Deuxième journée de procès au tribunal de Bobigny. L'ex-maire de Canteleu (Seine-Maritime) est jugée, avec 18 autres prévenus, dans une affaire de trafic de drogue. Ce mercredi 19 juin, la parole est à la défense de Mélanie Boulanger.
L'audience, prévue à 10h, a débuté avec 10 petites minutes de retard ce matin. Mais elle s'est bien faite en présence de tous les protagonistes attendus pour cette journée de procès.
⏰ Bonjour ! C’est parti pour cette deuxième journée à #Bobigny au procès de Mélanie Boulanger, son ex adjoint et 17 autres prévenus.
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➡️ Au programme aujourd’hui : l’audition de l’ancienne maire de #Canteleu.
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Hasbi Colak, ex-adjoint au commerce de Mélanie Boulanger est rappelé à la barre ce mercredi matin. "Vous semblez avoir une forme de pacte de non-agression entre les Meziani (une famille de narcotrafiquants de Canteleu, ndlr) et la mairie ?" demande le président. "On les calme, on les bluffe", se justifie Hasbi Colak.
Le président le questionne désormais sur un appel téléphonique qu'il aurait eu en haut-parleur avec Mélanie Boulanger en présence des Meziani. La fonction d'intermédiaire voire de fusible, il l'assume complètement.
« Encore une fois, je joue un rôle, je n’ai pas le choix. Ça peut partir à tout moment, ça peut exploser à tout moment
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J’ai même peur que ça parte dans tous les côtés. C’est mon rôle d’adjoint qui fait tampon entre Mélanie et eux. » répond Hasbi Colak.
Dans cet échange, à aucun moment Hasbi Colak ne nomme les Meziani. Il les appelle "les grands" ou "les petits".
Au tour de la défense de prendre la parole. Me Arnaud de Saint-Rémy réagit à cet échange téléphonique entre les Meziani et la maire de Canteleu via son adjoint. Selon le rapport d'enquête, dans cette conversation, des membres du clan Meziani disent à Mélanie Boulanger qu’ils feront en sorte de la réélire ainsi qu’Hasbi Colak.
Me Arnaud de Saint-Rémy explique, document à l’appui, que beaucoup d’entre eux ne sont pas inscrits sur les listes électorales.
« Je ne savais pas même pas si ces personnes votaient, quand elles tenaient ce genre de discours » appuie Hasbi Colak.
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Maître Jérémy Kalfon, avocat d'Hasbi Colak s'avance à son tour devant la cour. Il entend démontrer que son client joue un rôle lorsqu’il est au téléphone avec Mme Boulanger, entouré des Meziani.
« Est-ce que cette conversation est de faire croire aux grands que vous êtes inoffensif, que vous allez dans leur sens pour qu’ils ne mettent pas le bordel dans la ville ? » demande Me Jeremy Kalfon.
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« Exactement » affirme Hasbi Colak.
Il est un peu plus de 11h, l'audition d'Hasbi Colak, entamée hier, est désormais terminée. La séance est suspendue quelques minutes. Elle reprendra avec l'audition de Mélanie Boulanger.
Jusqu’en fin de matinée, Mélanie Boulanger va être interrogée sur son parcours professionnel et personnel. Elle prend enfin la parole peu avant midi :
Mélanie Boulanger s’exprime : « Depuis 32 mois maintenant, il est dressé un portrait de moi, de mon action, de la ville que j’ai administrée pendant 10 ans, qui est complètement faux, déformé par les médias. »
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"Dans cette histoire, je suis innocente", clame-t-elle, assertive.
Je suis aussi très très loin des autres prévenus, dont je dois vous confier que j’ai découvert le visage de 16 d’entre eux le premier jour du procès, parce que je ne les connaissais pas.
Mélanie Boulanger
Pour la cour, l'heure est au récit du parcours de la prévenue afin de contextualiser son mandat de maire à Canteleu.
Il est donc rappelé qu'à partir de 1998, elle obtient un poste à la mairie de Rouen, en tant que collaboratrice de cabinet. Elle sera ensuite collaboratrice parlementaire.
Lancée en politique par l'ex maire de Canteleu, Christophe Bouillon
En 2008, elle devient conseillère municipale auprès de Christophe Bouillon à Canteleu. Suite à la loi sur le cumul des mandats, Christophe Bouillon, alors député et maire, doit choisir entre ses deux casquettes. Il propose à Mélanie Boulanger de reprendre son poste. Elle sera ensuite réélue en 2014 et en 2020.
Le président la questionne à présent sur le fonctionnement de la mairie. Mélanie Boulanger explique que son cabinet était composé de deux personnes : un directeur de cabinet et une collaboratrice.
"Je suis détruite"
"Quand je prends mes fonctions en 2014, raconte-t-elle, les effectifs de la police municipale sont de 4 individus". "En 2020, je n’ai pas nommé d’élu à la sécurité, ajoute-t-elle , j’ai souhaité m’occuper directement de ces questions."
Notre journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires Véronique Arnould était sur place pendant toute cette journée de procès. Elle nous raconte ce que cette audition de Mélanie Boulanger a pu apporter comme éléments de contexte dans l'affaire.
Son avocat s'adresse à elle : "Que ressentez-vous aujourd'hui?". "Je suis détruite, dit-elle en soupirant. Moi, j’ai donné beaucoup. Je voulais changer la vie des gens."
Petite rectification : « En 2015, une personne très haut placée à la préfecture de la Seine-Maritime, alors que je lui dénonçais ce qu’on vivait à Canteleu, m’a envoyé dans le nez ‘Mais enfin, quand on est une femme, et qu’on a peur, on ne devient pas maire à Canteleu’. »
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"Je me suis promis que je ne lui donnerais jamais raison", enchaîne Mélanie Boulanger, en sanglots.
Il est presque 13h. La séance est suspendue. Reprise à 14h30. En attendant, plusieurs témoins sont déjà arrivés : Marc-Antoine Jamet, maire (PS) de Val-de-Reuil, ou encore Guillaume Coutey, maire de Malaunay.
A la reprise, c'est toujours Mélanie Boulanger qui a la parole. Elle détaille sa politique de lutte contre la délinquance et le trafic de drogue. Elle explique que la mairie a toujours voulu empêcher le développement de ces pratiques, mais que les moyens ne lui ont pas toujours été donnés.
Nous avons à plusieurs reprises eu des refus du fonds interministériel de la prévention de la délinquance. Il fallait rallonger à chaque fois. Une partie du budget municipal était donc dédié notamment aux caméras de vidéosurveillance.
Mélanie Boulanger
Pour rappel, ces installations de caméras de vidéosurveillance peuvent sembler anecdotiques. Elles sont pourtant au coeur de l'affaire Mélanie Boulanger depuis sa mise en examen en avril 2022.
Très rapidemment, au fil de l'enquête, elle a en effet été soupçonnée d'avoir différé l'installation de certaines caméras sur des points de deal des Meziani afin de faciliter leur trafic.
A lire aussi : Trafic de drogue. Le parquet demande un procès en correctionnelle pour Mélanie Boulanger, maire de Canteleu
Lors de l'audience de ce mercredi 19 juin, la cour note cependant les efforts réalisés par l'édile pour tenter d'endiguer ce phénomène connu du trafic de stupéfiants à Canteleu.
"On voit que vous avez fait, comme beaucoup de maires, plusieurs requêtes auprès de l’Etat pour avoir des moyens supplémentaires. On voit que vous avez fait de très nombreuses tentatives" estime le président.
Et l'ex-maire PS va même plus loin :
Mélanie Boulanger dit avoir, avec « chaque directeur de la sécurité territoriale, chaque préfet, chaque commissaire de police, cité le nom de la famille Meziani. »
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Mélanie Boulanger explique avoir à chaque fois demandé de l’aide auprès des autorités, pour tenter d'endiguer le phénomène.
"On n’a jamais fait devant moi du trafic, raconte-t-elle. Mais vous avez des personnes qui sont du matin au soir au même endroit, qui mettent des canapés. J’ai aussi des remontées d’habitants, des mails que je reçois, sur Messenger, des réunions publiques…"
"Je sais où vous habitez et où va votre fille à l’école"
Un trafic de drogue avec à sa tête un clan, la famille Meziani, et des pratiques mafieuses faites de pressions et de menaces à son encontre, selon Mélanie Boulanger.
« On m’a demandé d’être gentille avec vous. Mais je sais où vous habitez et où va votre fille à l’école » aurait déclaré un membre du clan Meziani lors d’un rendez-vous à la mairie pour demander un logement à Mélanie Boulanger.
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Face à ces menaces non dissimulées, l'ex-maire souligne avoir effectivement songé à porter plainte. Mais par peur que l'on s'en prenne à sa fille, elle aurait renoncé : "Quand on s’en prend à la prunelle de mes yeux… c’est difficile."
A posteriori, devant la cour, elle dit regretter ce choix, qu'elle aurait dû porter plainte et obtenir une protection pour sa fille.
"Il y a une forme de désespérance chez Mélanie Boulanger", réagit son avocat Me Arnaud de Saint-Rémy. Comme pour signifier une circonstance atténuante, avant de poursuivre son raisonnement.
Malgré tout, avec une police municipale qu’elle a renforcée, vous faites avec les moyens que vous avez qui sont des moyens limités pour beaucoup d’élus locaux, qui comptent beaucoup sur la police nationale. Mais comme l'Etat n'a pas repris la main sur la sécurité, il y a un sentiment de solitude, un sentiment d’abandon.
Me Arnaud de Saint-Rémy, avocat de Mélanie Boulanger
Le président veut aussi évoquer les liens entre Mélanie Boulanger et Hasbi Colak.
"Est-ce que déontologiquement cette relation intime n’a pas eu des répercussions sur votre travail de maire ? » demande-t-il. « Aucunement » répond Mme Boulanger.
"On a l’impression que dans la gestion de la menace des Meziani, vous faites corps avec lui, renchérit le magistrat, en oubliant que vous n’avez pas le même statut avec ces gens".
"C’est une impression, monsieur le président", rétorque Mélanie Boulanger. L'ancienne élue dit aujourd'hui parler complètement librement, et de manière transparente.
« J’ai déjà tout perdu. La façon dont j’avais envisagé ma vie a changé il y a 32 mois. Contrairement aux autres, moi je vous ai dit tout ce que je voulais.
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J’ai peur mais je m’en fous. Je n’ai plus rien à perdre. J’ai déjà été tellement salie. » dit Mélanie Boulanger.
Place maintenant au sujet qui fâche : les caméras de l'îlot Dumas, un secteur de Canteleu prisé des dealers de drogue.
L'ex-maire de la commune est soupçonnée d'avoir différé l'installation de caméras de vidéosurveillance dans le secteur, afin de ne pas déranger le trafic de stupéfiants et des Meziani.
"Je n’ai jamais demandé le report d’installation de caméras", martèle la prévenue.
Alors que l'interrogatoire de Mélanie Boulanger s'étire dans le temps, l’audience a pris du retard. Les témoins sollicités par la défense de Mme Boulanger attendent depuis plusieurs heures leur audition. Alors qu'il est déjà plus de 19h.
Certains devront sans doute revenir le lendemain au tribunal pour être entendus. La cour a donc décidé de mettre en pause l'audition de Mélanie Boulanger pour ceux qui ne peuvent pas être entendus le lendemain.
Mélanie Boulanger sera donc à nouveau entendue pour que la cour puisse déterminer la responsabilité de l'ex-maire dans cette affaire. Alors élue complètement dépassée et acculée par le trafic de drogue dans sa commune? Ou maire peu scrupuleuse achetant sa paix sociale avec les trafiquants de Canteleu? Dans ce procès, toutes les options sont encore sur la table..
Rappel des faits
Fruit de deux ans d'enquête, le tentaculaire dossier de Canteleu, commune populaire de 14 000 habitants de l'agglomération de Rouen, illustre l'enracinement et la puissance grandissants des narcotrafics dans des petites et moyennes villes en France, dont s'inquiétait le mois dernier un rapport du Sénat.
Élue maire en 2014 et figure du socialisme normand, Mélanie Boulanger est soupçonnée d'avoir fait pression sur les services de police pour qu'ils ne gênent pas les affaires du redoutable clan Meziani, réputé pour tenir le trafic de stupéfiants dans sa ville et y faire régner la terreur.
Depuis le début de cette affaire, Mélanie Boulanger clame son innoncence, comme sur le plateau de nos confrères de France Bleu Normandie, en 2021.
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Aux côtés de l'ancienne maire - elle a démissionné en début d'année -, le tribunal de Bobigny doit entendre pendant tout le mois de juin les principaux acteurs présumés du réseau : les têtes, leurs lieutenants, des fournisseurs et des blanchisseurs.
L'affaire avait débuté en septembre 2019 avec l'arrestation sur un parking de Saint-Denis de deux individus procédant à une transaction de drogue.
L'un était porteur de 50 000 euros en liquide, l'autre de deux kilos de cocaïne pure à 80%. Les investigations sur l'acheteur avaient rapidement amené les policiers de Seine-Saint-Denis à Canteleu, base de la famille Meziani, soupçonnée d'être l'un des principaux acteurs du trafic de drogue en région rouennaise.
Cannabis, héroïne, cocaïne
Selon l'enquête, la fratrie a soufflé le chaud et le froid sur l'élue, via son adjoint au commerce Hasbi Colak, également poursuivi.
L'enquête, riche en sonorisations et en écoutes, a mis au jour un important réseau d'importation et de vente de stupéfiants, aussi bien de cannabis que d'héroïne et de cocaïne.
Selon les estimations des policiers, leur organisation a engrangé plus de 10 millions d'euros de bénéfices annuels rien que pour la cocaïne et l'héroïne.