"Dans paysan, il y a paysage." Alors Bertrand Honoré plante des arbres, depuis 20 ans déjà. Aujourd’hui son exploitation agricole de Fyé, près d’Alençon, est à un tournant : il abandonne l’élevage laitier pour l’agroforesterie. Une étape symbolique filmée avec beaucoup de délicatesse par sa fille.
L’agroforesterie. Le terme est très récent : il apparaît pour la première fois dans le rapport d’un forestier canadien, John G. Bene, en 1978 et il est officiellement adopté en France en 2015 seulement, avec sa parution au Journal Officiel de la République Française (JORF), catégorie « vocabulaire de l’agriculture et de la pêche » :
agroforesterie, n.f. Mode de production agricole associant sur une même parcelle des plantations d'arbres à d'autres cultures, dans la perspective d'effets bénéfiques réciproques.
Note : 1. Les arbres plantés peuvent appartenir à des essences autres que forestières, notamment fruitières.
2. L'agroforesterie est une des pratiques recommandées en agro-écologie. Voir aussi : agro-écologie
agro-écologie, n.f. Application de la science écologique à l'étude, à la conception et à la gestion d'agrosystèmes durables. Ensemble de pratiques agricoles privilégiant les interactions biologiques et visant à une utilisation optimale des possibilités offertes par les agrosystèmes.
Note : L'agro-écologie tend notamment à combiner une production agricole compétitive avec une exploitation raisonnée des ressources naturelles.
Bien sûr, tout ça n’est pas nouveau… Bien sûr, les pratiques agricoles associant l’élevage, les arbres et les cultures sont une tradition bien ancrée sur notre territoire, particulièrement le territoire normand, avec le bocage.
Mais dans les années 60 à 80, particulièrement 70, le remembrement a été largement pratiqué en France, supprimant près de 750.000 km de haies vives pour créer des parcelles immenses, nues, plus faciles à récolter.
Cette tendance à l’arrachage reste encore ancrée chez bon nombre d’agriculteurs, même si on en voit aujourd’hui les limites, notamment sur le plan environnemental.
Portrait d’un agriculteur visionnaire
J’ai été traumatisé par ce remembrement, où on voyait des bulldozers qui arrachaient tout, partout. Une sorte de bombardement matériel. Comme le bois derrière n’avait pas été touché lui, j’ai voulu ramener les arbres du bois au pied de la maison.
Il y a 20 ans, alors à contre-courant, Bertrand Honoré a décidé de replanter des arbres sur son exploitation. Pour cet agriculteur de Fyé, dans la Sarthe, tout près d’Alençon, l’ombre des branches, l’humidité et le retour de la biodiversité sont une force pour ses champs.
Une déclaration d’amour
Le documentaire « Paysan paysage », c’est d’abord le portrait de Bertrand Honoré. C’est aussi une déclaration d’amour. Celle d’une fille à son père. A sa famille. Et à la ferme où elle a grandi avec son frère et ses deux sœurs. Tiphaine Lisa Honoré n’a pas choisi de reprendre l’exploitation. Mais, devenue journaliste, elle a choisi, avec sa caméra, d’immortaliser l’instant où son père arrête l’élevage laitier pour se consacrer à l’agroforesterie.
Mon père s’est mis à l’agriculture bio il y a 30 ans. Il était pris pour un hurluberlu, à l’époque personne n’y croyait. Nous, ses enfants, on s’est toujours senti en décalage. On se faisait chahuter dans notre école de campagne par les enfants des agriculteurs conventionnels. Mais il a continué.
Il a participé au lancement de Biolait (une association de paysans producteurs pour collecter et commercialiser eux-mêmes leur lait biologique). Sa sensibilité s’est aiguisée ensuite sur le végétal, qu’il a considéré au fur et à mesure comme un élément de la ferme.
Je me suis complètement déprogrammé, déformaté, au moment où j’ai pris connaissance d’une autre forme d’agriculture qui était l’agriculture biologique, dans les années 80-90. Avant la notion d’agriculture biologique il y avait une notion d’autonomie. On se réappropriait notre métier comme le faisaient nos grands-parents et arrière-grands-parents.
Au fil du documentaire, Tiphaine Lisa Honoré, la réalisatrice, nous présente avec beaucoup de délicatesse son père, un homme aux convictions fortes mais qui ne juge pas ses pairs. Une force tranquille qui change le monde à sa façon, arbre après arbre.
Remettre des arbres dans une parcelle, c’est remettre du monde. On remet des êtres vivants dans des endroits qui avaient tendance à se diversifier. Moi j’ai pas de grand discours à faire sur ça… tu peux en parler mais ça va pas loin. Si tu fais et que tu montres que c’est crédible, ça vaut tous les prosélytismes.
Et après ? Que deviendra cette ferme de Meslay ?
Malgré notre envie d’y revenir, aucun de nous ne reprendra la ferme telle quelle. Nos parents nous ont trop ouvert sur le monde pour avoir envie de se limiter à ces frontières. Mais on imagine un projet collectif sur ce lieu, qui serait à la fois un lieu de vie et de travail.
La nouvelle agriculture
A l’heure où la politique agricole européenne privilégie désormais la qualité environnementale, ce documentaire ajoute sa pierre à l’édifice. Celui de la construction d’une nouvelle agriculture, thème de notre débadoc du lundi 8 novembre animé par Antoine Oricelli.
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Un défi de taille : selon les indicateurs publiés par la chambre d’agriculture, les surfaces agricoles couvrent 70 % du territoire normand, soit un peu plus de 2 millions d'hectares (la Normandie est la 1ère région française pour sa part de SAU / surface régionale). Cela représente 29 200 exploitations agricoles et 38 900 exploitants et coexploitants.
Débadoc "La nouvelle agriculture" :
"Paysan Paysage", un documentaire à (re)voir lundi 8 novembre à 23h sur France 3 Normandie.
« Paysan Paysage » de Tiphaine Lisa Honoré
Une coproduction La Boîte à Songes et France Télévisions