En Normandie, la filière ostréicole peine à recruter, 5 à 10 % des effectifs manquent dans la région. S’adapter aux disponibilités des employés, trouver des systèmes de production alternatifs… La pénurie de main d’œuvre pousse les professionnels du secteur à trouver des solutions coûte que coûte.
"Cela fait plus de 10 ans qu’un jeune n’est pas venu frapper à ma porte." Le constat est amer pour Maxime Letellier, ostréiculteur à Blainville-sur-Mer, dans la Manche. Sa petite entreprise de 4,5 hectares ne fait pas exception. Comme dans les 350 exploitations normandes, la main d’œuvre manque cruellement pour travailler dans les parcs à huîtres.
Des huîtres à Noël ?
Le secteur ostréicole fait face à une crise des vocations depuis près de trois ans. D’après le comité régional de la conchyliculture en Normandie, 5 à 10 % des effectifs manquent pour produire les 26 000 tonnes d’huitres normandes annuelles.
Cette tension est encore plus problématique en fin d’année. En décembre 2022, la préfecture du Calvados alertait déjà sur ce manque de main d'œuvre "récurrent" et rappelait que des saisonniers étaient recherchés. Mais la crise pourrait se corser en cette fin d'année 2023. "On manque en permanence de bras, mais nous risquons de connaître une période de surtension lors des fêtes de Noël", s’inquiète Thierry Hélie, ostréiculteur manchois et président du comité régional de la conchyliculture.
La raison ? Les ostréiculteurs peineront davantage à trouver des bras du côté des étudiants, car les vacances scolaires débutent seulement le 23 décembre. Difficile de compter sur ces saisonniers pour conditionner les huîtres, qui s’inviteront sur les tables des réveillons.
"Toute la mise en bourriche se fait à la main, on a besoin des étudiants", explique Eric Torin, des Jardins ostréicoles de Tatihou, dans le Val-de-Saire. Ce responsable, qui renforce chaque année ses équipes de cinq à six employés une semaine avant Noël, insiste : "On ne peut pas se louper, la période des fêtes représente 25 à 30 % de notre chiffre d’affaires annuel."
Et si le métier n’attirait plus ?
C’est la question que se posent certains ostréiculteurs, confrontés à cette pénurie de main d’œuvre. "Le métier est exigeant, car il dépend des marées, mais ce n’est pas un métier pénible !", martèle Thierry Hélie du comité de la conchyliculture. Pourtant, le travail à l’extérieur, avec des horaires variables, ne séduit guère. Le coût du transport est aussi dissuasif. "Le prix du carburant élevé n’encourage pas les salariés à se déplacer pour quelques jours sur une exploitation", remarque le représentant de la filière ostréicole en Normandie.
Pour les employeurs, difficile aussi de proposer une rémunération attractive. Depuis un an, le prix de vente des huîtres en gros dégringole. D’après le comité de la conchyliculture normand, cela représente "une perte de 30 % par rapport à l’an passé". Conséquences : les ostréiculteurs vendent à perte et ne parviennent pas à pérenniser les emplois. "L’alimentaire ne peut pas être la variable d’ajustement pour réduire l’inflation !", s’insurge Thierry Hélie.
De la main d’œuvre coûte que coûte
Les ostréiculteurs tentent de trouver des solutions aux difficultés de recrutement. À Blainville-sur-Mer, sur la petite exploitation de Maxime Letellier "s’adapter " est devenu le mot d’ordre. "On gère les problèmes de main d’œuvre au jour le jour. Les étudiants acceptent de faire la marée le samedi, quand ils n’ont pas cours. On profite alors des bras le week-end".
Maxime Letellier reconnaît avoir changé son organisation, en s’adaptant aux disponibilités des employés. Désormais, ce sont eux qui imposent leurs conditions et non plus le patron, prêt à modifier les jours de travail dans les parcs à huîtres.
Pour produire et conditionner ses 60 à 70 tonnes d’huîtres annuelles, Maxime Letellier va même plus loin. Il fidélise ses employés avec une "récompense", en leur proposant des primes ou des jours de récupération. "Quand on avait de la main d’œuvre à gogo, on n’avait pas une très grande gratitude vis-à-vis de nos employés. Maintenant, les choses ont changé", constate cet ostréiculteur, qui aurait besoin de deux à sept personnes supplémentaires ponctuellement, en fonction des marées.
Des poches à huîtres qui se retournent toutes seules
Du côté du Val-de-Saire, les Jardins ostréicoles de Tatihou n’échappent pas à la pénurie de main d’œuvre, qui touche cette entreprise depuis trois ans. Mais cet été, pour la première fois, le responsable Eric Torin "n’a pas trouvé suffisamment d’employés pour travailler durant toute la saison estivale".
Alors, pour produire jusqu’à 350 tonnes d’huitres chaque année, l’entreprise se tourne vers une solution alternative : un système australien permettant aux poches à huîtres de se retourner toutes seules et donc de se passer de main d’œuvre. "Cela permettrait de limiter le nombre d’employés pour la période de juillet, août et septembre sur un bon quart de l’exploitation", indique l’ostréiculteur.
En prévision de la forte demande pendant les fêtes de fin d’année, le comité de la conchyliculture prévoit de demander une dérogation auprès de l’inspection du travail, au niveau régional. Elle permettra aux ostréiculteurs de travailler plus d’heures entre le 4 et le 31 décembre. Cette dérogation, qui est réclamée tous les ans, sera cette fois-ci indispensable aux yeux de Thierry Hélie. "Cette année, la dérogation ne sera pas préventive, mais curative !", se désole ce représentant de la filière.
Les ostréiculteurs envisagent de multiplier les offres d’emploi dans la presse, auprès des agences d’intérim et via les réseaux sociaux, pour tenter de combler le manque de bras. "La filière est fragile, je suis inquiet", admet le président du comité de la conchyliculture en Normandie, avant de conclure : "Haut les cœurs !"