TEMOIGNAGE. 80 ans de la libération de Rouen : "une telle jubilation qu’on était presque en dehors de la réalité"

Elle avait 12 ans lorsque Rouen a été libéré par les Alliés le 30 août 1944. Envoyée à la campagne au début de la semaine rouge, Edith Bailly raconte les moments de liesse mais aussi les horreurs de la guerre.

"À 12 ans, on n’est pas si petit que ça", lance Edith Bailly. "Je comprenais ce qui se passait". En 1944, la France est occupée depuis quatre ans. L’adolescente de 12 ans habite Rouen avec son frère et ses parents qui tiennent un restaurant, place Cauchoise, dans le centre-ville.

Lorsque débute la semaine rouge, Edith est envoyée avec son frère à la campagne chez un fermier à Bosc-Guérard, à douze kilomètres au nord de Rouen. Ses parents veulent les protéger des bombardements alliés qui déferlent sur leur ville. 

500 morts et des destructions massives

Car du 30 mai au 5 juin 1944, à la veille du Débarquement, Rouen est la cible de bombardement massifs pendant sept jours.  La ville est en effet située en position stratégique entre la zone de débarquement allié au Sud et la route vers la Belgique et les Pays-Bas au Nord.

L’objectif militaire est clair : empêcher tout mouvement allemand et toute arrivée de renforts ennemis sur les plages du Débarquement. Une semaine sanglante qui a fait 500 morts et détruit ou endommagé de nombreux édifices et habitations. La Libération de Rouen interviendra quelques semaines plus tard, le 30 août 1944 comme l'a expliqué Lisa Concato, guide-conférencière à Rouen, à Frédéric Nicolas et Pierre Léonard :

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Le 30 août 1944, Rouen était libérée par les Alliés. Une page de l'histoire que raconte Lisa Concato, guide conférencière à Rouen. ©F. Nicolas / France 3 Normandie

Désormais un peu plus protégée à la campagne, la jeune fille de 12 ans est loin de ce chaos meurtrier. Mais dans les années qui précèdent, elle a vécu la guerre de plein fouet : "J’ai eu des moments de peur comme tout le monde sous les bombardements. On entendait le vrombissement dans le ciel. Ils arrivaient comme on voit ça dans les films tel un gigantesque nuage mortel. Et ils larguaient leurs bombes. Ça tombait aveuglément."

Trois Canadiens à bord d'une Jeep 

Une période que cette dame aujourd'hui âgée de 92 ans nous raconte avec souvent un sourire sur le visage. "J’étais gamine. J’en ai eu des nuits d’angoisse", explique-t-elle. "Mais on installait aussi tous les moments de rigolade qu’on pouvait."

Voyez l'entretien complet réalisé par Frédéric Nicolas et Pierre Léonard :

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TEMOIGNAGE / Aujourd'hui âgée de 92 ans, la rouennaise Edith Bailly nous raconte la guerre et la libération de sa ville par les Alliés. C'était le 30 août 1944. ©FTV

Edith nous confie tout de même qu’un missile allemand V1 a failli s’écraser un jour sur la ferme, à Bosc-Guérard. Une bombe qui atterrit dans un champ voisin. La campagne n’est finalement pas si sûre.

Et puis un jour, en fin d’après-midi, une Jeep arrive. "À bord du véhicule, on voit trois soldats, trois Canadiens. Tout d’un coup, c’est l’enthousiasme. On se dit qu’on est libérés." La nonagénaire se souvient : "on ne se rendait pas compte du danger car nous étions toujours entourés d’Allemands. Ils n’étaient pas partis. Et les Canadiens sont arrivés comme ça avec leur vitalité. Et nous, nous étions tout à la joie de les accueillir."

Le soir même, une grande fête est organisée. Un peu trop arrosée sans doute. Si bien que l’un des soldats canadiens se blesse. D’urgence, il faut trouver un médecin. Edith monte dans la jeep et part vers Montville, à quatre kilomètres de là

Quand la Libération devient réalité

"À ce moment-là, on voit des gens qui commencent à courir vers nous", détaille Edith Bailly. "J’ai alors vécu quelque chose d’inoubliable. C’était la folie totale. Tout le monde était dans une telle euphorie, une telle jubilation qu’on était presque en dehors de la réalité. Quelqu’un m’a prise dans ces bras et m’a remerciée de libérer la France. Mais moi, je venais de Bosc-Guérard", rit-elle. "C’était fou, impensable que cette personne ait pu un instant s’imaginer qu’à 12 ans, j’ai pu débarquer avec les Canadiens."

La nouvelle du débarquement et de la libération se diffuse progressivement. Et les preuves finissent par s’imposer d’elles-mêmes. "On voyait bien que les Allemands refluaient. Ils se faisaient massacrer. Ils se passaient des choses…épouvantables", confie Edith, le cœur serré. "Je n’ai pas vu mais j’ai senti. J’ai senti l’odeur du brûlé, des cadavres et j’ai su les horreurs…"

L’adolescente finit par rentrer à Rouen, rejoindre ses parents. Elle assiste aux débordements de l’épuration. "Près de chez moi, il y avait une petite libraire, rue Cauchoise. Je l’aimais infiniment car je lisais beaucoup. Il se trouve que cette femme était tombée amoureuse d’un soldat allemand. À mon retour, je l’ai retrouvée tondue, battue, dénudée. Humiliée," nous raconte Edith, qui peine à réfréner ses larmes. "Je trouve ça monstrueux. Pour elle, c’était une histoire d’amour..."

Les excès de l'épuration

Des comportements dont les archives départementales rendent compte. Quelques photos en noir et blanc et un registre collectant les nombreuses plaintes pour excès d’épuration de septembre 1944 à février 1946. 

La Libération, c’est aussi pour Edith un temps de joie et de jubilation. Des moments de fête, de partage qui ont marqué profondément la jeune fille. "Je me souviens très bien de la liesse des bals populaires. On ne rentrait pas avant qu’il fasse jour. On dansait jusqu’au petit matin".

"Tout le monde était joyeux. Nous étions heureux et soulagés après avoir vécu quatre ans dans la peur", conclut-elle. Un bonheur et une libération perceptibles encore aujourd’hui dans les yeux pétillants de cette femme de 92 ans.

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