Le verdict de la cour d’assises spéciale de Paris a été rendu mercredi 9 mars 2022. Des peines de 8, 10 et 13 ans à l’encontre de trois des quatre accusés. Ils encouraient 30 ans de prison pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Pourquoi les juges ne sont pas allés plus haut et pouvaient-ils aller plus bas? Explications.
Le réquisitoire des deux avocates générales lundi 7 mars avait été très sévère. Sévère dans les mots utilisés mais pas dans les peines demandées à l’encontre des trois accusés présents dans le box (7, 9 et 14 ans requis). Ces réquisitions avait alors un peu surpris tout le monde, parties civiles comme avocats de la défense.
Mercredi soir, la cour d’assises spéciale de Paris a condamné Rachid Kassim, jugé en son absence, à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, conformément aux réquisitions du Parquet. Il était le seul des quatre poursuivi pour « complicité d’assassinat » et « tentative d’assassinat ».
Les 3 autres, Yassine Sebahia, Farid Khelil et Jean-Philippe Steven Jean-Louis, sont repartis en détention, avec des peines respectivement de 8, 10 et 13 ans.
Certains diront que ce n’est pas assez, d’autres que c’est trop. Mais que dit la loi ?
L’association de malfaiteurs terroriste en question
L’association de malfaiteurs terroriste (AMT) existe dans le droit depuis plus de 25 ans, et la résurgence d’attentats en France, dont celui tristement célèbre du RER B en juillet 1995.
L"AMT" comme disent les habitués du monde judiciaire peut être délictuelle ou criminelle. Elle est l’infraction mère en matière de terrorisme, prévue dans l’article 421-2-1 du Code pénal, en vigueur depuis le 23 juillet 1996.
Dans le dossier de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, le caractère criminel a été retenu par l’accusation. La peine maximale encourue était donc de 30 ans, alors que dans le cas d’une association de malfaiteurs terroriste non criminelle, c’est-à-dire délictuelle, le maximum encouru est de 10 ans.
D’où la sortie agacée de Maître Bérenger Tourné à l’issue du verdict : « La cour d’assises a refusé de faire du droit, ce qui est malheureusement assez fréquent le cas devant les juridictions spécialement composées en matière de terrorisme…. Où la règle de droit fait face à la raison d’état. Une fois de plus la raison d’état a commandé de sanctionner »
La cour d’assises a refusé de faire du droit.
Maître Bérenger Tourné, avocat de Jean-Philippe Steven Jean-Louis
L’avocat de Jean-Philippe Steven Jean-Louis, condamné à 13 ans, une peine finalement inférieure d’un an par rapport aux réquisitions, explique son amertume : « Dans l’association de malfaiteurs terroriste, il faut une action d’agir conjointement. Or, dans ce dossier d’association malfaiteurs terroriste CRIMINELLE, elle a été fomentée durant quatre jours, du 22 au 26 juillet. Tout ce que vous avez fait avant et le lendemain de l’attentat » ne doit pas entrer en ligne de compte selon l’interprétation du pénaliste.
Maître Tourné estime donc que son client n’aurait pas dû être condamné de la sorte. Il avait demandé une requalification délictuelle et réfléchit à faire appel.
La jurisprudence de Saint-Etienne-du-Rouvray
Les autres avocats de la défense, Maître Katy Mira, pour Yassine Sebahia, et Maîtres Léa Dordilly et Simon Cleménceau, pour Farid Khelil, ne feront pas appel, même si leur clients ont vu leur peine augmentée d’un an par rapport aux réquisitions. Condamnations respectives de 8 et de 10 ans.
Pour Maître Léa Dordilly, « cette association de malfaiteurs terroriste n’est toujours pas bien définie. Il est de plus en difficile de se défendre. Ce dossier est particulièrement emblématique de la jurisprudence en matière de terrorisme. Depuis Saint-Etienne du Rouvray, il y a une aggravation de la répression, de moins en moins d’exigence en terme de preuves et de plus en plus de sévérité en terme de peines »
Un texte est en effet entré en vigueur quelques semaines avant l’attentat, faisant passer de 20 à 30 ans la peine maximale encourue pour une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
La dimension symbolique de cette audience
Pour un autre avocat, côté parties civiles cette fois, le procès de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray a une telle charge émotionnelle et symbolique - c’est la première fois qu’un prêtre catholique était assassiné dans une église - que ni les victimes ni l’opinion publique n’auraient compris qu’il se tienne devant un Tribunal Correctionnel.
Néanmoins, Maître Antoine Casubolo-Ferro, avocat de l’AfVT, l’association française des victimes de terrorisme, estime que si les deux assaillants et Rachid Kassim étaient encore en vie, « ces gars-là n’auraient pas été dans le box. » Maître Bérenger Tourné avait même parlé en début de procès de trois « lampistes » payant pour les autres.
Ce procès, mené avec beaucoup de sérénité par Franck Zientara, magistrat connu également pour avoir conduit les débats du procès de l’attentat du Thalys, est le 50ème de terrorisme djihadiste depuis la création du PNAT, le Parquet national anti-terroriste en 2019.