d’Elodie. Je sais que certains passages seront douloureux mais je suis prêt".  
 

La fin d'un long combat ?


Aujourd’hui encore, à un mois du procès qu’il attend désespérément depuis la mort d’Elodie, Jacky Kulik reste digne. "J'espère comprendre pourquoi ces hommes ont ciblé ma fille mais j'imagine que Bardon ne parlera pas" confie-t-il, un peu résigné.

Si ce combat pour la vérité a permis à Jacky Kulik de garder la tête hors de l’eau toutes ces années, ses proches s’inquiètent pour l’avenir. "Lui qui ne vit que pour ça depuis si longtemps, que deviendra-t-il une fois que l’affaire aura été jugée ? se demande Isabelle Boquel. Ce sera à nous, ses proches, de lui redonner goût à l’existence et de lui faire voir la vie autrement".

Jacky Kulik fêtera ses 70 ans le 23 janvier prochain. Le jour où, 18 ans plus tôt, il a enterré sa fille Elodie. A l’avenir, il se promet beaucoup de repos et des après-midi passés à jardiner. "C’est l’une des rares activités qui me détend vraiment".

Après 17 années de nuits blanches, d’enquêtes et de recherches, il n’a aucun regret et continue d’afficher un optimisme à toute épreuve. "Je n’ai jamais menti à Elodie, je lui ai toujours dit que je réussirais à coincer les coupables. Ça a été dur, ça a été long mais aujourd’hui j’ai fini mon travail. Et je suis prêt à confier le dénouement de cette affaire à la Justice".



Découvrez les moments forts de cette affaire qui a marqué la Picardie avec le reportage de Jean-Pierre Rey et Marie Benoit : 

 

 
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