Trop de retards, trop d'annulations, trop de contraintes imposées aux voyageurs. Le service TER Hauts-de-France est souvent décrit comme le pire de France, notamment en cette année 2021. Est-ce vraiment le cas ? Décryptage.
Avec des retards et annulations en série chaque jour, cette année 2021 fut éprouvante pour les usagers des TER Hauts-de-France. À tel point que le conseil régional a décidé de suspendre ses paiements à la SNCF mercredi 1er décembre, "avec effet immédiat, dans l’attente d’un redressement de la qualité de service."
Régulièrement, ce service TER est assimilé au pire de France, avec des lignes en direction de Paris notamment très impactées. Selon les chiffres regroupés par la SNCF, la région se classe en effet parmi les plus en difficulté.
Le taux de régularité le plus bas de France
Sans surprise, sur l'année 2021, la région Hauts-de-France affiche le taux de régularité le plus bas : 90,7 % en moyenne sur 270 000 trains programmés, bien loin des 98 % définis dans la convention SNCF-Région. Devant elle, l'Occitanie affiche 91,2 % de régularité en moyenne et Provence-Alpes-Côte d'Azur 92,4 %.
C'est mieux certes qu'en 2018, où l'on retrouve les premiers chiffres post-fusion des régions. Cette année là, le taux de régularité dans les Hauts-de-France était de 89,2 %, soit le 5e taux le plus bas de France. En 2019, on constate une légère amélioration avec 89,9 % de régularité, mais la région Hauts-de-France est toujours à la traîne par rapport aux autres et enregistre le 3e taux le plus bas de France. En 2020, elle réussit à passer la barre des 91% mais sur une année marquée par la crise sanitaire où moins de trains étaient programmés : près de 257 000 contre 300 000 en 2018 et 320 000 en 2019.
"C'est une situation qui n'est pas nouvelle, réagit Gilles Laurent, président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) Hauts-de-France, ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la SNCF se fait remonter les bretelles par la région. Des plans d'urgence ont déjà été mis en place, mais on ne voit pas beaucoup d'améliorations. Et la situation perdure sans que rien ne se passe. C'est endémique."
La météo, les sangliers, les feuilles
Ces retards constatés quotidiennement par les usagers peuvent être multiples : au départ lors de la préparation du train, au moment du trajet (circulation des trains encombrée, accident de personnes, accident avec des véhicules routiers, heurts d'animaux), à l'arrivée en gare (souvent parce que les voies n'ont pas été libérées). "C'est un problème de matériel, de panneaux de signalisation, d'aiguillage ou encore la météo, détaille José, un habitué de la ligne Laon-Paris. Donc les 5 ou 10 minutes de retard que l'on peut prendre, à Paris Nord, cela peut s'amplifier et c'est problématique lorsqu'il y a plusieurs correspondances à prendre ensuite."
Sans parler des mouvements sociaux, des conditions climatiques défavorables et des fameuses feuilles qui collent sur les rails et qui empêchent les trains de rouler. "Tous les ans, on a une difficulté et c'est vieux comme le chemin de fer : à l'automne, les feuilles tombent. Ça, on le sait, on ne le découvre pas. Mais ces feuilles sont écrasées par les trains, explique le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, au micro de franceinfo. Il y a une pellicule grasse qui se met sur les rails et les trains, quand ils freinent, patinent. Et ça abîme les roues. Et quand les roues sont abîmées, on est obligés de faire passer les engins à l'atelier pour reprofiler les roues. Ça, c'est classique. Mais ce qu'on a eu cette année, ce sont les experts qui le disent, c'est que la végétation a été particulièrement luxuriante. Il y a eu beaucoup de feuilles et les feuilles sont tombées massivement."
"Les feuilles et les sangliers ont bon dos, rétorque Gilles Laurent. Quand les trains sont endommagés, on voit bien que les ateliers de réparations n'arrivent pas à suivre. Pour nous c'est un problème d'organisation interne à la SNCF." Résultat, les causes de retards s'accumulent et les désagréments aussi. À tel point que désormais, les trains sont purement et simplement supprimés. Et les voyageurs, obligés encore une fois de composer.
Le plus gros taux d'annulation de trains en 2021
En 2021, la suppression des trains est l'une des principales problématiques. Les Hauts-de-France affichent un taux d'annulation de 3,8 % sur 10 mois en 2021 devant les régions Occitanie (2,9 %) et Grand-Est (2,4 %). En octobre 2021, le taux d'annulation est même grimpé à 6,14 %, le plus fort taux de l'année en France avec 1843 trains annulés sur 30 032 programmés. "Et dans tout cela, les trains déprogrammés ne sont pas comptabilisés, ajoute le président de la FNAUT Hauts-de-France. Je parle de ceux qui étaient affichés aux horaires théoriques habituels, mais qui sont supprimés quelques jours avant."
Selon les chiffres, la situation étaient sensiblement différente les années précédentes. En 2019, le taux d'annulation des TER dans les Hauts-de-France était de 2,3 % alors que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur affichait un taux de 4,4 % et Occitanie 3,3 %. L'année suivante, la donne n'a pas vraiment changé avec un taux d'annulation de 2,4 % dans les Hauts-de-France.
Alors certes, l'année 2021 fut notamment marquée par des mouvements sociaux et la neige au mois de février, empêchant ainsi les trains de circuler. Mais les aléas externes ne sont pas les seules causes. "Il y a un motif qui passe partout en ce moment, c'est la suppression du train car les conditions de préparation de la rame n'ont pas permis son départ en toute sécurité, on peut mettre ce que l'on veut derrière, sourit amèrement Gilles Laurent. Il y a un réel problème de maintenance et ce n'est pas normal que cela arrive aussi souvent."
La SNCF l'énonce elle même : plusieurs rames manquent chaque jour à la production d'un service normal. Il manque aussi du personnel, lié selon elle "aux difficulté de recrutement et retard de formation consécutif à la situation sanitaire."
Une situation que subissent également les agents, en grève depuis le 29 novembre afin de dénoncer leurs mauvaises conditions de travail. "La SNCF a supprimé énormément de postes, ce qui fait que l'on se retrouve maintenant dans un métier de grande solitude, on n'a plus personne quand on prend notre service, on n'a plus personne en gare, puisqu'on donne les départs de train nous même. Il y a même des trains, côté Picardie, où il n'y a plus de contrôleurs, alors que côté Nord-Pas-de-Calais on fait rouler des trains avec des contrôleurs. Tout ça, ça pèse sur les conditions de travail et sur le moral des agents", nous confie Loïc Ferte, secrétaire de région du syndicat Force ouvrière cheminot à Amiens.
Des trajets souvent debout
Malgré les grèves et les alertes multiples des associations d'usagers, les conditions ne se sont pas améliorées. Les voyageurs se retrouvent ainsi contraints d'utiliser et de payer un service qui ne fonctionne pas. Prévenus au dernier moment, le plus souvent, ils ne peuvent envisager d'utiliser un autre moyen de transport. "Pour ceux qui vont vers Paris ou Lille, c'est très difficile de se reporter sur sa voiture. Nous les premiers on souhaite utiliser le train, mais on a toujours peur d'être en retard. On se dit toujours que c'est bon pour le matin, mais qu'est-ce qu'il va se passer le soir ?", déplore le président de la FNAUT Hauts-de-France.
Alors il faut s'organiser, comme nous confiait Marc, étudiant en journalisme. Il emprunte la ligne Laon-Paris trois à quatre fois par semaine depuis plus de trois ans, l'une des pires du réseaux où les annulations à répétition étaient devenues insupportables en août dernier. "Je prends un train une ou deux heures avant, pour être sûr d’arriver à l’heure. Parce qu’avec les annulations et les retards, on n’a pas forcément la correspondance avec le RER après ou alors il peut y avoir des problèmes dans le RER ou le métro."
Lorsque les trains parviennent à arriver en gare, les voyageurs découvrent régulièrement qu'ils manquent des rames. "Lorsque le train est supprimé, on attend le suivant. Alors celui-là roule, certes, mais il est plus petit. Souvent c'est une seule rame au lieu de deux. Les gens doivent donc rester debout ou pire ne peuvent pas monter dans le train", relate Gilles Laurent.
Lundi 7h50 à Orry.
— ry pga (@RyPga1) November 29, 2021
En plus de la promiscuité qui nous est encore une fois imposée, notre train voit son rythme de croisière ralenti par une avarie.
Résultat: on voyage lentement et inconfortablement.
Comme aux temps des diligences.@SNCFvamtuer@TERHDF @FDhersin pic.twitter.com/gNHzMBjOrK
Et si par chance, les voyageurs peuvent s'assoir, la qualité du service n'est pas forcément au rendez-vous : des vieux trains, pas de prises, parfois pas de chauffage. "En réalité, on n'en est plus à ce niveau-là, on veut juste des trains qui roulent et arrivent à l'heure, affirme le président de la FNAUT Hauts-de-France. Je n'arrive pas à trouver une autre entreprise en France avec un niveau de service aussi dégradé."
Lorsque le conseil régional avait menacé de suspendre son financement le 25 octobre dernier, un plan d'urgence avait été annoncé par la SNCF avec l'affectation de 40 personnels roulants, conducteurs et contrôleurs et deux locomotives supplémentaires. Elle devait aussi reverser 1 million d'euros à la région "compte tenu des services non rendus." Mais force est de constater que les dysfonctionnements ont perduré.
Vendredi 3 décembre, une réunion entre la région Hauts-de-France et la SNCF est prévue à Lille pour tenter de trouver enfin une solution.