L'extension du tramway à Caen va couper en deux l'établissement public de santé mentale de Caen (EPSM) en 2029. Des patients vulnérables vont devoir cohabiter avec le chantier. Tentatives de suicide, risques de fugues : les personnels soignants alertent sur les problèmes de sécurité que pose le non-report des travaux.
"Certains sont bipolaires avec des phases maniaques, d'autres en situation de grande dépression et il y a qui ont même des hallucinations". Depuis quelques années, Stéphanie, infirmière, s'occupe de ces patients de l'établissement public de santé mentale de Caen (Calvados).
Des patients vulnérables
Des personnes vulnérables qui n'arrêtent pas de lui poser de nombreuses questions sur le chantier de travaux du tramway qui va traverser l'hôpital psychiatrique et bousculer leur quotidien : "Pourquoi on ne veut plus de moi ici ? On va aller où ? On va faire quoi de nous ? Ils sont inquiets, certaines vivent ici depuis longtemps. Ils ont leurs rituels, leurs habitudes qui leur permettent, pour quelques-uns, de rester un minimum autonome, mais là, je ne sais pas comment ça va se passer", lance la soignante.
En 2029, la nouvelle ligne de tramway va couper littéralement l'EPSM de Caen en deux. Elle va longer l'un des bâtiments de l'hôpital psychiatrique où vivent 80 patients fragiles. Durant six à neuf mois, ils vont devoir cohabiter avec le chantier de travaux. L'édifice se retrouvera coupé du reste de l'établissement et les patients devront passer obligatoirement par la ville pour rejoindre les autres services de l'hôpital.
"Ils sont dégradés psychiquement, ils n'ont pas la notion du danger. Certains ont du mal à s'orienter. Actuellement, on doit même descendre avec différents patients pour qu'ils fument une simple cigarette", explique Stéphanie. Des patients n'ont pas le droit de sortir de l'enceinte de l'hôpital, mais avec les travaux, un des murs va être détruit, ce qui donnera une ouverture sur la ville de Caen : "On a déjà des patients qui réussissent à s'enfuir, on les retrouve deux, trois jours plus tard et parfois, ils prennent même le train pour Paris. La tentation va être encore plus grande !", prévient l'infirmière.
Des risques de tentatives de suicide et de violence envers les autres
La soignante nous explique que certains peuvent même être violents : "On les accompagne pour faire des tâches du quotidien, comme aller retirer de l'argent. Mais on est environ cinq soignants par service pour 80 patients. C'est compliqué parfois d'être là pour tout le monde alors ça génère des frustrations et des crises de colère à notre encontre".
Elle craint pour la suite : "Ils ne sont pas habitués à voir beaucoup de monde. En passant par la ville pour se déplacer, certains patients peuvent péter les plombs avec le regard des autres. D'autres vont s'adonner à la mendicité, taxer des cigarettes et s'énerver si on leur dit "non"". Elle poursuit, le ton encore plus grave : "Et il y a les tentatives de suicide. Des patients vont à la pharmacie et s'achètent plusieurs boîtes de Doliprane et les avalent pour tenter de mettre fin à leur vie. Ce phénomène risque de s'accentuer s'ils ont un mal-être".
Des inquiétudes que partage Stéphanie tous les jours avec ses collègues. C'est même devenu le centre de leur conversation : "On est en sous-effectif, c'est déjà compliqué aujourd'hui. Comment on va pouvoir être disponible pour tout le monde et les surveiller avec cette ouverture vers la ville ?"
Ces 80 patients en questions quitteront à terme ce fameux bâtiment dans lequel ils vivent. Ils seront transférés dans un autre édifice qui sera construit à quelques mètres de là, mais seulement plusieurs mois après le début des travaux.
Impossible de reporter les travaux pour Caen la Mer
Les syndicats ont donc demandé le report des travaux de neuf mois : "Les patients seraient ainsi en sécurité pour eux et les autres dans leurs nouveaux appartements, ils n'auraient pas à subir tous les désagréments et les bruits. Nous avons notamment un patient hypersensible aux bruits qui peuvent lui déclencher des crises de paranoïa. Ce déménagement est déjà un gros changement. Mais s'il y a ces travaux qui viennent les perturber en plus, ça va être compliqué à gérer pour eux et pour le personnel soignant", lance Gwennaëlle Jaouen, secrétaire CGT de l'EPSM de Caen.
De son côté, la direction de l'établissement explique que la sécurité des patients est essentielle à ses yeux et qu'elle fait tout pour réduire les risques liés au chantier : "C’est une vraie question que nous posons à la communauté urbaine de Caen la Mer. Elle s’est engagée à étudier la possibilité d’avoir une alternative et soit différer, soit modifier un peu l’agencement du chantier pour que ne persiste plus cette ouverture vers la ville. En termes de calendrier, nous aurons les résultats de cette étude début 2025", explique Xavier Bouchaut, directeur de l'EPSM de Caen.
Les travaux de cette nouvelle ligne de tram ont déjà été reportés d'un an à cause d'une enquête sur la faune et la flore. Un nouveau décalage de neuf mois est inenvisageable pour la communauté urbaine Caen la Mer : "Ce projet de service public et de mobilité est nécessaire pour le territoire et il faut que nous puissions tout mettre en œuvre pour livrer le tramway dans les meilleurs délais. En revanche, nous avons des mois avant que le chantier de travaux ne débute. Alors, nous allons tout faire pour que l’organisation de ces travaux à l’EPSM se fasse conjointement avec l’établissement public de santé mentale", veut rassurer Nicolas Joyau, président de la communauté urbaine Caen la Mer.