Ce médecin délivre trois fois plus d'arrêts de travail que la moyenne : "Les milieux défavorisés ont d'énormes besoins"

À Dieppe (Seine-Maritime), l'Assurance maladie a placé sous surveillance le Dr Tribillac qui délivre trois fois plus d'arrêts de travail que la moyenne. Des arrêts qu'il justifie en raison de la catégorie sociale de ses patients qui résident dans un quartier populaire, où il exerce depuis 35 ans.

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Bras de fer entre l'Assurance maladie et un médecin généraliste à Dieppe (Seine-Maritime). Installé dans le quartier populaire du Val Druel depuis 35 ans, le docteur Dominique Tribillac est épinglé par la Sécurité sociale. Cette dernière lui reproche de distribuer trois fois plus d'arrêts de travail que la moyenne. 

"La plupart des habitants vivent sous le seuil de pauvreté"

Un chiffre qu'il ne nie pas, mais qu'il défend en raison de la catégorie sociale de ses patients. "La plupart des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, au dixième jour du mois, il ne leur reste que 30 ou 50 euros pour vivre."

Selon lui, ses patients sont loin d'être des fainéants. Beaucoup ont un travail d'ouvrier ou un emploi nécessitant des tâches fatigantes qui fragilisent le dos, par exemple.

Les gens de milieux défavorisés ont d'énormes besoins médicaux et d'arrêts de travail. Les conditions de travail favorisent les accidents de travail ou encore l'usure précoce. Les hommes de milieux défavorisés ont par exemple une espérance de vie de 71 ans, contre 84 ans pour ceux de milieu aisé.

Dr Dominique Tribillac

Surveillé pendant quatre mois

Ces nombreux arrêts de travail ont retenu l'attention de l'Assurance maladie qui avait dans un premier temps demandé au médecin généraliste de diminuer de 20% ses prescriptions d'arrêts de travail, chose qu'il a refusée : "J’ai refusé cette sanction injustifiée, parce que la Sécurité sociale ne prend pas en compte la réalité des ressources des habitants de ces quartiers populaires, bien qu'elle se glorifie du contraire."

Résultat, l'Assurance maladie a décidé de sanctionner le médecin généraliste. Désormais, et ce jusqu'au 31 mai 2024, chaque arrêt de travail prescrit par le Dr Tribillac devra être validé au préalable par un médecin-conseil de l'Assurance maladie. 

Résultat, certains de ses patients en arrêt risquent de ne plus toucher d'indemnités.

Dans ce quartier, les indemnités journalières sont plus qu'utiles, elles sont nécessaires.

Dr Tribillac, médecin généraliste

Contactée, la CPAM de Seine-Maritime n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations : "Sur ce dossier, la CPAM ne souhaite pas apporter de commentaire à ce stade", nous indiquent-ils dans un mail.

16,7 jours d'arrêts de travail par patient

Nous avons pu cependant consulter un courrier du directeur général des caisses d’assurance maladie de la Seine-Maritime, Serge Boyer, adressé au docteur Tribillac pour justifier cette décision :

"Du 1er septembre 2022 au 28 février 2023, concernant le Docteur Tribillac, le nombre de ses prescriptions d’arrêts de travail a été de 4 911 journées indemnisées et le nombre d’IJ (indemnités journalières) versées, rapporté au nombre de patients, a été de 16,7."

"En Normandie, et au sein du groupe de communes semblables au sens de l’indice de défavorisation de l’INSEE, les praticiens exerçant une activité comparable à celle du Docteur Tribillac ont prescrit un nombre d’IJ versées, rapporté au nombre de patients, de 5,9."

Le Dr Tribillac est révolté par cette décision : "Les médecins qui exercent en zone très défavorisée ont nécessairement une prescription d’arrêt de travail beaucoup plus importante que les médecins qui exercent en zone moyenne-faible de défavorisation".

Ce n'est pas la première fois qu'un médecin se fait épingler par la Sécurité sociale. En décembre 2023 dans le Tarn, six médecins ont été condamnés pour avoir prescrit trop d'arrêts maladies. 

"Une injustice"

Le Dr Tribillac compte se battre pour ses patients et nous indique avoir saisi le tribunal administratif de Rouen. "Une telle injustice initiée par une aussi grosse structure relève selon moi de l’incompétence grave et n’aurait jamais eu lieu s’il y avait eu une connaissance minimale du sujet auquel elle s’attaquait. Mais visiblement, seules les considérations financières avaient de l’importance aux yeux de ses dirigeants."

Il est soutenu par un bon nombre de ses patients : 

Ce n'est pas normal qu'on remette en doute la parole d'un médecin. Je suis en arrêt de travail et j'ai reçu un courrier m'indiquant que je ne serais probablement pas indemnisée. C'est une situation stressante, les factures tombent quand même. Je vis sur le reste du mois dernier et j'attends.

Séverine, patiente du Dr Tribillac

Une pétition en ligne

Séverine fait partie des signataires de la pétition en ligne lancée le 26 février intitulée "Pour de meilleures indemnités maladie dans les quartiers populaires". "Pour vous qui vivez le quotidien de ces manques évidents et qui êtes témoins de mon intégrité, ainsi que pour toutes les personnes qui sont scandalisées par cette injustice, je vous invite à me soutenir et à signer cette pétition", explique le médecin.

La pétition compte plus de 150 signatures.

Pour aider certains de ses patients, le Dr Tribillac a décidé de financer lui-même avec ses fonds personnels les indemnités journalières de ses patients "en attendant que cette histoire se termine".

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