Témoignage. "Les crises arrivent une fois, puis deux, et ne s’arrêtent plus" : elle raconte l'escalade de la violence conjugale

Publié le Écrit par Vincent-Seignet Juliette

Depuis plus de 20 ans, Anaïs* vit dans la peur et sous la menace du père de deux de ses enfants. Si elle a survécu aux coups de son bourreau, elle a décidé, il y a deux ans, de déposer plainte. L’homme est toujours en liberté et n’a, pour le moment, pas été jugé.

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20 années d’enfer et de souffrance. Derrière ses yeux en amande et son sourire discret se cache une femme totalement détruite. Le calvaire commence lorsqu’à 17 ans, elle rencontre cet homme, qui deviendra, rapidement, son bourreau.

À l’époque, Anaïs* avoue être un peu perdue. Elle a deux enfants en bas âge d’une précédente union. Sans boulot, elle vit chez ses parents dans l’agglomération rouennaise. 

Claques, menaces au couteau...

Elle croise le regard de ce "monsieur", c’est comme ça qu’elle le nomme aujourd’hui, lors d’un mariage d’amis. Lui a quatre ans de plus qu’elle et lui propose rapidement de vivre ensemble. "Au début, la relation se passe bien", assure la jeune femme.

Le jeune couple s’installe dans une commune de l'agglo de Rouen, enchaîne les petits boulots, mais les problèmes financiers surgissent. Les difficultés s’accumulent au même rythme que les crises de jalousie de l’homme.

"Lorsqu’il perd son papa en 2004, la violence commence à arriver au sein de notre couple. Au début, les crises arrivent une fois, puis deux, et ne s’arrêtent plus", se souvient Anaïs, la gorge nouée. À peine un an que leur histoire a démarré et les coups commencent déjà à pleuvoir. 

Les épisodes s’enchaînent et se ressemblent. Un soir, elle sort de chez le coiffeur, lui l’attend et la traîne dans la rue par les cheveux. Un matin, devant l’école des enfants, il la menace en lui mettant un couteau sous la gorge.

Un après-midi, il débarque sur son lieu de travail, lui assène plusieurs claques au visage et lui ouvre la bouche. Résultat : dix jours d’Incapacité totale de travail (ITT).

La peur de déposer plainte 

Mais, comme très souvent dans les cas de violences conjugales, après la tempête, l’accalmie revient. Il s’excuse et promet d’arrêter ses excès de violence. "Il est très malin, il fait très attention à son comportement à l’extérieur." Devant leurs proches, Anaïs se tait et se mure dans le silence.

Elle devient rapidement sous son emprise et n’arrive plus à gérer les crises de son compagnon. Déjà maman de deux garçons, elle refuse de tomber enceinte de cet homme et lui fait savoir. "Il ne l’accepte pas et part faire un enfant à une autre femme." Une femme, qui, selon Anaïs, tombe aussi sous son emprise. "Un jour, elle m’a appelé pour me dire qu’il l’avait menacée de la jeter par la fenêtre." 

Les mois passent, l’homme revient vers Anaïs, qui lui pardonne. Le couple se redonne une seconde chance et s’installe dans l’Eure. La jeune femme tombe finalement enceinte, deux enfants naîtront de cette union. "Je ne sais même pas comment je suis tombée enceinte, car on n’avait pas de rapports, les seuls rapports qu’on avait, c’était forcé et non voulu."

Pour les enfants, je me suis convaincue qu’il fallait rester.

Anaïs

Mais avec ces deux naissances, la situation s’aggrave. Lui devient de plus en plus violent et la menace régulièrement. "Il n’arrêtait pas de me dire 'tu m’appartiens et tu ne vivras jamais en paix'."

Un soir, en pleine nuit, il l’étouffe avec un oreiller, car elle refuse une relation sexuelle. "J’étais vraiment choquée, j’étais recroquevillée dans un coin de la chambre, j’avais si peur", témoigne-t-elle en sanglotant. 

"Réponds à ma question ou je te plante"

Nous avons pu écouter des enregistrements qu’Anaïs a gardés précieusement dans son téléphone. Sur fond de crise de jalousie, l’homme la terrorise avec un couteau. La femme pleure et lui demande d’arrêter et de retirer son arme blanche.

"Écoute-moi bien, on est le 8 août, je pars pour dix ans (de prison, ndlr), je n’en ai rien à foutre, je pars pour dix ans facile. Homicide volontaire avec préméditation. Réponds à ma question, sinon je te plante", lui assène-t-il. 

Anaïs assure avoir perdu trois emplois en CDI, par sa faute. Car en plus de lui faire vivre un calvaire sous son toit, il n’hésite pas à lui faire peur sur son lieu de travail. Alors qu’elle travaille depuis huit ans dans une entreprise, l’homme rentre sur le site, la violente et traumatise également sa collègue.

L’entreprise portera plainte contre l’homme. Anaïs, elle, sera licenciée peu de temps après, pour "raisons économiques".

Aujourd’hui, je suis épuisée, lui continue de travailler et moi je subis. J’ai peur. Maintenant que nous sommes séparés, il continue de s’acharner et tente de faire croire que je suis instable psychologiquement.

Anaïs

En 2021, Anaïs réussit à mettre dehors l’homme et ose pousser les portes de la Maison des femmes. Elle est reçue par les professionnels d’aide aux victimes de violence (E.M.H.A.V.I.). Ce sont eux qui l’incitent à déposer plainte.

Des plaintes restées sans réponse 

Malgré les plaintes, rien n’avance. "Parfois j’ai des idées noires", avoue-t-elle. Aujourd’hui, sans travail, elle est dans l’attente d’un jugement. "Les enquêtes sont en cours, mais nous n’y avons pas accès, ce n’est pas normal que ce soit aussi long. Nous espérons avoir rapidement des nouvelles du dossier. Il est urgent que ma cliente obtienne une réponse aux plaintes qu’elle a déposées", nous confie son avocate. 

En juin, la garde des enfants sera déterminée par le juge en charge du dossier. "Je refuse qu’il ait la garde", martèle-t-elle. Selon Anaïs, il la menace de mort, elle et ses enfants. En deux ans, quatre plaintes sont au total déposées par cette femme, une par son ancien employeur, contre cet homme. 

*Prénom d’emprunt

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