A Darnétal, personne ne veut voir les Hammoudi quitter le territoire français. D'origine algérienne, la famille est sous le coup d'une obligation de quitter le territoire (OQTF). Proches et parents d'élèves de l'école où sont scolarisés deux de leurs fils veulent tout faire pour les défendre.
Le couple Hammoudi est arrivé en France en mars 2016, avec à l'époque un enfant, Ahmed, âgé de 6 ans. Depuis la famille s'est agrandie. Tous deux nés sur le territoire français, Aymen a aujourd'hui 7 ans et Ayoub 3 ans. Les trois enfants sont scolarisés, l'aîné au collège Fontenelle de Rouen, et les deux plus jeunes à l'école Marcel Pagnol de Darnétal.
Cette situation familiale aurait dû leur permettre d'obtenir un permis de séjour français, selon les critères de la "Circulaire Valls", rédigée par Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur sous la mandature Hollande, et jamais abrogée depuis. Cette disposition précisait à l'époque les conditions d'examen des demandes d'admission au séjour autour de deux critères :
-"Une installation durable sur le territoire depuis au moins 5 ans".
-"La scolarisation d'au moins un des enfants depuis au moins 3 ans"
"Ils voulaient simplement sortir de la clandestinité"
Ces critères étaient remplis par les Hammoudi. C'est la raison pour laquelle en juin 2022, ils ont réalisé une demande de permis de séjour, dans le but d'obtenir enfin des papiers. Mais la préfecture en a décidé autrement en les plaçant, au lieu de cela, sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). "Ils voulaient tout simplement sortir de la clandestinité et voilà ce qu'ils récoltent", s'insurge Maître Cécile Madeline, l'avocate de la famille.
Les Hammoudi sont une illustration parfaite que la Circulaire Valls n'est pas appliquée par le préfet de Seine-Maritime.
Maître Cécile Madeline, avocate de la famille Hammoudi
Une injustice selon l'avocate, qu'elle a souhaité porter devant le tribunal administratif, en demandant aux juges de lever le refus de permis de séjour ainsi que l'ordre d'expulsion. Sans succès. Les Hammoudi sont depuis mars 2023 en appel de cette décision. Mais contrairement au premier recours contre la décision préfectorale, cette procédure administrative n'est pas suspensive de l'OQTF.
Si l'Algérie valide leur retour, ils peuvent être expulsés d'un jour à l'autre. Alors qu'ils sont intégrés en France, remplissent les critères d'admission [...] et que deux de leurs enfants souffrent de pathologies sérieuses qui ne pourront pas être prises en charge en Algérie
Maître Cécile Madeline, avocate de la famille Hammoudi
Une situation qui a ému à l'école Marcel Pagnol de Darnétal, où sont scolarisés les deux plus jeunes enfants. Depuis la nouvelle de la menace d'expulsion qui ciblait les Hammoudi, les parents d'élèves ne décolèrent plus. Ils décrivent la famille comme un modèle d'intégration et ne comprennent pas qu'après 7 ans passés en France, ils puissent être aujourd'hui sous le coup d'une OQTF (Obligation de quitter le territoire français, pour plus d'informations, cliquez ici). Un goûter solidaire a été organisé le 5 juin dernier au sein de l'école Pagnol pour signifier cette colère et soutenir la famille dans ses démarches.
Par ailleurs, Djamila Hammoudi est bénévole à l'antenne de Darnétal du Secours Populaire. Et l'histoire de la famille a aussi beaucoup touché les membres de son association. C'est d'ailleurs sa responsable, Florence Demiselle, qui a décidé, le mois dernier, de lancer une pétition afin de demander la levée de l'OQTF des Hammoudi.
Djamila, je la connais depuis qu'elle est en France. Elle et sa famille sont complètement intégrés ici. Ce serait un véritable déracinement qu'ils retournent en Algérie. Le plus absurde, c'est que deux de ses enfants sont nés en France, ils n'ont aucun lien avec l'Algérie.
Florence Demiselle, responsable de l'antenne locale du Secours Populaire à Darnétal
Parents d'élèves, bénévoles du Secours Populaire et membres locaux du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) qui milite à l'échelle nationale contre l'éloignement d'enfants étrangers scolarisés en France, les soutiens des Hammoudi sont aujourd'hui nombreux. Un comité a été récemment créé pour donner de l'ampleur à cette mobilisation.
Un courrier envoyé au préfet
Interpellée par Florence Demiselle, aussi conseillère municipale d'opposition à Darnétal, la sénatrice PCF Céline Brulin s'est à son tour emparée du dossier. Le 19 mai dernier, la parlementaire a rédigé un courrier à l'adresse de Jean-Benoît Albertini, le préfet de Seine-Maritime. Touchée par la mobilisation des proches de la famille, elle y demande le retrait de cette OQTF. C'est déjà le quatrième courrier de ce type que la sénatrice envoie au préfet, rien que depuis le début de l'année 2023.
Le courrier de Céline Brulin (vous pouvez agrandir en double-cliquant) :
Quel espoir pour les Hammoudi?
Toute cette mobilisation pourrait bien peser dans la balance, car au-delà de la pression médiatique potentielle qu'elle représente, elle est aussi et surtout un argument de la bonne intégration en France de cette famille soutenue ces derniers mois par des centaines de personnes. Ce qui n'était pas le cas en septembre 2022, lors du premier recours des Hammoudi devant le tribunal administratif.
Or c'est bien ce critère de bonne intégration qui est souvent retenu par les juges, notamment lors de récentes affaires emblématiques comme celles de Mariam et son fils Mounsif, qui vivent à Maromme, près de Rouen, ou encore Adama Ballo, l'apprenti boucher de Darnétal. Dans ces deux cas, la juridiction administrative a fini par lever l'OQTF considérant ce critère d'insertion.
Pour les Hammoudi, il faudra encore attendre. La date du jugement en appel de leur recours n'est, à l'heure où nous écrivons ces lignes, toujours pas connue.
Interrogés sur le non-respect de la Circulaire Valls, les services préfectoraux bottent en touche et se rangent derrière les décisions prisent par la Justice. "[Leur demande d'asile] leur a été refusée par décision du 8 septembre 2016 de l’OFPRA, confirmée par un arrêt du 10 février 2017 de la Cour nationale du droit d’asile" , souligne la préfecture dans un communiqué pour justifier l'arrêté d'Obligation de quitter de le territoire à l'encontre des Hammoudi, avant d'expliquer que "les intéressés ont formé un recours contre la décision préfectorale devant le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leur requête par jugement du 28 mars 2023".