80 ans du Débarquement. Mythomanes, imposteurs, usurpateurs : quand les faux héros sont démasqués

Ils s'appellent Steele, Manoian, Cook, Klein, et ont en commun d'avoir débarqué en Normandie en 1944. Cependant, ces vétérans ont par la suite très fortement romancé leur participation à la Libération, jusqu'à parfois s'inventer une histoire plus héroïque que la réalité.

80 ans après le Débarquement allié sur les plages de Normandie, il ne reste plus qu'une poignée d'acteurs ou de témoins de cet évènement clé de l'Histoire. Quelques dizaines de vétérans, plusieurs centaines de survivants normands tout au plus, qui racontent à l'envi leurs souvenirs de l'époque. 

Si certains s'attachent à livrer un récit détaillé en mettant un point d'honneur à s'attacher à la vérité, d'autres, par le passé, n'ont pas hésité à prendre quelques distances avec la réalité, quitte à s'inventer une vie de super-héros. 

Le jour le plus long : ce qu’on peut lui reprocher c’est d’avoir mis en avant des choses inexactes qui ont envahi la mémoire collective.

Jean Quellien, historien

John Steele, et le mythe romancé du clocher de l'église

C'est l'une des scènes marquantes du film américain Le Jour le plus long (1962). John Steele, parachutiste de la 84e Airborne, atterrit dans le bourg de Saint-Mère-Eglise. Un éclat d'obus le blesse à la jambe, lui faisant perdre le contrôle de son parachute qui s'accroche au clocher de l'église. Suspendu, les pieds dans le vide, il assiste à des combats sur la place du village. Tout du moins c'est qu'il raconte à qui veut bien l'entendre.

Car on sait désormais qu’il n’est pas tombé du côté indiqué, et qu'il n'a ainsi pas pu être le témoin des scènes de combats qu’il décrivait sur la place du village. En revanche, la suite de l'histoire racontée, sa capture par les Allemands et son évasion, semble être plus en accord avec la réalité.

Quoi qu’il en soit, le poids de l'anecdote fait qu'aujourd'hui encore, son mannequin de cire et de toile trône encore sur le toit de l’église. Sur le mauvais pan mais tant pis, on ne touche pas à la légende qui a fait la renommée internationale du village manchois.

Eugene Cook, l'usurpateur

Il prétendait avoir appartenu au 506e régiment de la 101e Airborne, et avoir ainsi fait partie des parachutistes du DDay. Une plaque à son nom a même été apposée sur un mur rendant hommage aux troupes aéroportées. Eugene A Cook a en fait profité d'une homonymie pour s'inventer une vie de héros. 

La supercherie a été découverte par l'historien américain Brian Siddall, qui a retrouvé le CV militaire que Eugene A Cook clamait avoir perdu. Il est écrit dans le document que le soldat est arrivé en Europe bien après le Débarquement, le 19 mars 1945 précisément. Il aurait en fait usurpé l'identité de Eugene N Cook, un vrai soldat de la division aéroportée, décédé au combat. "Ce sont des gens qui volent l'histoire et les faits de guerre d'autres militaires.

Les vétérans sont toujours surpris de l’importance qui leur est accordée ici, ils sont connus et reconnus, plus qu’aux Etats-Unis. Quand on leur annonce que tout ce monde vient pour eux ils ont l’impression d’être des rockstars. L’un d’eux m’a même dit : "on est Superman".

Eric Belloc, conservateur de l'Airborne Museum de Sainte-Mère-Eglise

Manoian, l'imposteur

Faut-il s’étonner des dérives et accidents de l’histoire ? Au fur et à mesure des années, plusieurs "faux vétérans" sont apparus dans le paysage. Le plus connu s’appelait Howard Manoian. Ce soldat US établi aux environs de Sainte-Mère-Eglise était devenu la mascotte du bourg racontant à tout va ses exploits du 6 juin, notamment sa descente en nocturne aux abords du cimetière.

Il paradait en ville au volant de sa grosse limousine américaine paré de ses sweat-shirts et casquettes aux couleurs de la 82ème Airborne. Les autorités françaises lui offrirent même la légion d’honneur.


 
Or, le caporal Manoian avait tout inventé. Encore une fois, le pot aux roses fut dévoilé Brian Siddal, via son site Airborneinnormandy. Howard Manoian appartenait en réalité à la 33ème Chemical company, arrivée en France non pas le 6 juin mais deux jours plus tard.

Il faut quand même prendre cette histoire avec des pincettes parce que oui, c'est faux, dans le sens où ce n'était pas un parachutiste, mais c'était bien un vétéran d'une unité de décontaminiation chimique qui a bien débarqué en Normandie en juin 1944, à Utah Beach.

Erci Belloc, conservateur de l'Airborne Museum de Sainte-Mèer-Eglise

Lorsqu'il fut démasqué, Manoian repartit illico vers l'Amérique, où il mourut quelques années plus tard.

Klein, le mensonge pour réparer la blessure

Dans la même veine de mensonge, on trouve Georges Klein, qui fut  l’une des célébrités du 73e anniversaire du débarquement de Normandie en 2017. Un financement participatif avait permis de le faire revenir sur les traces de ses exploits... ou plutôt de découvrir des lieux qu'il n'avait jamais arpentés.

Klein racontait qu'il avait fait partie du 2e régiment de Rangers, débarqué à la Pointe du Hoc au matin du 6 juin. Aux historiens qui lui faisaient remarquer qu'il n'était pas sur les listes de l'armée US, le vétéran répondait qu'il avait remplacé un chef de section au dernier moment. 

La supercherie fut finalement dévoilée par l'association DDay Overlord. Alors que les combats faisaient rage sur les côtes manchoises, Georges Klein était encore en Irlande avec son régiment d'artillerie. Il n'a jamais été un Rangers, une blessure lors d'un stage d'escalade l'avait privé de l'intégration à cette unité d'élite. S'il a bien combattu durant la guerre, et même été blessé, ce fut lors de la campagne de Moselle, et non en Normandie.

Pour George Klein, le fait de ne pas avoir été considéré au même titre que les Rangers malgré son investissement personnel aurait causé une immense blessure dont le seul remède fut probablement de créer un tel univers imaginaire.

Marc Laurenceau, association DDay Overlord

La vérité face au besoin d'héroïser

Imposteurs, mythomanes, opportunistes : comment considérer ces hommes, comment les nommer ? La psychologue ornaise Jacqueline Maillard refuse de recourir à la psychopathologie et de juger des cas individuels. Elle y voit bien au contraire un phénomène collectif : "Il faut réfléchir en termes de groupalité, qu’est-ce qui fait que nous avons besoin d’héroïser ?"

Elle se montre particulièrement sensible à l’histoire d’Howard Manoian, cet homme déraciné dans son jeune âge, ayant comme d’autres, traversé les horreurs de la guerre et ne trouvant pas les mots pour raconter l’indicible vérité. Les témoins disparaissaient, les « vrais acteurs » du 6 juin, les premiers à recueillir tous les honneurs se faisaient rares, il y avait des places à prendre, des vides à combler comme eux comme pour nous, ils s’y sont glissés.

Ils ont tous disparu désormais, "c’étaient de vieux messieurs" ironise Jean Quellien, peu soucieux qu’ils aient entaché la grande histoire. Mais l’historiographe s’interroge sur les nécessaires figures d’attachement. Il cite notamment l’anecdote du capitaine Miller, dont de nombreux visiteurs du cimetière américain de Colleville-sur-Mer cherchent la tombe désespérément. Miller est une pure invention de cinéma issue du film Il faut sauver le soldat Ryan dont Tom Hanks fut le héros, ces héros dont nous avons tant besoin. Au risque de nous tromper parfois.

 

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