Méconnu, l’écoféminisme vise à entrecroiser la lutte pour l’égalité des genres et celle pour la justice climatique. Trois questions à Jeanne Burgart-Goutal, philosophe et spécialiste de l'écoféminisme.
Et si une synergie était possible entre les luttes féministes, climatiques mais aussi sociales ? C’est la théorie des écoféministes. Le courant, à la fois philosophique, politique et théologique, est né dans les années 1970 et aurait été utilisé pour la première fois par la femme de lettres et militante Françoise d'Eaubonne.
On ferait du tort à l’écoféminisme en essayant de le résumer en une punchline.
Jeanne Burgart-GoutalPhilosophe et spécialiste de l'écoféminisme
L’occasion de mieux comprendre ce qu’implique l’écoféminisme. Philosophe, autrice de "Etre écoféministe : Théories et pratiques", Jeanne Burgart-Goutal a enseigné pendant 7 ans au lycée Alain d’Alençon, dans l’Orne. Pour elle, le mouvement est aussi complexe que le marxisme, ou d’autres idéologies politiques et philosophiques.
France 3 Normandie : Comment définiriez-vous l’écoféminisme ?
Jeanne Burgart-Goutal : C'est un mouvement qui cherche à relier le féminisme et l’écologie. Au-delà de ces deux enjeux, il s’agit de comprendre comment les différents systèmes de domination sur les femmes, la nature, la classe sociale, raciale, les pays du Nord sur les pays du Sud, s'imbriquent dans le système capitaliste patriarcal et colonial.
Le mouvement existe depuis 50 ans et a développé de nombreuses théories : il serait réducteur d’essayer de l’expliquer en trois lignes. Aucune d’entre elles ne fait l’unanimité chez les écoféministes. Mais leur point commun reste un ensemble de questionnements qui tente de déterminer comment ces différentes formes de domination agissent ensemble, comme un cercle vicieux, dans notre système économique.
Je ne suis moi-même pas d’accord avec toutes les théories, mais les questionnements et pistes d’analyses qu’elles ouvrent pour comprendre ces liens, c’est passionnant et ultra-contemporain. Ces réflexions peuvent mener à des mobilisations et luttes concrètes, mais aussi à des tentatives d’expérimentation de modes de vie alternatifs, par exemple.
Dans les faits, quels liens peut-on observer entre écologie et droits des femmes, et quelles revendications en tirez-vous ?
Le capitalisme repose sur la surexploitation du travail, du corps des femmes, des ressources naturelles… Cette dévalorisation commune de certaines catégories humaines et de la nature est véhiculée dans notre inconscient collectif à travers des récits, des films… Il y a un rapport entre les inégalités globales et le fait que cette société a développé, avec les années, une destruction puissante de la nature : le capitalisme patriarcal a utilisé l’exploitation contre les humains pour exploiter les ressources.
Nos revendications sont variées, mais les écoféministes ne veulent pas sacrifier un enjeu pour un autre, et l’environnement occupe une place centrale. Beaucoup de militantes, par exemple, faisaient partie de collectifs écologistes… Avant de se rendre compte qu’au sein de ces collectifs, des logiques sexistes se reproduisaient. On refuse de porter une écologie qui oublierait les questions de justice sociale, de justice de genre, de féminisme, les questions raciales et environnementales. Il faut veiller à avoir le moins possible d’angles morts…
Ce mouvement porte des valeurs et des idéaux aux antipodes du capitalisme actuel, il refuse de rentrer dans une logique institutionnelle.
Jeanne Burgart-Goutal
La lutte est-elle destinée à prendre de l’ampleur ?
Depuis sa naissance, le mouvement a connu des hauts et des bas, des périodes d’expansion et des retours de bâton assez difficiles : il n’est pas linéaire. Lorsque j’ai commencé à m’y intéresser, en 2012, j’enseignais dans l’Orne. A partir de 2015, l’écoféminisme a connu un essor fulgurant avec la COP21, avant de s’essouffler. Depuis le confinement, ça reprend.
Mais il est difficile de savoir quel est l’avenir de l’écoféminisme. Ce qui est certain, c’est que ce mouvement porte des valeurs et des idéaux tellement aux antipodes du capitalisme actuel et du fonctionnement des États et institutions, que je ne vois pas comment il pourrait être autre chose qu’un mouvement d’opposition. Il refuse de rentrer dans une logique institutionnelle.
C’est un peu comme l’anarchisme : ces utopies politiques sont des formes de résistance et de contestation. Je ne pense pas que les écoféministes auront le pouvoir un jour ! Elles ne s’inscrivent pas dans le fonctionnement réel du monde contemporain. Mais cette puissance et cette volonté de créer un autre imaginaire sont très importantes.