Manon, victime d'un féminicide, a été sauvagement assassinée par son ex-compagnon durant l'été 2020. Depuis, ses proches tentent de se reconstruire. Sa mère, Isabelle Boulant vient de créer sa propre association, pour venir en aide aux victimes et conseiller les familles.
Le 29 juillet 2020. Cette date restera à jamais gravée dans la mémoire d'Isabelle Boulant. C'est ce jour-là que sa fille de 19 ans, Manon, est morte, assassinée par son ex-compagnon, Jordan B.
Isabelle porte un T-shirt noir à son effigie. Les yeux bleus de Manon ressortent. Ils vous fixent. Comme de nombreuses autres familles, elle s'est rendue vendredi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, à la gare d'Amiens pour coller des affiches. Elle a accroché une banderole avec le portrait de sa fille : "À Manon, on ne t'oubliera jamais. Que justice soit faite."
Une nuit d'horreur
Manon ne se doutait de rien, elle était partie dormir chez une amie près d'Hallencourt dans la Somme. "Il lui a envoyé un SMS, il voulait lui parler. Elle a accepté, elle ne s'est pas du tout méfiée et elle est montée dans sa voiture à 20 h, c'est la dernière fois qu'elle a été vue vivante", retrace avec une pointe d'émotion dans la voix, Isabelle Boulant.
Son ex-conjoint assassine ensuite Manon de 17 coups de couteaux et envoie des SMS depuis le téléphone de la jeune femme pour dire qu'elle est morte. Quand elle reçoit ce message et qu'elle ne la voit pas revenir, l'amie de Manon panique. Prévenue, Isabelle ne comprend pas ce qui se passe. Elle appelle la gendarmerie, fait le tour des hôpitaux et des endroits où ils avaient l'habitude d'aller, en vain.
J'étais suspendue à mon téléphone, j'attendais du nouveau. J'attendais que la gendarmerie me rappelle, les minutes me paraissaient longues et les heures une éternité.
Isabelle BoulantMaman de Manon
Au petit matin, le corps de la jeune fille sur la banquette arrière, Jordan finit par se rendre à la gendarmerie. Il est immédiatement incarcéré. Après avoir appris le décès de sa fille, Isabelle est immédiatement auditionnée. "J'étais sous le choc, quasiment incapable de parler. Et les gendarmes ont commencé à me poser des questions sur les qualités et les défauts de ma fille. Je me suis énervée, pour moi c'est comme si on rejetait la faute sur elle pour essayer d'expliquer cet acte."
Des antécédents alarmants
Avant qu'il ne la tue, son ex-conjoint avait quitté Manon un mois plus tôt. Cela faisait un an et demi qu'ils étaient ensemble. "Quand il s'est séparé d'elle, ma fille était dévastée, se rappelle Isabelle. Quelque temps après, il a essayé de la récupérer par tous les moyens en lui apportant des cadeaux, des fleurs. Mais Manon ne voulait plus retourner avec lui."
Il commence alors à traquer Manon sans qu'elle ne s'en aperçoive, tout le temps. Il la suit où qu'elle aille, attend posté dehors et écoute sous les fenêtres. "Quand les voisins ont appris le meurtre de ma fille, certains m'ont dit qu'ils l'avaient vu plusieurs fois rôder, caché dans les buissons, aux abords de notre maison", ajoute Isabelle Boulant.
Avant le drame, rien ne laisse présager ce passage à l'acte. Il n'y a aucune violence physique ou psychologique. Pourtant, en lisant le dossier judiciaire, la maman de Manon découvre un passif alarmant : " j'ai appris qu'il avait brûlé le véhicule des beaux-parents de son ancienne petite amie et qu'il était suivi psychologiquement et qu'il avait été condamné pour ça. Et qu'il continuait à la contacter. Il avait aussi été convoqué par la gendarmerie, car il avait eu un accrochage avec le nouveau copain de cette dernière".
Lors de sa détention, Jordan écrit des lettres où il s'adresse directement à Manon et il demande à sa famille de lui rapporter des photos d'elle. Il se suicide quelques semaines plus tard dans sa cellule.
"Il n'y aura jamais de procès. Il est parti avec la présomption d'innocence. Et c'est moi qui ai pris la perpétuité."
Isabelle Boulant
Son regard bleu qui s'envole
Les échanges avec le système judiciaire ont été un long chemin de croix pour Isabelle. "Je n'ai pas été écoutée, conseillée et orientée. Je n'ai eu aucun soutien. J'ai sans cesse dû me justifier sur la mort de ma fille, ce n'est pas normal. C'est violent", atteste-t-elle.
Aujourd'hui, comme le reste de ses proches, elle ressent un manque immense et de nombreuses question restent en suspens. "Ça a brisé toute la famille. Je vis par obligation pour mes deux filles. Je ne vis pas, je survis".
Après plusieurs mois de réflexion, d'échanges avec des associations, elle a décidé de lancer la sienne depuis octobre : "un regard bleu qui s'envole". Le nom, fait référence aux yeux de sa fille.
"Je veux pouvoir aider les familles qui vivent cela, me rendre utile faire de la prévention et les conseiller. Je le fais aussi pour Manon"
Isabelle Boulant
Plusieurs femmes victimes des violences de leurs compagnons l'ont déjà appelée. "Je suis fière de me dire que j'ai pu les aider et je sais qu'elles sont en sécurité en ce moment", confie Isabelle. Pour la suite, elle souhaite aller encore plus loin et espère pouvoir tenir une permanence pour accueillir les victimes et créer des groupes de parole.
Son association compte déjà plusieurs bénévoles, mais elle en cherche encore. Elle aimerait aussi tisser des relations avec les associations existantes de la Somme pour pouvoir orienter au mieux les victimes.
Dans son cou, elle porte un petit tatouage, un papillon bleu. Elle l'a depuis bien longtemps, bien avant le drame. Mais aujourd'hui, il lui fait penser à Manon, qui adorait ces insectes colorés. "Quand je me rends sur sa tombe chaque semaine, il y a toujours un papillon, dit-elle en esquissant un faible sourire. Pour moi, c'est comme si elle m'envoyait un signe."