Pour sa première réunion depuis le retrait de son ex-président Stéphane Haussoulier, condamné en première instance pour escroquerie, blanchiment, détournement de fonds et abus de confiance, le conseil départemental de la Somme voulait afficher une image de stabilité. Et a voté contre l'adoption d'une charte anticorruption, proposée par l'opposition.
La silhouette de Christelle Hiver a remplacé celle de Stéphane Haussoulier dans le siège de la présidence du département de la Somme, pour la première session ordinaire depuis la mise en retrait de l'élu. Le 3 décembre dernier, il a été condamné en première instance pour détournement de fonds, escroquerie, blanchiment et abus de confiance. De nombreux élus du département ont alors demandé qu'il renonce à sa présidence, ce qu'il a accepté le 6 décembre.
Stéphane Haussoulier a fait appel de ce jugement et est à ce titre toujours présumé innocent. Il siège toujours à l'assemblée du Département en tant que conseiller du canton d'Abbeville 2.
Un semblant de normalité
Devant la couronne de lauriers qui orne les boiseries de l'hôtel du département, Christel Hiver, présidente par intérim jusqu'au 23 décembre, tente de donner une image de normalité. Elle glisse tout de même un mot sur "cette session, qui est une session technique, qui devrait être ordinaire et qui, évidemment, est loin de l'être." Mais enchaîne ensuite sur la situation à Mayotte et ne s'étendra pas beaucoup plus sur les démêlés du département de la Somme et de ses élus avec la justice.
Pourtant, le bâtiment où se tient l'assemblée du conseil départemental a fait l'objet d'une perquisition de la gendarmerie quatre jours plus tôt dans le cadre d'une nouvelle enquête, pour favoritisme cette fois. D'après le peu d'informations communiquées à ce stade par le procureur de Beauvais en charge du dossier, les perquisitions concernent aussi "des lieux dans lesquels Monsieur Haussoulier n'exerce aucun mandat ou aucune fonction". Le périmètre d'investigations est donc plus large que l'affaire jugée ces derniers mois. Christelle Hiver rappelle les faits, mais n'en dira pas plus, si ce n'est pour assurer que le Département coopère avec la gendarmerie. Il n'en a pas vraiment le choix.
Échiquier politique
La présidente par intérim annonce aussi la démission de trois vices présidents de commission ces derniers jours. Olivier Jardé, également adjoint au maire d'Amiens, a renoncé à sa présidence de la commission à l'enfance et à la santé. Isabelle de Waziers, à celle des finances et de l'Europe et Sabrina Holleville-Milhat, à celle du tourisme. Tous trois sont membres de la majorité départementale. Olivier Jardé a d'ores et déjà été remplacé par Sabine Carton à la tête de la commission à l'enfance, pour les deux autres, Christelle Hiver assure là aussi l'intérim.
Sabrina Holleville reste conseillère départementale, élue du canton d'Abbeville 2 aux côtés de Stéphane Haussoulier. Olivier Jardé avait annoncé sa candidature à la présidence du département, avant de se retirer au profit de Christelle Hiver.
Christelle Hiver est pour sa part élue cantonale de Doullens aux côtés de Laurent Somon, à l'origine de la dénonciation des agissements de Stéphane Haussoulier auprès de la justice. Laurent Somon représente cependant une liste divergente de droite au département, contrairement à Christelle Hiver, qui fait partie de la majorité. Quoi qu'il en soit, dans l'actualité mouvementée de ces derniers mois, les cartes politiques sont en train d'être rebattues à l'hôtel du département.
L'assemblée vote contre l'adoption de la charte Anticor
Face aux scandales qui éclaboussent le département de la Somme, l'opposition de gauche a proposé pour cette session que l'assemblée adopte la charte d'Anticor, une association qui lutte contre la corruption politique et s'est par ailleurs constituée partie civile au procès Haussoulier.
"Il y a une colère froide sur toute cette situation. C'est pour cela, pour prévenir une répétition de cette situation, que nous proposons que l'assemblée adopte la charte Anticor. L'adoption de la charte Anticor permettrait de progresser dans ces domaines", soulignait Frédéric Fauvet, élu d'opposition de gauche au département.
Une proposition soutenue par l'opposition de la gauche écologiste, Angelo Tonolli, conseiller cantonal d'Abbeville 1, a ainsi pris la parole pour défendre l'adoption de la charte. En 29 mesures, elle propose des mesures pour prévenir la corruption des élus des assemblées départementales et régionales. Les champs d'action sont vastes, de l'interdiction des cadeaux à la garantie du droit d'alerte des élus, en passant par la question du cumul des mandats.
Et c'est visiblement là que le bât blesse, comme l'a exprimé Isabelle de Waziers, qui a défendu la position de la majorité, c'est-à-dire refuser l'adoption de ce texte. Une position sanctionnée par un vote, le département de la Somme n'adoptera donc pas cette charte. "Les mêmes causes produiront les mêmes effets", réagit Frédéric Fauvet suite au refus exprimé par le suffrage. "Tous les points proposés dans la motion de la charte Anticor sont aujourd'hui déjà appliqués par l'assemblée", affirme Margaux Delétré, coprésidente du groupe de la majorité départementale. Une déclaration nuancée par sa propre majorité lors des débats.
Que fait le Département contre la corruption ?
Isabelle de Waziers a en effet pris la parole pour justifier la position de la majorité départementale. "Sur les 29 propositions de la charte Anticor, il faut savoir que le département a déjà mis en œuvre, totalement ou partiellement, 17 actions", indique ainsi Isabelle de Waziers, moins optimiste que sa coprésidente. Certaines dispositions sont des obligations légales, comme la communication de l'attribution des marchés publics ou encore la nomination d'un déontologue indépendant.
Une déontologue avait été nommée en avril pour quatre ans, elle a cependant été remplacée lors de cette session du 16 décembre. Pour le conseiller d'opposition Frédéric Fauvet, le dispositif n'est pas suffisant : "Quand j’avais interrogé la déontologue sur la prévention des conflits d’intérêt, on m’a dit 'circulez, il n’y a rien à voir'. Donc cela ne fonctionne pas."
Si le département de la Somme refuse d'adopter cette charte, il n'en reste pas moins préoccupé par la question de la probité de ses élus. Il va en effet "mener un audit externe afin de réaliser une cartographie des risques d'atteinte à la probité", expose ainsi Isabelle de Waziers. Une cartographie qui sera suivie d'un plan de gestion des risques.
Les réponses à cet appel d’offres ont été reçues le 29 octobre dernier, "le marché sera contractualisé avant la fin de l'année", assure l'ex-vice-présidente de la commission finances. L'opposition note quant à elle que l'audit n'a pas été décidé ni voté par l'assemblée et que son cahier des charges n'a pas été construit avec l'ensemble des élus. Le contribuable appréciera que des fonds du département soient utilisés pour éviter qu'ils ne soient détournés.
Indemnités et cumul des mandats
Autre proposition de la charte Anticor, le fait de rendre l'indemnité des élus départementaux proportionnelle à leur temps de présence aux assemblées et commissions du département. Le règlement de l'institution "prévoit déjà que l'indemnité est modulée en fonction des absences non justifiées aux séances du conseil départemental et de la commission permanente", souligne Isabelle de Waziers. Un vingtième de l'indemnité est ainsi retirée par demi-journée d'absence non justifiée. Cela toutefois dans la limite de la moitié de l'indemnité. L'article du règlement intérieur ne mentionne pas les réunions des commissions thématiques. L'exercice d'autres mandats est en outre un motif d'absence valable.
Le règlement intérieur du département est donc bien en deçà de ce qui est écrit dans la charte Anticor, qui par ailleurs, comporte une disposition d'interdiction de cumul de certains mandats. "Les titulaires de fonctions exécutives du conseil n’auront pas en parallèle de mandat de maire d’une commune de plus de 9 000 habitants ou d’autres mandats nationaux (c’est déjà le cas pour les parlementaires) afin de se consacrer pleinement à leurs fonctions. Le président du conseil n’effectuera pas plus de deux mandats consécutifs", propose ainsi le texte rédigé par l'association.
"Concernant les actions proposées, certaines ne sont pas partagées sur le fond, comme le non-cumul des fonctions publiques avec un mandat de maire de plus de 9 000 habitants", tranche Isabelle de Waziers. L'adoption de cette disposition contraindrait en effet Hubert de Jenlis à faire un choix : nouveau maire d'Amiens, il siège toujours au Département en tant qu'élu de la majorité. Ou encore Laurent Somon, qui cumule sa fonction avec un mandat de sénateur. Une proposition aux répercussions très politiques.
Nouveau rendez-vous le 23 décembre
Si les débats de cette session ordinaire se sont concentrés sur les conséquences de l'instabilité gouvernementale et du retard du vote du budget 2025 sur les institutions locales, en creux se dessine l'incertitude concernant l'avenir politique du Département. Une inquiétude tue, mais présente, comme Stéphane Haussoulier qui s'est fait très discret lors des discussions sur la probité des élus.
Une session extraordinaire est prévue le 23 décembre afin d'élire la nouvelle présidence du département de la Somme. A priori, la majorité présente Christelle Hiver comme candidate unique. L'opposition de gauche et écologiste s'est réunie dans l'après-midi du 16 décembre pour parler de cette élection, d'après nos informations, elle a décidé de ne pas présenter de candidat.
"Je pense que nous serons spectateurs et que nous ne prendrons pas part au vote la semaine prochaine, annonce ainsi Laurent Beuvain, président du groupe d'opposition gauche démocrate républicaine. Maintenant, il appartient à la majorité de balayer devant sa porte, nous, on se contentera de regarder."
Une position commune aux élus des groupes de gauche, comme l'illustre Frédéric Fauvet : "ce n’est pas nous qui avons déclenché tout ce branle-bas de combat, on ne se sent pas très concernés. On est surtout préoccupés par d’autres urgences, on proposera à la majorité départementale un pacte sur les priorités. On leur demande un certain nombre de garanties sur ces sujets, pour être constructifs dans la construction du budget du département."
Le débat d'orientation budgétaire aura lieu le 3 février prochain. Le conseil départemental gère les budgets de l'action sociale, notamment la prise en charge du handicap, le maintien à domicile des personnes âgées, l'aide sociale à l'enfance et le RSA. Il finance également les pompiers, les collèges, les routes départementales. Si ses déchirements politiques et ses déboires judiciaires font couler beaucoup d'encre, c'est que leur impact sur la vie de milliers d'habitants de la Somme est bien réel.
Avec Camille Di Crescenzo / FTV