Trois mois après l'attaque du fourgon pénitentiaire à Incarville qui a coûté la vie à deux agents, le fugitif Mohamed Amra et son commando restent introuvables. Alors que l'enquête avance dans le secret, les agents blessés peinent à se remettre, et les promesses de renforcement de la sécurité tardent à se concrétiser. Dans un contexte de malaise grandissant au sein de la profession, les syndicats réclament des mesures urgentes pour éviter de nouveaux drames.
Deux agents pénitentiaires ont été tués en mission le mardi 14 mai 2024 lors de l’attaque de leur fourgon au péage d’Incarville, dans l’Eure. Le fugitif, Mohamed Amra et les membres du commando sont toujours recherchés.
Trois mois plus tard, où en est l'enquête ? "Il n’y aura pas de communication du parquet dans cette affaire, les investigations diligentées par des magistrats instructeurs étant couvertes par le secret de l’instruction", nous indique le parquet de Paris.
Selon un agent pénitentiaire qui souhaite rester anonyme, le cas Mohammed Amra serait bien une évasion, et non un enlèvement comme l'évoquait à l'époque un spécialiste du grand banditisme. "Mon collègue blessé à la jambe était avec Amra dans le camion, il lui a demandé d'ouvrir la grille et lui a lancé 'ils ne te feront rien, ils ne sont là que pour moi'", nous confie-t-il.
Comment vont les deux agents blessés ?
Dans cette attaque, deux agents pénitentiaires sont tués et trois autres sont blessés. "Mon collègue blessé à la jambe en est à sa troisième ou quatrième opération. Il passe ses semaines entre le CHU de Rouen et le centre de rééducation à Caen", poursuit l'agent.
Quant à l'agent gravement blessé au bras : "Il vient de se faire réopérer et doit à nouveau avoir une intervention courant octobre. Il ne pourra utiliser son bras que dans une position latérale."
Un troisième agent avait été légèrement touché, mais la blessure psychologique est toujours présente : "Il est anéanti. Il voulait reprendre le travail, mais c'est compliqué psychologiquement".
Des conditions de travail renforcées ?
Depuis l'attaque au fourgon, un accord avait été signé avec l'administration pénitentiaire pour renforcer la sécurité des agents. "Sur le point sécuritaire, beaucoup de choses ont été acceptées, notamment par rapport à la sécurité des convois", indique Benjamin Gautier, agent pénitentiaire et représentant syndical FO Justice à Val-de-Reuil.
Parmi les mesures promises, un renfort des escortes, un renforcement des armes, de nouveaux véhicules blindés et des véhicules banalisés. "C'est une bonne chose, il faut sécuriser les convois, mais ça n'évitera pas ce genre de drame", lance Benjamin Gautier.
Au début, on avait plus d’escorte, c'était sur le coup de l'émotion... Maintenant, c'est fini.
Benjamin Gautier, agent pénitentiaire (FO Justice) à Val-de-Reuil
"Je refuse de faire une escorte de stade 3 sans escorte de police, nous lance un agent pénitentiaire. À Évreux, on ne prend plus de risque pour les escortes 3, on privilégie la visio pour éviter de sortir, sauf si l'avocat décide du contraire".
Selon lui, peu de choses ont changé depuis l'attaque : "Les véhicules blindés, ils n'ont pas le budget. Dans tout ce qu'on nous a annoncé, rien n'a été mis en place. À l'administration pénitentiaire, on nous prend pour des administrateurs low cost. On n'entend jamais parler de nous, on ne nous donne pas les moyens", poursuit-il.
Privilégier les visioconférences
Ce que demandent les agents pénitentiaires pour leur sécurité, c'est avant tout de limiter les extractions judiciaires et de privilégier les visioconférences et les déplacements des juges en maison d'arrêt.
Ce qui nous déçoit, c'est la réaction de la magistrature. On veut qu'il y ait plus d'accès aux visioconférences pour éviter les extractions judiciaires, où que les juges se déplacent directement dans les maisons d'arrêts, mais ces derniers se montrent contre.
Benjamin Gautier, agent pénitentiaire, représentant FO Justice à Val-de-Reuil
"On est pour certaines visios pour les cas d'escorte 2-3, mais on comprend aussi que des juges souhaitent voir les personnes en face, nous lance Hédrice Bouchet, adjoint du bureau UFAP Unsa justice de Rouen. Mais des fois, sortir un détenu pour 30 minutes, c'est inutile."
"Le moral à zéro"
Selon Hédrice Bouchet, le drame qui s'est produit au péage d'Incarville a réveillé le mal-être d'une profession déjà mise à mal. "Depuis l'attaque de nos collègues, des agents ne veulent plus sortir la nuit, mais on est obligé de le faire sous peine de sanction", explique-t-il.
Pour les extractions médicales qui surviennent la nuit, on est obligé de sortir sans arme. Les collègues réticents travaillent la boule au ventre.
Hédrice Bouchet, adjoint du bureau UFAP Unsa justice de Rouen
Les syndicats souhaitent également que le secret de l'instruction soit levé sur certaines affaires qui "mettent en danger la vie des agents, que la loi change", poursuit Benjamin Gautier. "Il faut lever le secret d'instruction sur certaines enquêtes et certains profils pour éviter de mettre en danger sur certaines missions."
Début août, le rapport de l'IGJ sur l'évasion de Mohamed Amra pointait du doigt un "déficit" de communication entre les différentes autorités judiciaires, pénitentiaires. Ce manque de communication a conduit ainsi à considérer le multirécidiviste Mohamed Amra comme un détenu ordinaire et non comme un détenu particulièrement signalé.
Hervé Ségaud, secrétaire général adjoint de FO Justice, dénonçait auprès de nos collègues de France Info ce "déficit d'information à plusieurs niveaux". Il regrette ainsi "un déficit d'information au sein même de l'autorité judiciaire, au sein des services pénitentiaires et surtout un déficit d'information bilatérale entre les services judiciaires et l'administration pénitentiaire".