Un restaurateur parisien a planté 10 000 pieds de vigne à Saint-Jean-de-la-Haize (Manche) avec l'espoir de produire "un vin de qualité". Avec le réchauffement climatique qui est à l'œuvre, tous les espoirs sont permis...
Dans ce coin du bocage normand où l'herbe grasse du printemps pousse à vue d'œil, il faut être ambitieux et persévérant pour donner une chance à la vigne. Les 6000 pieds de chenin plantés en avril 2021 sont encore bien frêles. Sans la main de l'homme, il peinerait à se faire une place dans la prairie. Sébastien Arnaud passe inlassablement entre les rangs avec un engin mécanique. "J'essaye de supprimer l'herbe entre les ceps pour limiter la concurrence de l'herbe sans utiliser de produits chimiques". Le travail est fastidieux mais indispensable au moins "pendant les trois premières années", le temps que la vigne s'enracine et prenne de la hauteur.
Au pays du cidre, les pommiers s'épanouissent dans ces prairies, à l'abri des haies, sur des sols que les vaches enrichissent depuis des lustres. Il est dit que la vigne n'est pas ici chez elle. Pourtant, au Moyen-Âge, le vignoble de la baie du Mont Saint-Michel donnait un vin qui avait sa petite réputation. Dans son livre Vins, vignes et vignerons de Normandie, Jean-Claude Viel rappelle que la vigne poussait encore au XVIIe siècle jusque sur es rives de la Manche. "Il fut un temps où de vastes parties de la province normande étaient couvertes de vignes; de Cherbourg à Blangy sur Bresle, d’Alençon à Dieppe, du Mont-Saint-Michel à Evreux on vendangeait et on pressait. Ce sont les abbayes qui se sont attachées en premier à l’extension de la viticulture normande", écrit-il.
La concurrence des vins méridionaux et le phylloxera ont eu raison du vin normand. Pourtant, "des gens ont planté de la vigne en Angleterre et ils font un vin effervescent qui concurrence le Champagne. Ils sont pourtant bien plus au nord que nous", observe Sébastien Arnaud. Il a donc décidé de relever le défi. "J'y crois".
Ses affaires sont à Paris. Sébastien Arnaud est propriétaire de restaurants, amoureux du vin et en recherche d'aventure. Il connaissait la baie du Mont Saint-Michel pour y venir en villégiature. Il a acheté une ferme à Saint-Jean de la Haize.
Nous sommes à 50 m d'altitude, avec un climat intéressant : les courants d'air marin chassent les nuages. On a une belle déclivité. Et les sols sont fertiles avec des schistes granitiques et un socle de granit.
Sébastien Arnaud, vigneron de la baie du Mont Saint-Michel
Cette année, il a planté de nouveaux pieds de vigne en choisissant une culture "de haute densité". Plus il y a de ceps, plus ils se feront concurrence. "En quantité, la production sera moindre, mais ont peut espérer obtenir plus de maturité et une meilleure qualité des jus". La vigne est cultivée "à l'huile de coude", sans produit chimique afin de protéger les sols. Il reste désormais à se montrer patient.
Sauf accident, la première vendange sera effectuée en 2023. Si la qualité du raisin n'est pas celle attendue, peut-être faudra-t-il patienter une année supplémentaire avant de vinifier. Sébastien Arnaud mise sur le temps. Avec l'élévation des températures, le climat de la baie du Mont Saint-Michel va bientôt se rapprocher de ce que fut celui du Bordelais. Rien n'interdit de penser que les coteaux de Saint-Jean de la Haize peuvent donner du bon vin.