Témoignages. Ces normands ouvrent leur porte à des mineurs migrants

Publié le Mis à jour le Écrit par Karima Saidi

Près de Jumièges (Seine-Maritime), Patrick Sadones et Marion Poussin, font partis du Réseau de solidarité avec les migrants (RSM). Via cette association, l’agriculteur et la mère de famille accueillent à leur domicile respectif des mineurs migrants. Un engagement qui donne du sens à leur vie.

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Dans les boucles de la Seine, rien ne semble troubler la quiétude de la chèvrerie du Rouge Pré. Les cargos, passent régulièrement au bout de la propriété de Patrick Sadones, et lèchent les champs.  

Depuis 2018, cet agriculteur, plutôt solitaire, a ouvert sa maison et sa ferme à des mineurs isolés. Une quarantaine de jeunes, venus principalement d’Afrique, ont trouvé ponctuellement refuge dans ce coin du Pays de Caux.

Le dernier en date s’appelle Mamadou. Il a 17 ans et demi, et fait son CAP agricole en alternance chez Patrick. Le jeune guinéen, discret, se transforme au contact des chèvres. Ses gestes deviennent sûrs, et la timidité laisse place à la témérité pour mener les bêtes.

Si je ne lui venais pas en aide, je savais que ce serait très compliqué pour lui de trouver une alternance à temps. Il est minutieux et on s’entend bien.

Patrick Sadones

 Un engagement qui donne du sens

L’agriculteur en impose, un bon mètre 90, et le militantisme chevillé au corps. D’abord engagé auprès d’associations environnementales, c’est la question du changement climatique qui l’a poussé à s’engager auprès des jeunes.

« Avec la montée des températures et des eaux, nous allons dans les années qui viennent devoir accueillir beaucoup de réfugiés climatiques. Autant se préparer dès maintenant avec ces adolescents », assure Patrick Sadones.

Cet engagement, total, donne du sens à sa vie. Il assume un rôle de référent, pas si loin du rôle de parent, même s’il tient à garder de la distance.

« Je vois les jeunes sourire à nouveau ici. Ils me disent qu’ils retrouvent l’ambiance de leur village d’origine. Quand vous entendez ça, vous vous dîtes que vous n’avez pas perdu votre temps », souffle Patrick Sadones en étouffant un sanglot.

Une nouvelle tribu

A une trentaine de kilomètres de là, Marion Poussin, enseignante spécialisée à Yvetot commence sa deuxième journée. Ce soir seront chez elle, ses deux enfants, Lucien 10 ans et Rita 8 ans, qu’elle a en garde alternée, ainsi que quatre adolescents migrants.

Ils viennent de Guinée Conackry et de République Démocratique du Congo. Depuis trois ans, cette quadragénaire, qui rêvait de travailler dans l’humanitaire, ouvre les portes de sa longère à ces exilés. 

Au début les accueils étaient courts, mais depuis la pandémie, les séjours se sont rallongés allant jusqu'à plusieurs mois et le nombre d’hébergés a augmenté pour monter parfois jusqu’à six.

Cela fait partie intégrante de ma vie maintenant. Cela me fait mal au cœur de les savoir dehors, alors que j’habite dans une grande maison. Cela m’apporte beaucoup même si parfois c’est un peu le camping.

assume Marion Poussin. 

L’un des exilés, Moussa – c’est le nom d’emprunt qu’il a choisi – a un statut particulier. Venu pour quelques jours, il a passé tout le premier confinement chez Marion.

Les liens entre la famille et lui sont forts, les enfants s’amusent à venir l’embêter, comme un grand frère. Et ce n’est pas pour lui déplaire. « J’ai laissé mes sœurs au village. Quand je suis avec Lucien et Rita, c’est comme si mes sœurs étaient à côté de moi », assure avec pudeur Moussa.

Un combat administratif

Reste la question des papiers, qui revient toujours. Chez Marion Poussin, comme chez l’agriculteur Patrick Sadones, les hébergements sont rythmés par les démarches administratives et les décisions des autorités. Elles tombent parfois comme un couperet.  

Ces migrants doivent passer des tests osseux pour prouver leur minorité et obtenir une prise en charge du département. Les résultats leur sont quasi systématiquement défavorables, selon Patrick Sadones.  

« La préfecture et le département de la Seine-Maritime, font tout pour que ces jeunes partent, mais ils ne partiront pas ! Ils ont traversé la Méditerranée au péril de leur vie, ils vont rester. On fabrique des sans-papiers au lieu de leur venir en aide», s’emporte-t-il.

Dans le laboratoire où sont moulés les fromages, l’éleveur donne les consignes à son apprenti Mamadou et ne peut cacher angoisse. Le guinéen aura 18 ans en mars 2022. Il faudra qu’il obtienne des papiers pour pouvoir rester en France, notamment dans la ferme de Mesnil-sous-Jumièges. Patrick Sadones souhaite en effet lui proposer un CDI à la fin de son apprentissage. « C’est normal pour les gens qui sont méritants », explique l’éleveur. C’est aussi le souhait de Mamadou, mais il sait que son avenir n’est pas à 100% entre ses mains.

A Yvetot, Marion Poussin, connait elle aussi ces moments d’appréhension. « J’ai dû conduire souvent à la gare des jeunes qui vont dans d’autres régions voir si les autorités leurs seront plus favorables.

C’est compliqué pour nous et pour eux. Ils partent le cœur lourd », chuchote-t-elle. Comme Patrick Sadones la mère de famille a conscience que cet engagement est un enrichissement, qu’il donne du sens à sa vie, même s’il peut faire mal de temps à autre.

Page Facebook de Réseau Solidarité avec les migrants

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