Après une année 2019 plutôt médiocre, l'apiculture française semble avoir retrouvé le sourire. Le printemps s'est montré particulièrement clément, dans plusieurs régions françaises, on annonce des récoltes exceptionnelle. En Normandie, c'est la prudence qui prévaut.
"Mes abeilles n'ont jamais produit autant de miel", confiait en avril dernier, à nos confrères de France 3 Grand Est, Pierre Stephan, apiculteur dans le Parc régional des Vosges du Nord. Dans d'autres régions françaises, c'est aussi l'optimisme qui prévaut. Dans les Hauts-de-France ou en Bourgogne-Franche Comté, certains évoquent une production qui pourrait être multipliée par trois cette année avec des rendements allant jusqu'à 15 voir 20 kilos par ruche. Une euphorie qui constraste avec la morosité de l'an passé. En 2019, l'apiculture française n'avait produit que 15 000 tonnes de miel, bien loin de l'abondance de la fin des années 90 où l'on pouvait collecter chaque année près du triple.
Installé dans le sud-Manche, Michel Lelièvre a plus de 20 ans de métier. Pour lui, 2019 "c'était une année pas trop mauvaise". L'apiculteur normand estime que notre région a été moins durement touchée que d'autres territoires. "Il faisait très sec un peu partout en France. Dans certains coins ils ont fait une année zéro. Mais ce qui nous sauve sur le long de la côte atlantique, c'est qu'il y a toujours un taux d'humidité supérieur, ça nous sauve un petit peu car ça sauve les plantes : il y a sécrétion de nectar donc du miel". Et 2020, comme ailleurs a plutôt bien débuté. "Si ça continue comme ça, ça peut-etre très très bon."
Respecter le travail des abeilles
Au Manoir des abeilles, on se frotte les mains. L'entreprise, qui travaille avec plusieurs producteurs (dont Michel Lelièvre) et revendique 250 ruches bio en Bretagne et Normandie, a mis les bouchées doubles. "On ne s'attendait pas à une telle quantité. C'est un beau printemps, les abeilles ont déconfiné pendant que nous on confinait, la nature était en effervescence, ça leur a bien réussi", raconte le directeur Philippe Le Duff, "En terme de stockage, on a fait vite et on a stocké beaucoup. Une fois que le miel est stocké à bonne température, atour de 13 degrés, il est "safe" pendant plusieurs mois. On peut prendre le temps pour le mettre en pot, au bon moment, sans jamais le pasteuriser. Il faut garder le miel comme il est le plus possible pour conserver ses qualités gustatives et nutritionnelles, respecter le travail des abeilles."Ce bon départ permet d'entrevoir de belles perspectives en terme de débouchés pour cette entreprise qui commercialise un miel bio.
Plus il y aura de miel régional, plus on pourra en proposer dans les rayons, ça veut dire moins de place pour le sirop de glucose de Chine et un prix plus accessible
Depuis plusieurs années, la France ne produit qu'un tiers du miel qu'elle consomme. Les importations ont doublé en dix ans. "On pouvait retrouver notre miel en épicerie fine ou en magasin bio. Là, on va pouvoir en proposer un peu plus en grande distribution. On va pouvoir satisfaire une demande qui est déjà là. Mais il faut le faire savoir."
"On joue au casino à chaque fois"
Pour autant, Michel Lelièvre garde la tête froide. "Au printemps, on fait souvent du miel de colza, ce n'est pas un miel très intéressant en soi. Le miel de pissenlit, on n'en a quasiment pas fait parce qu'il a fleuri très tôt et que les colonies n'étaient pas prêtes." Depuis près d'un mois, c'est le châtaigner qui est en fleur. "La saison se termine entre le 15 et 20 juillet et d'ici là, il peut se passer énormément de choses", explique l'apiculteur, "Pas au niveau des colonies, parce qu'elles sont très belles, mais au niveau du temps. On joue au casino à chaque fois. Tous les ans c'est pareil."Si comme, le rappelle Philippe Le Duff, "l'apiculture a été pas mal bousculée" ces dernières années, notamment par les pesticides mais aussi plus récemment par un envahisseur venu d'Asie, la météo, tous en conviennent, reste le facteur le plus déterminant."En ce moment, en Bretagne et en Normandie, on a une alternance de beau temps et de pluie, c'est plutôt favorable à la récolte et les abeilles adorent ça", souligne le parton du Manoir des abeilles. "J'adore ce temps-là", confirme Michel, "quand il fait trop chaud, c'est trop sec. La plante peut s'économiser en eau donc pas de nectar et pas de miel. Tout est lié."
Réchauffement climatique, le revers de la médaille
Et dans cette équation, le facteur qui a sans doute connu le plus de bouleversements ces dernières années se trouve du côté du ciel. "Le réchauffement climatique est visible pour nous tous les ans", affirme l'apiculteur normand, "La floraison se fait trois semaines voire un mois en avance. Il n'y a pratiquement plus d'hiver." C'est ainsi que les champs de colza se sont parés de jaune dés la fin du mois de février. "C'était inenvisageable il y a 15 ou 20 ans. On n'aurait jamais pensé ça. Au départ, c'était une année sur deux ou trois. Maintenant, c'est tous les ans."Cette floraison précoce a contribué au rebond de production constaté en ce début d'année. Mais elle n'est pas sans risque. "Les floraisons se font beaucoup plus tôt mais les colonies ont leur developpement propre. Elles ne sont pas toujours prêtes au bon moment mais quelques semaines après, au moment où ça défleurit." Et comme on l'a constaté l'été dernier, la sécheresse a un impact négatif sur la production. Alors pour Michel Lelièvre, pas question pour le moment de se livrer au jeu des pronostics. "La saison se finit le 20 juillet. On saura si l'année est bonne à la récolte."