Déni, isolement, pression sociale, les obstacles sont nombreux pour surmonter l’alcoolisme. Fabrice, 57 ans, accueilli en hôpital de jour à Petit-Quevilly, en Seine-Maritime, voit enfin le bout du tunnel après 7 sevrages.
Fabrice a accepté de nous parler de cette "maladie honteuse", celle qui s’est instillée progressivement dans sa vie quand il avait 20 ans.
"J’ai pris la décision de témoigner parce que je ne travaille plus aujourd’hui, mais quand il y a la pression du monde professionnel c’est plus difficile".
Le sujet est encore souvent tabou même pour les premiers concernés. "Le pire ennemi c’est le déni, le fameux "demain j’arrête" et puis un jour on se rend compte que ce n’est pas vrai….arrêter un mois ce n’est pas possible, quelques jours non plus".
L'alcoolisme reste un enjeu de santé publique majeur qui causerait 49.000 décès par an en France. Pour s'en sortir, un suivi médical s'avère souvent nécessaire.
L'engrenage de la fête
L’ex employé du BTP avoue qu’il n’a pas basculé dans l’alcool pour surmonter un accident de la vie ou suite à une dépression mais simplement parce qu’il aimait trop faire la fête. "J’adorais ça et elle me plaisait cette vie, je m’amusais bien…mais qui dit fête dit alcool. Et puis les années passent : 10, 20, 30 ans et c’est là que l’on se retrouve devant le fait accompli".
Sa consommation devient quotidienne et démarre souvent dès le matin "Je buvais 1,5 litre d’alcool anisé par jour, plus les consommations au bar, plus du vin en mangeant….le corps s’habitue, il résiste, je pouvais vous parler comme je vous parle maintenant" . Fabrice se confie avec éloquence et lucidité quand il s’agit de raconter son long combat initié en 2008.
"L’année de mon premier sevrage je commençais à avoir de gros problème de santé. J’ai d’abord arrêté et puis j’ai essayé de modérer ma consommation mais j’ai très vite replongé. En quelques jours avec un suivi médical c’est facile de libérer son corps de l’addiction mais dans la tête c’est autre chose…il y a des capteurs dans notre cerveau qu’il ne vaut mieux pas réactiver sinon c’est impossible de résister".
Une réduction de la consommation peut suffire pour retrouver le contrôle avec l’alcool mais pour certains l’abstinence s’impose quand il est trop dur de se réguler. Parfois l’abstinence requiert moins d’énergie que d’essayer d’être dans la maîtrise de la consommation.
Alexandre Baguet, chef du service addictologie du CHU de Rouen.
L'abstinence, le choix de la raison
Eradiquer l’alcool de sa vie s’est avéré être l’unique moyen pour Fabrice de surmonter son addiction, un renoncement douloureux vécu paradoxalement comme un symbole funeste.
Faire le deuil de l’alcool c’est comme enterrer quelqu’un, tellement ça prend de place dans notre vie. L’alcool est partout autour de nous ! Quand on refuse un verre d’alcool on sent que ça dérange, on nous demande si on est malade surtout quand on a la réputation d’être un buveur. Quand on est dans mon cas il faut absolument réaliser qu’il faut changer sa façon de vivre, renoncer à certains lieux que l’on fréquentait.
Fabrice, 57 ans
Depuis 14 ans, il enchaîne les sevrages sans se décourager, avec le sentiment de progresser à chaque étape grâce à l’aide de l’équipe médicale de l’Hôpital Saint-Julien de Petit-Quevilly. Dans ce service les patients bénéficient de différents ateliers : ergothérapie, détente, groupe de parole, cuisine…Fabrice, bricoleur dans l’âme, s’est découvert là-bas une passion pour l’art thérapie.
Autour de la table les patients dessinent et colorient méticuleusement dans une ambiance conviviale que leur thérapeute, Hélène Fiquet Delaunay, a su créer.
"De l’extérieur ça peut paraître infantilisant mais pas du tout ! Il faut savoir que face à l’addiction, c’est comme si le produit décidait à notre place et cela conduit à un effacement de l’être et de sa personnalité. Ici à travers l’art et la création on recherche sa propre perception du beau pour se retrouver soi-même. C’est aussi une façon de se remettre en action, de redevenir acteur de sa vie et de rester concentré 2 heures et demi !"
Fabrice rajoute "J’ai tout de suite accroché, les ateliers manuels ça me correspond bien, j’y apprends plein de choses que je pourrai reproduire par la suite, et puis ça libère l’esprit ! Après je vais devoir poursuivre cet apprentissage tout seul, c’est dommage je me sens bien ici, j’aurai aimé que ça continue un peu… ". Conclut-il la gorge serrée.
Le jour de notre rencontre Fabrice était abstinent depuis 10 mois et voyait la fin de sa prise en charge se rapprocher. Déterminé à tourner la page loin des tentations, Fabrice a repris goût aux plaisirs simples dans un univers où il devra reconsidérer l’ensemble de ses interactions sociales. "Aujourd'hui je ne vais plus dans les bars ni dans les restaurants, je ne vais pas voir de concerts non plus". A l’issue de notre interview, il nous confiait espérer que son témoignage serait le point final de cette longue histoire.