La tourbière de Baupte, dans la Manche, est exploitée pour la production de terreau depuis 1946. Pour cela, l'eau du sol est pompée en continu. Avec la fin annoncée de l'exploitation en 2026, les projets de reconversion sont à l'étude. La fin du pompage causera une montée du niveau des eaux. Les riverains sont inquiets.
Depuis 1947, la tourbière de Baupte, située dans la Manche au milieu des marais du Cotentin, est exploitée industriellement. La tourbe, cette terre précieuse formée par l'accumulation de matière organique morte, y est extraite depuis des décennies pour être utilisée comme combustible ou pour la fabrication de terreau.
Pour récolter cette matière, une usine assèche artificiellement la terre en pompant l'eau de la tourbière. 20 millions de mètres cubes sont ainsi pompés chaque année et rejetés en aval de la tourbière. Depuis 2015, c'est la société La Florentaise, fabricante de terreau, qui exploite le lieu et y emploie vingt personnes. Mais dans deux ans, tout cela sera terminé.
La préfecture de la Manche a signifié à La Florentaise qu'elle ne renouvellera pas son permis d'exploitation après le 1ᵉʳ janvier 2026. Cette décision est intervenue après que la société a été reconnue coupable de la destruction d'espèces protégées dans la zone par le tribunal de Coutances en 2019. La Florentaise avait été condamnée à 20 000 euros d'amende.
Hausse du niveau de l'eau
Depuis, les projets de reconversion sont à l'étude. 600 hectares de tourbière servant à l'industrie doivent être réhabilités. Le Parc des marais du Cotentin a été chargé d'orchestrer la transition de la zone après la fin de son exploitation industrielle.
L'inquiétude grandit chez certains voisins de la tourbière. Car la fin du pompage de la tourbière provoquera à coup sûr une élévation du niveau de l'eau. L'eau retrouvant son niveau naturel pourrait monter d'environ 1,75 mètre. 300 hectares de pâturages entourant la tourbière seront inondés à coup sûr. "Ces terres agricoles seraient totalement ou partiellement ennoyées en cas d’arrêt de l’exploitation", de l'aveu même du ministère de l'Agriculture, qui a commandé une étude préalable en 2020.
Des agriculteurs devront donc trouver de nouveaux terrains pour leurs bêtes. Des résidents voisins de la tourbière, sur les communes d'Auvers, Baupte, Gorges, Nay et Le Plessis-Lastelle, sont inquiets pour leurs habitations. "Ce qu'on ne veut pas voir, c'est ce qu'on a vu dans le Pas-de-Calais", évoque Paul-Etienne Anne, président d'une association d'habitants et d'agriculteurs des marais, en référence aux inondations de ce début janvier. Son association du développement durable de la tourbière et vallée de la Sèves rassemble des riverains des agriculteurs locaux. Ils plaident pour un arrêt progressif des pompages, sur une période de 10 à 20 ans, qui permettrait une remontée lente du niveau de l'eau. "On veut pouvoir continuer à travailler et vivre dans les marais", avance Paul-Etienne Anne, qui est agriculteur à Gorges.
Ce qu'on souhaite, c'est le maintien des pompes, pour gérer l'eau et les réactiver en cas d'inondation.
Cyril Lambertonagriculteur à Baupte
L'association appelle à un bon entretien des cours d'eau, pour éviter les débordements. "Nous sommes pour une évolution progressive. Ce qu'on souhaite, c'est le maintien des pompes, pour gérer l'eau et les réactiver en cas d'inondation", détaille Cyril Lamberton, le secrétaire adjoint de l'association, qui est éleveur laitier à Baupte. La Florentaise s'est dite prête à continuer à pomper l'eau pendant vingt ans pour la faire remonter progressivement.
Pourtant, cette option n'est pas retenue, annonce Julie Jorant, chargée du projet de la reconversion de la tourbière au Parc des marais du Cotentin. Lors d'une réunion en décembre dernier, "le préfet a confirmé le projet d'arrêt du pompage", rappelle-t-elle. "Le pompage est directement lié à l'activité industrielle. Il faudrait justifier du fait qu'on pompe. À quelle fin ? Pomper pour continuer à avoir des espaces agricoles hors de l'eau, ce n'est pas durable", explique aussi Julie Jorant. Elle rappelle que "ces pompages ont endommagé les sols, par endroits de manière irréversible, occasionnant des affaissements qui sont problématiques pour les exploitants".
Le préfet a chargé l'Association du développement durable de la tourbière de recueillir les témoignages et photos des zones qui pourraient être impactés par l'élévation de l'eau.
Pomper pour continuer à avoir des espaces agricoles hors de l'eau, ce n'est pas durable.
Julie Jorantchargée de la reconversion de la tourbière au Parc des marais du Cotentin
Une réserve naturelle
Selon Julie Jorant, les premières analyses topographiques indiquent que cette hausse du niveau de l'eau ne comporte "pas de risque pour les habitations" proches de la tourbière. Les résultats d'une seconde étude topographique, pour connaître avec précision l'augmentation du niveau de l'eau, prévus pour septembre 2023, se font attendre. "On n'a pas de visibilité", regrette à ce sujet Paul-Etienne Anne.
Le Groupe ornithologique normand (GONm) espère aussi être entendu et souhaite œuvrer pour la création d'une réserve naturelle nationale sur la tourbière après l'arrêt des pompes. L'association de protection des oiseaux dit avoir comptabilisé 230 espèces d'oiseaux sur le site. "Une réserve permettrait de gérer mieux un espace d'une richesse exceptionnelle (...) et de veiller à ce que les chasseurs restent en périphérie de ce secteur", a lancé Bruno Chevalier, l'un des membres, dans les colonnes d'Ouest-France. Le site est d'ailleurs éligible au statut de réserve naturelle nationale depuis une quinzaine d'années.
De fait, un parc naturel régional existe dans les marais du Cotentin. Le tout serait de l'étendre à la zone de la tourbière. "Le souhait de l'État serait qu'à terme soit créée une réserve naturelle (...), à horizon 2030", explique Julie Jorant.
Une nouvelle réunion des acteurs a été promise par la préfecture pour le premier trimestre 2024.