Sommes-nous normands ou pas ? Cinq ans après, que peut-on dire de la réunification de la Normandie

La Normandie est devenue une seule et même Région au 1er janvier 2016. Cinq ans après, le mandat de président (ou présidente) de Région sera renouvelé le 27 juin prochain. Existe t-il encore une haute et une basse Normandie? Bref, sommes-nous aujourd'hui vraiment normands?

Une chose est certaine, les panneaux d'autoroute qui nous indiquaient la frontière entre les deux régions normandes sont tombés dès 2016 et on ne voit plus de logos bleus et verts imaginés par des agences de pub pour symboliser la haute ou la basse. Désormais, nous sommes revenus aux fondamentaux historiques : les deux léopards l'emportent et l'identité régionale se drappe en rouge et or, d'Avranches à Dieppe et du cap de la Hague à la vallée de la Bresle.

La Normandie a son drapeau historique, celui des descendants de Guillaume le Conquérant, tout comme la Bretagne a son Gwenn ha Du.

Rouge et Or, les vraies couleurs de la Normandie

Une référence à l'histoire qui vaut le sobriquet de "Duc de Normandie" à Hervé Morin, le premier président de la Normandie réunifiée. Il en est fier mais bon nombre de ses adversaires politiques ironisent sur cet effet loupe.

Mais au-delà de la symbolique, l'utilisation de ce drapeau à léopards a permis à la Région d'affirmer sa "marque" pour relancer une identité qui s'était peu à peu effritée, au XXème siècle. 

Ces couleurs communes aux deux ex-régions, qui font appel à une mémoire collective ont tout de suite été adoptées (on le voit ci-dessus chez les gendarmes de Seine-Maritime) et personne ne semble vraiment les contester. Le drapeau normand habille désormais nos trains, flotte au-dessus de nombreux toits d'entreprises, à certains ronds-points et sert d'authentification à de nombreux produits alimentaires labellisés, etc. 

La Normandie, c'est LA région du Moyen-âge au Nord et c'est quelque chose qui fascine les populations des autres continents donc c'est une carte à saisir. L'identité se définit surtout en opposition à ses voisins très imposants, la Bretagne et l'Ile-de-France ou Paris. 

Christophe Maneuvrier, Enseignant-Chercheur historien

 

Réunification ou fusion ?  

Effectivement c'est la grande question, on a parlé d'une réforme territoriale en 2015, portée par le gouvernement de François Hollande, qui était une "fusion" des Régions. Mais en Normandie le sujet a beaucoup fait parler et a fâché beaucoup de monde. C'est une "reunification" qui s'est mis en place, plus qu'une fusion. Même si certains ont encore l'esprit chagrin à ce sujet, persuadés que Rouen ou Caen, selon le côté où l'on se trouve, tire la couverture à ses pieds. 

"Il fallait ne pas céder à cet "Interville" politique entre Caen et Rouen et rassurer tout le monde", se souvient Bernard Cazeneuve, ancien minitre de l'intérieur et ancien maire de Cherbourg, persuadé depuis le début "qu'il pouvait y avoir deux capitales en Normandie : une capitale politique à Caen, une administrative à Rouen."

Les Rouennais n'entendaient pas les choses ainsi. Ils voulaient tout! Et par réactions les Caennais voulaient tout à leur tour. On a organisé le dispositif de telle manière que chacun y retrouve son compte. Et c'est un sujet dont je remarque qu'on ne parle plus, cinq ans après.

Bernard Cazeneuve, ancien Premier Ministre et maire de Cherbourg, proche du rouennais  Laurent Fabius au PS et et ministre de l'intérieur lors de la réforme

 

 On n'en parle plus ? Pas sûr. Des quintes de toux fusent quand on pose la question ici où là. Et la Normandie à trois têtes imaginées par des Havrais, avec un pouvoir économique installé au Havre, deuxième grand port français après Marseille, a encore plus de mal à émerger.

 C'est peut-être un symbole mais beaucoup auront remarqué qu'aucun des candidats têtes de liste à ces prochaines élections régionales, n'est issu du Calvados, de la Manche, de l'Orne ou du Calvados. Tous viennent de l'ex-Haute Normandie. Un détail?

 

Il y a de grands progrès qui ont été faits mais la marge de progression est encore forte. Il faut que les déplacements se fassent correctement à l'intérieur du territoire et continuer à travailler sur le développement des petites villes qui doivent avoir des services, l'accès aux soins, du haut débit et des écoles pour que les gens viennent et que d'autres choisissent de rester. Il faut que les habitants fassent de cette région la leur. C'est le grand défi.

Pascal Buléon, directeur recherche au CNRS

Cinq ans après : la réunification peine encore dans les services publics

Un exemple, le syndicat CFDT des personnels de l'Education nationale vient de "fusionner" en juin 2021, cinq ans après (ci-dessous) et les difficultés à faire naître un rectorat "normand" en est certainement la cause. 

Il faut dire que la Normandie est la seule Région de France qui a fusionné ses deux rectorats, en  janvier 2020.

La réaction des personnels a été très forte mais n'a rien changé, si ce n'est le recteur qui a servi de fusible.

"Du coup on se réfugie sur un périmètre plus petit. On travaille et on se renferme dans nos départements. Mais on a éloigné des services. Pas certains que ce soit toujours plus clair pour les usagers", précise le délégué SNASUB de l'Orne, le Syndicat National de l'Administration Scolaire et Universitaire et des Bibliothèques.

Une réforme vue de l'intérieure comme énergivore et budgetivore qui a donc du mal à avancer. "On ne comprendra jamais pourquoi nous sommes les seuls à avoir eu à fusionner en France."

 

Tous les services d'Etat ont plus ou moins été réunis, tout comme les services des deux Régions. Le schéma est souvent le même : les deux services d'origine fonctionnent encore des deux côtés, avec moins de monde et une répartition des tâches. Le plus difficile étant de définir "un chef de service." 

Pour Chistophe Lainé, de l'union régionale UNSA, syndicat interprofessionnel des fonctionnaire territoriaux, "Rien n'est fini cinq ans après. Et ça se fait souvent à marche forcée. On se retrouve avec des doublons et de grands services écartelés entre Caen et Rouen. Il y a des formations, des départs, des mobilités et l'addition va être salée. Des chefs de services font l'aller-retour plusieurs fois par semaine. Tout cela a forcément un coût et des conséquences."

On travaille en mode dégradé car les réorganisations ne sont pas terminées. Une seule Normandie si ce n'est pas pour être plus efficace, ça sert à quoi?

Christope Lainé, UNSA région Normandie- personnels territoriaux

La facture est salée pour l'Etat et la Région mais les chiffres ne sont pas vraiments officiels, seule la cour des comptes en 2019 a oser affirmer que la Normandie n'a pas fait d'économies avec la réorganisation territoriale.

"Les nouvelles régions ont largement conservé et reconduit les organisations et les modes de gestion préexistants à la réforme. Elles ont harmonisé par le haut les régimes indemnitaires des agents." Partout, passer de de 22 à 13 Régions n'a pas permis de réaliser les 10 milliards d'économies annoncés en 2015.

 

Quand je pars d'Alençon pour une réunion à Rouen, je peux mettre cinq heures par le train, c'est pire qu'en 2015 car on a, en plus, supprimé des trains entre Caen et Alençon. Il faudrait pour ce voyage que je fasse train-car-train ! Alors on me propose en échange des visioconfs mais encore faut-il que la connexion marche bien. L'autre jour, j'ai passé 3 heures à écouter une réunion au téléphone. Imaginez bien que je n'ai pas parler ou presque et que c'est bénéficie zéro pour tous

Un syndicaliste de l'Orne au Rectorat

Le monde économique : le plus normand-compatible ?

Dans le monde économique le son de cloche est tout autre. Certes on se lamente un peu de la facture : "On se doutait bien que ça allait coûter cher, on a vu les agglomérations succéder aux villes et c'est pareil. On n' a l'effet mille-feuilles à chaque fois. En revanche pour nos chefs d'entreprise, c'est un vrai plaisir d'être Normand", raconte l'optimiste Alain Adam, président du Medef Seine-Estuaire. Sa famille est du Cotentin, il est né dans l'Eure et a fait sa carrière entre Rouen et le Havre, alors la Normandie, c'est sa vie. "Pour moi c'est une réparation du découpage napoléonien cette Normandie réunifiée. Ce qui compte aujourd'hui, c'est qu'on regarde tous dans le même sens. Il faut avoir un esprit normand."

Les rivalités disparaissent quand les gens discutent et se connaissent. Je connais des chefs d'entreprise qui avant faisait travailler en sous-traitance des entreprises de toute la France et qui se sont rendus compte qu'ils avaient ce qu'il faut dans la Région. Une préférence régionale s'installe. Maintenant, on se connaît, on se croise sur les salons. Et ça change tout. Le contexte écologique nous incite à réduire les distances pour les marchandises, voilà pourquoi le périmètre régional va encore gagner en importance

Alain Adam, président Medef  Seine-Estuaire

Tous les observateurs concluent dans le même sens : cinq ans, ce n'est pas suffisant et il reste beaucoup à faire. La construction de la Normandie est en route, ce n'est qu'un début. Il faudra encore un peu de temps pour faire le bilan. 

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