Traumatismes, joies d'enfances, non-dits... chaque famille a vécu et transmis ses propres souvenirs du Débarquement et de la bataille de Normandie aux générations suivantes. Elles témoignent pour France 3 Normandie.
En Normandie, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale se transmet en héritage. À leur famille, les témoins du Débarquement et de la bataille de Normandie ont transmis leurs souvenirs d'enfance, leurs traumatismes. D'autres ont longtemps gardé le silence.
Chaque famille normande a vécu la guerre d’une manière différente et elles en sont parfaitement conscientes.
Francis Eustache, neuropsychologueDirecteur de l'EPHE-Inserm de l'université Caen-Normandie.
Pour le 80ème anniversaire du DDay, nous nous sommes intéressés à ces mémoires de la guerre, plurielles et intergénérationnelles. Quatre familles normandes rancontent comment ces souvenirs ont été légués aux fratries, enfants, petits-fils et petites-filles.
Trouble de stress post-traumatique, besoin tardif de raconter son histoire, libération de la parole... le neuropsychologue Francis Eustache, directeur de l'EPHE-Inserm de l'université Caen-Normandie, nous explique les mécanismes de notre mémoire.
Le souvenir en héritage
Le 6 juin 1944, Henri Houyvet assiste au Débarquement des alliés depuis la fenêtre de sa ferme, à Vierville-sur-Mer (Calvados). En quelques jours, un aérodrome gigantesque s'installe dans le champ situé en face de chez lui, au bord de la plage d'Omaha Beach.
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Certains enfants sont passés au travers des événements tragiques de la guerre. Et pour eux, cette période de leur vie est quand même celle de l'insouciance et de la jeunesse.
Francis Eustache, neuropsychologue
L'adolescent voit pour la toute première fois défiler des engins militaires ultra-modernes importés des États-Unis − les chars, les jeeps et les avions − ces mêmes engins qui déciment des milliers de soldats devant ses yeux.
Des souvenirs ambivalents et bouleversants, ancrés dans sa mémoire de jeune homme, qu’il n’a partagé que tardivement, dans les années 1980, à la naissance de son petit-fils Boris.
Le poids du silence
À partir du printemps 1945, les résistants déportés dans les camps pendant la Seconde Guerre mondiale sont libérés. Parmi eux, Henri Rebiard retrouve sa famille après plusieurs années d’absence. Mais les traumatismes de sa déportation l’empêchent de reprendre sa vie sereinement.
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Redevenu mécanicien automobile chez lui en Normandie, Henri Rebiard ne raconte pas ce qu'il a vécu pendant la guerre à sa fille Annick, dont il est pourtant proche. En dépit de plusieurs tentatives de s'insérer dans associations, l'ancien résistant s'enferme dans le silence.
Les personnes qui ne parlent pas ont souvent vécu des choses tragiques. Elles ne le communiquent, avec un poids assez lourd, mais cela ne veut pas dire qu'elles ont oublié.
Francis Eustache, neuropsychologue
Plusieurs décennies après sa disparition, son petit-fils, François, a entrepris des recherches pour retracer son parcours et comprendre ses souffrances. Grâce à ses recherches, il édifie une nouvelle mémoire : Henri, décoré de la Légion d'honneur, est hissé au rang de héros familial.
Une fratrie reconstituée
Après la perte de sa mère dans les bombardements meurtriers d'Aunay-sur-Odon, Bernard Garnier, devenu pupille de la Nation, tourne la page de son enfance. Historien de formation, il ne repense jamais à ses premières années, préferant se tourner vers l'avenir.
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Un retour dans la région, la retraite ou une rencontre, peuvent expliquer que certaines personnes deviennent des militantes tardives de la mémoire, à l'âge de 60 ou 70 ans.
Francis Eustache, neuropsychologue
Mais tout change pour lui à 70 ans, quand il ressent le besoin de renouer avec son passé. Bernard Garnier préside alors l'association Pupilles de la Nation (orphelins de guerre) du Calvados et devient, d'une certaine manière, un militant de la mémoire.
Dans cet élan, il prend contact avec sa demi-sœur et son demi-frère, Gilbert, qu'il n'avait jamais rencontrés. Ensemble, ils font la découverte tardive mais heureuse de la fraternité.
Les fantômes du passé
Le 6 juin 1944, la ville de Saint-Lô est anéantie par les bombardements alliés. C’est un choc pour Arlette Lecot, 7 ans, qui voit des voisins périr dans la destruction de son quartier. Avec ses parents, ils abordent très tôt le sujet, ils parlent pour évacuer et se soutenir.
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Nous n'avons pas de prise sur les flash et les impressions sensorielles, contrairement aux souvenirs. Elles peuvent être des stigmates du trouble de stress post-traumatique.
Francis Eustache, neuropsychologue
Mais 80 ans plus tard, ses souvenirs douloureux restent intacts. Ils la poursuivent et se manifestent quotidiennement sous forme de flash. Des images et des sensations fugaces qu'elle a l'impression de revivre pendant quelques secondes et qu’elle partage avec sa fille, Catherine.
Nous remercions chaleureusement Henri Houyvet, Boris Lemarquand, Annick et François Le Soudier, Bernard Garnier, Gilbert Marie, Arlette et Catherine Lecot ainsi que Francis Eustache pour leur participation.