La Fondation Belem-Caisse d'Epargne a invité une vingtaine de jeunes de l'association "Fécamp Vieux Gréements" et du Club de Voile de Saint-Aubin les Elbeufs à une navigation participative au large de Cherbourg. Pendant deux jours, ils vont vivre une expérience unique, où l'esprit d'équipe prime.
Certains se sont levés aux aurores pour embarquer à 8h30 au quai de Cherbourg. Les yeux, encore endormis, commencent à pétiller en apercevant le trois-mâts, illuminé par les rayons du lever de soleil.
Deux jours et une nuit, coupés du monde au rythme des quarts
Le Belem, du haut de ses 128 ans, impressionne. "On voit du cordage partout. On se demande où tout va et l'utilité de tous les bouts", s'interroge Armand, 21 ans. Après un BTS informatique, il découvre la voile, grâce à l'association "Fécamp vieux gréements", et rêve, depuis, de devenir matelot.
Il retrouve pendant cette traversée Nathan Le Normand, qui lui aussi s'est découvert grâce à cette association. Déscolarisé à partir de la seconde, le jeune homme, originaire de Boissy-Lamberville, près de Bernay (Eure) a déjà voyagé à bord du Belem, lors d'une navigation mythique entre Athènes et Marseille, avec à son bord la flamme olympique.
"C'était intense, un concentré d'émotions incroyable. Je suis tellement content de revenir car être sur l'eau, en équipage, manœuvrer, c'est concret. C'est devenu ma passion", raconte-t-il avec un grand sourire.
Le capitaine, Mathieu Combot et son second Thomas Perrin commencent le briefing, en indiquant les règles de vie à bord, où chacun participe, le tout formant une équipe. Les jeunes font ainsi connaissance avec les salariés de la Caisse d'épargne venus de toute la Normandie, invités eux aussi à participer à cette navigation. Car leur banque, on le sait moins, participe à son financement depuis 1979. C'est son principal mécène.
À bord du plus ancien grand voilier de commerce, classé monument historique
Mathieu Combot, le capitaine, en profite pour raconter l' incroyable épopée du Belem depuis 1896. D'abord navire marchand pour le chocolatier Meunier, le bateau effectue plusieurs campagnes transatlantiques de Nantes vers Belem, au Brésil. D'où son nom.
Racheté par le Duc de Westminster, puis par la famille Guiness, il devient un navire école en Italie, après la Seconde Guerre mondiale, avant d’être racheté en 1979 par la Caisse d'Epargne, où il retrouve son pavillon d'origine.
Il a survécu à un grave incendie, à des catastrophes naturelles, à une mutinerie, à deux guerres mondiales. C'est un miraculé.
Commandant Mathieu Combot, capitaine du Belem
Les marins font découvrir une véritable encyclopédie
Après une courte nuit, la journée s'annonce longue et bien remplie. Cap vers le Nord et l'île de Wight, en Angleterre. Pendant que le Belem traverse la Manche, véritable autoroute maritime, qui concentre "deux tiers du trafic mondial", l'équipage organise la ronde des cabillots.
Bienvenue dans un nouveau monde, aux mots joyeux et mystérieux pour ceux qui débarquent tout juste sur le pont. La ronde des cabillots consiste justement à expliquer aux stagiaires le vocabulaire et les spécificités du Belem "C'est un trois-mâts barque, c'est l'appellation pour ces trois mâts dont le mât de misaine et le grand mât sont gréés en voiles carrées, alors que le mât d'artimon porte un gréement aurique."
Dessin à l'appui, le gabier instructeur, Nicolas Hanuise, détaille ainsi les 22 voiles : "Perroquet, cacatois, hunier volant", le dictionnaire maritime se déploie sous les yeux ébahis d'Armand, avide de connaissances. Il passe son certificat de matelot cet automne et ne perd pas une occasion de poser des questions, tout comme Nathan, qui rêve comme lui d'intégrer un jour l'élite, la Marine Marchande.
"Il va falloir que je sois assidu, que je travaille beaucoup, car c'est très exigeant comme milieu mais je vais m'en donner les moyens." raconte-t-il en manœuvrant la barre du plus ancien voilier de son époque.
La mer donne le goût de l'effort et tout l'équipage fait corps pour aider Belem à déployer ses ailes. Même Astérix, leur mentor de l'association Fécamp Vieux gréement, garde les yeux écarquillés devant les kilomètres de cordages, les 210 points de tournage et les 250 poulies.
Les quarts de nuit sous voile, en naviguant à l'ancienne
Nathan Le Normand commence le premier quart de nuit, sous un coucher de soleil radieux, quelque part entre la France et l'Angleterre.
Je me sens libre, calme, apaisé. Je pense à cette phrase qui dit "le dernier espace de liberté sur terre, c'est la mer et c'est si juste.
Nathan Le Normand, stagiaire sur le Belem
A minuit, la relève arrive. "C'est le pire", racontent en souriant les stagiaires qui ont hérité d'une nuit de sommeil interrompue. Suzanne et Jeanne, elles, prennent la barre à quatre heures du matin, épaulées par Sergio, marin sur le navire depuis presque 25 ans.
"Il n'y a pas besoin de mettre des grands coups de barre, c'est juste par petites touches. Parfois, on s'affole un peu quand on voit que ça bouge pas mais le bateau fait près de 900 tonnes et il met un temps fou à réagir.", conseille-t-il.
À la timonerie, le second capitaine Thomas Perrin, leur montre l'art de la navigation à la carte point par point. "La carte papier, c'est fabuleux, on utilise encore des outils comme la pointe sèche et le compas et il y a un réel intérêt pédagogique, qui permet à nos stagiaires de comprendre la navigation à l'ancienne et surtout l'anticipation, essentielle dans notre métier. Et puis, avouons-le, pour nous marins, c'est un véritable plaisir."
Leurs meilleurs souvenirs ?
Alors que le voyage s'achève, les yeux pétillent de nouveau devant les rayons du soleil levant. Chacun a la sensation d'avoir grandi. Armand reste impressionné par l'organisation et l'esprit d'équipe. Nathan, aussi, apprécie cette solidarité entre les marins. "Ce sont des expériences rares, qui font mûrir et nous donne confiance." Suzanne, elle, n'oubliera pas son ascension dans la mâture, à 6 mètres de haut.
"C'était incroyable, on se rend compte de l'immensité de la mer. Et puis, nous avons eu beaucoup de chance car les dauphins sont arrivés à ce moment là. Inoubliable."
Belem n'a donc pas fini de porter la flamme et d'éveiller une lumière en chacun de nous.