En mars 1962, après la signature des accords d'Evian qui actent la fin de la guerre d'Algérie, un millier de harkis est rapatrié en Picardie. Ils sont logés dans les citadelles d'Amiens ou de Doullens, dans des conditions "indignes". Nous avons rencontré plusieurs d'entre eux.
“Si on était restés dans notre pays, nous serions tous morts” souffle Ahmed, ancien soldat Harki pendant la guerre d’Algérie. Pour comprendre son histoire, il faut comprendre l’histoire algérienne.
Le 18 mars 1962, les accords d’Evian sont signés. Ils mettent fin à plus de sept années de conflit entre la France et le Front de libération nationale (FLN).
Pendant cette guerre, entre 1954 et 1962, 200 000 à 300 000 harkis sont engagés aux côtés des troupes françaises. Par choix, ou enrôlés de force.
Les accords d’Evian garantissent la protection des harkis, mais les promesses ne sont pas tenues. Accusés de "trahison", ils sont persécutés, massacrés. Mais pour Paris, leur rapatriement en France n’est "ni à prévoir, ni à souhaiter, encore moins à encourager" écrit en janvier 1961 Gilles de Wailly, inspecteur général des Finances dans un rapport au ministre d’État .
Des militaires désobéissent aux ordres hiérarchiques, et rapatrient entre 90 000 et 100 000 supplétifs de l’armée française jusqu’à Marseille, où ils sont dispersés dans différents camps et hameaux de forestage.
Environ 1 000 harkis arrivent en Picardie, à la citadelle de Doullens, propriété du ministère de la justice, réquisitionnée en urgence par le préfet, pour y loger des Harkis.
D’autres, sont logés à la citadelle d’Amiens, c’est le cas d’Ahmed que nous avons rencontré. Il est arrivé à l’âge de 29 ans, après un passage en tant que militaire à Beauvais. À la fin de son contrat avec l’armée, il arrive à la citadelle d’Amiens. “On était comme des prisonniers. À l’entrée, il y avait des barbelés et des militaires, alors que nous étions des soldats. En entrant on était fouillés, et en sortant pareil. C’est comme ça que ça se passait à la citadelle d’Amiens. On a travaillé avec la France, et regardez ce qu’elle nous a fait. La France nous a amenés, puis elle nous a abandonnés”. Cet ancien soldat des forces harkas, issu d’une famille de fermiers, a été contraint de prendre les armes, menacé par le Front de libération nationale (FLN).
“On était obligés de choisir la France, cinq membres de ma famille ont été égorgés par le FLN. Ils attrapaient les gens pendant la nuit, et demandaient des informations sur les français. S'ils ne disaient rien, on les tuait, même s'ils ne savaient rien".
Une enquête sur les conditions d'accueil "indignes" des harkis à la citadelle de Doullens
D’autres, ont été logés à la citadelle de Doullens, également dans des conditions indignes. “Quand les harkis arrivent, ils découvrent un lieu abandonné par l’administration française. Ils dorment au sol pendant plusieurs semaines” explique Fabrice Dehaene, vice-président de l’association de la citadelle de Doullens, qui mène une enquête sur les conditions de vie des harkis dans ce camp fermé. “Il n’y avait pas de chauffage, parfois un feu était allumé. Il n’y avait pas toujours de fenêtres. Des tôles et des draps servent de fenêtres. L’hiver arrivant, on est dans des situations pénibles”.
En consultant le registre des naissances et des décès, Fabrice Dehaene observe une recrudescence de décès chez les enfants et les personnes âgées en hiver.
Au fil des témoignages, il reconstitue le plan de la citadelle de Doullens dans les années 60. On y voit une école, dispensée par un appelé, ainsi qu’une infirmerie.
Cette enquête, devrait permettre d’inscrire la citadelle d’Amiens dans la liste des camps fermés, dans le cadre de la loi reconnaissance et réparation pour les harkis, votée le 23 février 2022.
Des indemnités "insuffisantes"
La loi prévoit d’indemniser les harkis passés par ces camps fermés, à hauteur de 2 000 à 15 000€, selon la durée du séjour. Des montants jugés insuffisants par les concernés.
Mokhfi Hammoudi est arrivé à l’âge de sept ans dans le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales en 1962, accompagné seulement de son père, combattant Harki. “Il est venu me chercher à l’école et on est partis, il a été obligé de laisser ma mère, mon frère et ma soeur, partis se réfugier dans la montagne. L’armée n’a pas voulu aller les chercher, car c’était trop dangereux, elle risquait une embuscade”. Après cette fuite, il n'a pas revu sa mère pendant plus de vingt ans. “Par rapport à tout ce qu’on a perdu : les terres, nos familles, c’est pas assez, c’est dérisoire” ajoute Mokhfi.
Les associations Harkis constituent des plaintes contre X, qui seront déposées auprès des tribunaux administratifs et pénaux, des instances nationales et internationales pour complicité de crime contre l’humanité.