L'Office National des Forêts tire la sonnette d'alarme. Les attaques massives de scolytes apparues dans l'Est ont bel et bien gagné la Normandie. Des centaines d'arbres vont être abattus en forêt d'Ecouves. Fragilisés par le réchauffement climatique, les arbres succombent face aux insectes.
Vue du ciel, la forêt d'Ecouves, dans l'Orne, semble se parer de sa robe automnale. Des tâches écarlates parsèment les massifs. Et pourtant, en ce mois de juin, c'est bien l'été qui s'annonce. Et les arbres virant au pourpre sont tous des résineux, des sapins pectinés, l'une des espèces les plus présentes dans cette forêt avec une emprise de pas moins de 1100 hectares. Et ce rougissement des houppiers (la cîme des arbres) n'est pas une bonne nouvelle. "C'est l'un des symptômes de l'attaque. Il signale la mort de l'arbre", explique Lionel Huchette, responsable ONF de l'unité territoriale d'Alençon, "Après, il va y avoir la perte des aiguilles puis l'arbre va se nécroser."
Le fautif, c'est le scolyte, une espèce d'insectes ravageurs s'attaquant aux arbres, une grande famille aux ramifications multiples et aux goûts variés. L'un de ses représentants, le typographe, friand d'épicéa, avait été détecté deux ans plus tôt dans les forêts d'Andaines mais aussi d'Ecouves, de Gouffern ou de Moulins-Bonsmoulins. "On le repère une fois que c'est trop tard", déplore Véronique Etienne, de l'ONF, "Le houppier rouge signifie que les larves ont atteint leur stade adulte et se sont envolées vers d'autres arbres. La seule intervention qu'on puisse faire, c'est d'arrêter le cycle de développement de l'insecte."
Et ça passe par l'abattage des victimes, "plusieurs centaines d'arbres", selon Lionel Huchette, "pour une soixantaine de mètres cube". Il s'agit tout d'abord d'exploiter les arbres au plus vite avant qu'ils ne perdent de leur valeur. "L'abattage va permettre aussi d'exporter une partie des insectes hors de la forêt, donc de limiter un peu les attaques suivantes." Après l'abattage, les arbres seront ensuite évacués le plus rapidement possible. "Il ne faut pas les laisser en dépôt trop longtemps au bord des routes sinon ça va être favorable aux scolytes", souligne Véronique Etienne.
Attention aux chutes d'arbres
Ces abattages vont se dérouler sur le versant sud du massif d'Ecouves, le plus touché par l'épidémie mais aussi le plus fréquenté par les randonneurs. Alors l'ONF lance un appel à la prudence pour les prochains jours. "Il faudra respecter les signalisations, les balisages qui seront mis en place le temps de ces exploitations", insiste Lionel Huchette, "Il ne faudra pas pénétrer dans ces exploitations quand les bûcherons seront dans le secteur car c'est dangereux : les arbres font une trentaine de mètres de haut et un arbre peut en entraîner un autre et vite atteindre une soixantaine de mètres de distance."
Pointé du doigt, le scolyte est sans doute l'arbre qui cache la forêt. Certes, ses méfaits sont bien réels. "Le scolyte se développe entre le bois et l'écorce. En se développant, il va consommer les tissus végétaux et ça va entraîner la mort de l'arbre. Ce sont de tout petits insectes aux conséquences dramatiques", explique Véronique Etienne. Mais les racines du mal sont plus profondes. "Ces arbres ont subi la sécheresse et la canicule. C'est une essence qui a besoin de beaucoup d'eau, d'une pluviométrie et d'une humidité atmosphérique importantes. Or, ces trois dernières années, ils manquent considérablement d'eau du coup, ils puisent dans leurs réserves et sont totalement affaiblis."
Le réchauffement climatique à la racine du mal
Lionel Huchette n'y va pas par quatre chemin : "ce sont les premiers faits marquants du réchauffement climatique sur Ecouves". Et le sapin pectiné n'est pas la seule victime. "On a déjà du hêtre qui dépérit, des arbres qui perdent en production, c'est à dire qu'ils sont moins vigoureux et qu'ils poussent moins vite", prévient le responsable de l'unité territoriale d'Alençon de l'ONF. Le phénomène, apparu dans la région Grand-Est, s'est peu à peu propagé au reste du territoire français. "Il était déjà présent depuis plusieurs années en Normandie avec des attaques sporadiques mais là on a une attaque beaucoup plus importante avec un tiers des arbres qui ont rougi."
Les professionnels du bois sont très inquiets. Les abattages massifs saturent les marchés et font chuter les prix. L'an dernier, le syndicat des exploitants de la filière bois avait demandé à la Direction générale de l'alimentation une dérogation pour l'utilisation du Forester, un produit chimique, pour traiter ce problème. L'ONF, qui se plie à l'interdiction des produits phytosanitaires, concentre ses efforts sur le travail de détection précoce mais aussi expérimente d'autres méthodes plus naturelles comme le piégeage aux phéromones. Et surtout réfléchit déjà à la forêt de l'avenir.
Transformation du paysage
"Ces sapins là, on sait qu'ils sont condamnés à moyen terme. Aujourd'hui, c'est le versant sud qui est touché et ça va d'autant plus vite, compte tenu de l'exposition au soleil, mais le problème se posera ailleurs, en forêt à plus long terme", explique Lionel Huchette. "Il faut qu'on trouve des essences plus méridionales ou alternatives qui vont mieux être préparées à ce réchauffement et ce changement de climat. La vie d'un arbre c'est entre 40 et 200 ans. Il faut qu'on anticipe à l'avance. Ce qu'on va planter dans les années qui viennent c'est pour une centaine d'années." La forêt normande aura peut-être changé de visage dans un siècle.