La météo a jeté un froid. Il n'a fait que pleuvoir au printemps, l'été a été frais et humide et en septembre, les températures sont automnales. Les raisins mûrissent très lentement. Les pionniers de la viticulture normande s'étaient habitués à des fins d'été très chaudes. Ils se retrouvent fort dépourvus quand le temps ressemble à celui du siècle dernier.
" Je ne m'étais pas préparée à ça dès la première année et c'est un coup dur": Axelle Piednoël s'aprête à faire ses première vendanges sur son domaine à Bourg Achard (27). Mais il lui faudra attendre encore plusieurs semaines avant de pouvoir récolter ses premières grappes. La météo humide du printemps et le manque de chaleur de l'été ont sérieusement retardé le mûrissement des raisins.
La situation s'est compliquée dès le mois d'avril, avec un peu de chaleur suivie de gelées. Les jeunes pousses sont tombées, et les pousses secondaires sont arrivées 3 semaines après. Ce retard là n'a jamais pu être comblé.
La constat est le même chez tous les viticulteurs normands, mais il est particulièrement amer pour ceux qui ont planté il y a 3 ans et attendaient leurs premières vendanges avec impatience.
En s’installant en viticulture on a conscience qu’il peut y avoir des années moins bonnes et qu’on est tributaires de la météo. J’avais ciblé 2000 bouteilles pour cette première récolte, on en est loin, si j’arrive à faire 300 bouteilles déjà , ce sera une bonne chose.
Axelle Piednoël, viticultrice à Bourg Achard (27)
L'humidité a apporté des champignons parasites sur la vigne
Fabrice Larchevêque aussi a dû revoir ses prévisions à la baisse. Il a également planté de la vigne en 2021 à Sauchay (76) près de Dieppe. "J'espérais faire 500 bouteilles pour cette première année, je vais en faire au moins moitié moins" explique le jeune vigneron. "Avec l'humidité du mois d'août, mes vignes ont été attaquées par le mildiou et l'oïdium".
Les deux ennemis jurés de la viticulture ont donné du fil à retordre aux normands cette année. D'autant plus à ceux qui cultivent en bio. Même s'il n'est pas labellisé, Fabrice Larchevêque utilise les mêmes techniques. C'est donc à coup de soufre et de cuivre qu'il a lutté toute la saison contre ces champignons.
Et ces attaques ne s'abattent pas que sur les jeunes vignes. Dans le Calvados, au domaine des arpents du soleil , on produit du vin depuis plus de 25 ans. Etienne Fournet a repris le flambeau du domaine il y a un an et demi et s'est lancé dans la conversion en bio. Sa deuxième saison à Saint Pierre sur Dives a été compliquée : "J'ai dû faire 10 traitements de soufre et cuivre. On va s'en sortir, car le raisin mûrit de toutes façons" estime le viticulteur, avant d'ajouter: "Sauf s'il se met à neiger!" Une plaisanterie... de saison !
Avec 4 degrés prévus au thermomètre ces nuits de mi-septembre, le gel n'est pas loin. Et là, ce serait beaucoup moins drôle. "Avec le gel, l'eau prend de la place dans le raisin, et au dégel, ça explose. S'il gèle, ce serait un an de travail perdu" . Tous les viticulteurs normands scrutent la météo jour après jour : point de gelée annoncée, mais des températures plus clémentes qui permettraient d'envisager des vendanges...
Une saison typiquement normande?
Les vendanges seront donc décalées d'au moins 3 semaines en Normandie. Aux Arpents du Soleil, elles ne se feront pas avant fin octobre. Et le vin rouge ne sera pas chargé en alcool: 11-12 degrés cette année, contre 15 degrés après un été très chaud. "On va finalement tirer profit de cette année, car du vin léger se boit mieux!" estime Etienne Fournet.
Le réchauffement climatique nous facilite la tâche, car le raisin mûrit plus vite et nécessite moins de traitement. Mais cela fait augmenter le taux d'alcool, et sur le long terme, du vin à 15 degrés ce n'est pas souhaitable!
Etienne Fournet, viticulteur au domaine "les arpents du soleil" (14)
Moins chaud et plus humide, finalement cette saison n'est-elle pas une saison typique de la Normandie du siècle précédent? N'est-ce donc pas une bonne idée de planter de la vigne dans notre région?
"Cette saison est atypique, mais cela ne veut rien dire. Il y a eu par le passé de la vigne en Normandie, puis cela s'est arrêté pour des raisons légales. Elles sont de retour depuis qu'on a à nouveau le droit d'en replanter. Ce n'est pas qu'une question de climat, c'est une question d'adaptation au milieu" explique Edouard Capron, viticulteur à Freneuse (76) et Président de l'association des vignerons de Normandie.
En 2023, il a vendangé le 5 septembre. Il aura un mois de retard comme ses confrères en 2024, mais il prévoit toujours de récolter "de beaux fruits" et en quantité suffisante. Les viticulteurs normands sont donc loin de l'année catastrophique de leurs homologues de Bourgogne.
Des années comme celle-ci vont exister en Normandie. Cela fait partie de l'agriculture. Il faut être attentif et adapter les méthodes culturales et les cépages.
Edouard Capron, Président de l'association " Vignerons de Normandie"
Rendez-vous est donc donné dans quelques semaines pour le bilan définitif de ces vendanges normandes tardives. Et comme le fait remarquer Edouard Capron, tout n'est pas à jeter dans cette année 2024 : "C'était une bonne année pour les plantations!"
Ils sont désormais plusieurs dizaines à investir dans la vigne dans la région, et les petits nouveaux comme ceux qui se sont agrandis ont bénéficié de l'humidité nécessaire cette année, nul besoin d'arroser les jeunes plants !