Charente : Le Potager des Poissons, une ferme pas comme les autres, en aquaponie

Depuis deux ans, à Moulins-sur-Tardoire près d'Angoulême, Benoit et Jehanne Desormeaux produisent esturgeons et légumes en aquaponie. Une technique agricole millénaire où poissons et végétaux s'épanouissent en symbiose pour le plus grand plaisir des gourmets soucieux d'environnement.

Evidemment, dans la campagne angoumoisine, cette grande serre de 2500 m² a tout d'abord intrigué les riverains. Evidemment, la chambre d'agriculture s'est montrée, doux euphémisme, plus que sceptique sur le projet de Jehanne et de Benoit. Ce dernier est comptable de formation et, malgré ses diplômes en agronomie, Jehanne n'a visiblement pas plus rassuré les tenants d'une agriculture conventionnelle du bien fondé de leur projet. Le Potager des Poissons ou comment marier pisciculture et maraîchage dans une harmonieuse et, néanmoins, très scientifique collaboration. Avouons le, le concept peut surprendre.

"On est en circuit fermé"

Pourtant, Jehanne et Benoit n'ont rien inventé. Les Aztèques appelaient ça une chinampa, une zone de culture en milieu lacustre. Les chinois étaient aussi de grands adeptes d'aquaponie jusqu'à la révolution culturelle. L'aquaculture, on connait. L'hydroponie est un mode de culture hors sol où les racines des plantes sont plongées dans un circuit d'eau où elles trouvent tous les nutriments nécessaires à leur croissance. Pour faire simple, le caca des esturgeons de Benoit, une fois filtré naturellement, fertilise les salades de Jehanne qui redonnent aux poissons une eau saine propice à leur développement.

Le poisson va fournir le nutriment de nos plantes. Il est le vecteur de tout ce qui va se passer par la suite. Le poisson va digérer ce qu’on va lui donner et va fournir la déjection. Cette déjection va être transformée par le milieu bactériologique qui va donner le nutriment aux plantes. Les plantes après vont faire un travail de filtration, elles vont se nourrir de ce nutriment et vont redonner de l’eau propre aux poissons. On est en circuit fermé d’eau ; poisson, milieu bactériologique, plantes, chacun a son travail dans cet équilibre-là, c’est un écosystème, chaque élément est vivant, chaque élément est essentiel.

Benoit Desormeaux, créateur du Potager des Poissons

"On est un peu des martiens"

A Moulins-sur-Tardoire, près de 600 kilos d'esturgeons frétillent dans les bassins. Les poissons sont prélevés à la demande et sont préparés selon la tradition japonaise du ikejime qui leur épargne stress et douleur. Au-delà de leur valeur gustative, ils peuvent aussi donc s'enorgueillir d'avoir fertilisé biologiquement les légumes et plantes aromatiques de l'exploitation. "J’essaye au maximum de faire du local, de faire travailler les artisans autour de chez nous", nous explique Sandrine, une voisine, "j'évite tout ce qui est supermarchés et je trouve que c’est une belle initiative qui est novatrice. Et même en termes de praticité, de lavage des légumes, c’est un peu plus rapide parce que c’est hors sol. En tant que mère de famille qui travaille, je n’y trouve que des avantages". Et, évidemment, aucun produit phytosanitaire n'est utilisé sur l'exploitation.

La différence, c’est que la racine va trouver tout à sa portée. Comme l’eau circule, tous les nutriments viendront à elle. Nous, on n’appelle pas ça des traitements mais des soins effectués avec des purins d’ortie, des purins d’ail ou de genêt mais on ne peut pas faire de traitements sinon ça tuerait le système bactériologique qui est l’un des moteurs de l’aquaponie.

Jehanne Desormeaux, créatrice du Potager des poissons

Le couple a investi 340 000 euros dans ce rêve agricole. A part une subvention de 12 000 euros, ils n'ont guère trouvé de soutien, si ce n'est celui de leurs clients et désormais habitués. "Je passais devant et je voyais ce grand bâtiment. J’étais curieux et je me suis arrêté une fois pour voir la production", nous explique Jean-Michel, "j’ai trouvé des jeunes fort sympathiques, hyper motivés. Je pense que l’aquaponie fait partie de l’économie circulaire et on devrait le favoriser. Or je suis scandalisé de voir que nos politiques et notre administration ne les aide pas". Malgré cela, Benoit est persuadé que l'aquaponie est une vraie solution pour l'agriculture de demain.

Aujourd’hui notre activité fonctionne très bien : on produit des légumes, on produit des poissons. On n’en est à notre deuxième année de commercialisation, donc c’est une année qui va être charnière pour nous. Il faut attendre que cette année s’écoule pour qu’on puisse tirer des résultats. Pour l’instant, on ne se rémunère pas. L’activité ne permet pas de sortir des salaires mais on espère y arriver rapidement pour réussir à en vivre. On n’est pas là pour gagner des cents et des milles, mais pour se payer du travail qu’on fait. On est un peu des martiens mais en même temps on est extrêmement respecté parce qu’on est sur une culture innovante et propre et on est dans le même état d’esprit de satisfaire les clients sur des choses de qualité.

Benoit Desormeaux, créateur du Potager des poissons

Un bâtiment en terre-paille pour stocker les légumes et accueillir la clientèle, un système de phyto-épuration, un puits thermique, des haies pour satisfaire abeilles et oiseaux, un fumoir, un laboratoire de transformation, un élevage d'insectes pour nourrir les poissons ; les projets ne manquent pas dans le Potager des Poissons. Aujourd'hui, la Fédération Française d'Aquaponie recense une quarantaine d'exploitations dont une vingtaine de fermes commerciales. 

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