Alors que les fêtes de Noël approchent dans la plus grande incertitude, certains ostréiculteurs font face à une surmortalité importante de leurs huîtres sans qu’on sache pour l’instant l’expliquer avec certitude. L’Ifremer attend des résultats d’analyse rapidement.
C’est un déluge d’eau qui s’est abattu en mai dernier et qui pourrait bien avoir encore aujourd’hui des conséquences sur la viabilité des huîtres. A peine le déconfinement annoncé, la météo avait été particulièrement peu clémente avec de fortes précipitations. "On a eu un abat d’eau qui a été extrêmement violent", se souvient Thierry Lafon.
Dans la zone, la Leyre avait même débordé de manière inédite. Et les réseaux d’eau fluviale avaient eux aussi été très vite saturés. Dans le bassin d’Arcachon, cet apport d’eau douce a été très net, visible à l’œil nu. "On a eu les eaux marrons", rappelle Dominique Aloir, ostréiculteur arcachonnais. Un phénomène appelé le "doucin", c’est-à-dire un mélange d’eau douce et d’eau de mer. Une désalinisation de l’eau dont on se demande aujourd’hui si elle n’est pas à l’origine de la surmortalité des huîtres observée depuis sur le bassin d’Arcachon. A moins qu’il ne s’agisse d’un ver. Des analyses sont en cours.
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— France3 Aquitaine (@F3Aquitaine) May 13, 2020
« Surmortalités phénoménales »
Selon Thierry Lafon, le président du Comité régional conchylicole Arcachon-Aquitaine, suite à cet épisode météorologique, il a fallu trois semaines pour retrouver une salinité normale. "Cela a provoqué un déséquilibre du milieu qui a stressé énormément les huîtres et provoqué beaucoup de mortalité. On a des surmortalités phénoménales". Dominique Aloir, partage ce constat alarmiste et évoque entre 40% et 60% de pertes le concernant. "Moi je suis un vieil ostréiculteur, mais quand par le passé on a eu des pertes comme ça tout le monde bougeait, là personne ne dit rien, on constate ", se désole-t-il. "C’est une catastrophe, à quoi c’est dû je ne sais pas, certains disent que c’est les eaux douces ".Et ce qui est très inquiétant, c’est qu’actuellement il y a encore des mortalités qui sont au-delà du phénomène normal.
Huîtres de tous âges
Les huîtres de Dominique Aloir sont élevées tout près des Cabanes Tchanquées sur un site ostréïcole appelé "Gahignon ". Ensuite, elles sont parquées au Grand Banc ou à Arguin. "Elles ont toutes été touchées ", annonce-t-il, "quel que soit leur âge ". Une note positive toutefois, " celles qu’on trouve mortes aujourd’hui le sont depuis longtemps car la coquille est sale. Lorsqu’elles sont mortes récemment, la coquille est propre ", nous explique-t-il.Qu’elles soient marchandes ou jeunes, toutes les catégories d’huîtres seraient donc touchées indépendamment de leur situation géographique. " Malheureusement, on a de la mortalité un petit peu partout ", précise Thierry Lafon, "à des chronologies différentes mais aujourd’hui on en a grosso modo, quelles que soient les classes d’âge, et quand on relève et qu’on trie nos huîtres, on se retrouve avec des pertes qui vont de 30% à plus de 60% ".
Une mortalité qui frapperait donc de manière aléatoire, au point que certains ostréiculteurs seraient plus épargnés que d’autres. C’est le cas notamment de Frédéric Fredefon à Claouey, qui se dit "pas spécialement touché ".
Des analyses en cours
Si la désalinisation est évoquée comme cause de cette surmortalité, d’autres pistes existent, comme celle d’un ver de terre. Il s’appelle le "platyhelminthe", c’est un ver plat observé par les ostréiculteurs sur certaines coquilles vides ou moribondes (voir photot ci-dessous). "De l’avis de certains professionnels, ces organismes sont régulièrement observés depuis longtemps, mais leur abondance s’est fortement accrue depuis cet été", peut-on lire dans une note de l'Ifremer sur le sujet. "D’autres indiquent qu’ils n’en avaient jamais vu avant cette année…". Toujours selon ce même rapport, "ces organismes sont particulièrement abondants dans les zones ouest de la lagune et en première ligne, ou en eau profonde : Courbey, Badoc, Pelourdey, Ferret, Banc d’Arguin. Toutefois, ils sont également observés sur des parcs situés au milieu du Bassin".Localement, il est peu ou mal connu. C’est la raison pour laquelle, l’IFREMER a envoyé la semaine dernière des échantillons de ce ver en Espagne. Les résultats devraient vite tomber.
En revanche, pour ce qui est des conséquences de la désalinisation des eaux du bassin, du temps a été perdu. "Si les huîtres moribondes nous sont signalées avec trois mois de retard ", explique Elvire Antajan, " on ne peut rien faire". La responsable de la station arcachonnaise de l’Ifremer précise qu’il faut pouvoir envoyer au laboratoire une trentaine d’huîtres touchées. Et pour l’instant, elle n’en disposait pas.
Ce mardi 17 novembre, visiblement la situation pourrait se débloquer, un ostréiculteur serait sur le point de fournir à l’IFREMER la matière nécessaire pour ces analyses. Tous ce qui relèvera de la parasitologie et de la virologie sera confié à un laboratoire à Pessac, le reste partira à Brest.
Double peine
Dans la mesure où les jeunes huîtres ont elles aussi été touchées, les dégâts risquent de se faire sentir pendant quelque temps. " Ça hypothèque la production à partir d’aujourd’hui jusque dans deux ou trois ans ", analyse Thierry Lafon. " Car toutes les classes d’âge sont touchées. Au début du confinement, on se disait on va avoir trop d’huîtres on ne va pas savoir qu’en faire".Même tonalité du côté de l’Aiguillon. "Là du coup j’ai moins de marchandise à proposer », constate Dominique Aloir. "Mais vu comme ça marche la vente… je ne sais pas".Finalement, aujourd’hui on a ces événements déstructurants avec notamment les restaurants qui sont fermés, mais le stock d’huîtres est faible, très faible.
"Cet été on a eu beaucoup de monde", poursuit l'ostréiculteur, "mais ça ne rattrapera pas les pertes du printemps puisqu’on a ouvert en juin et non à Pâques. Malgré ça, j’ai l’impression que nos pertes dues à la surmortalité des huîtres est plus importante que celles liées au Covid. Je n’ai pas encore calculé mais cette mortalité des huîtres est une catastrophe ".Là on est ouvert mais ça marche au ralenti, on prépare les commandes qui arrivent mais petit à petit.
L’IFREMER précise qu’elle prend le problème très aux sérieux. Ce mardi, une réunion a réuni différents services autour de cette problématique. " On essaie de répondre aux questions mais la science a son temps ", tempère Elvire Antajan. " On essaie d’apporter des réponses le plus vite possible mais il est trop tôt pour en dire davantage ". Dès la semaine prochaine, un certain nombre de pistes pourront être éliminées. Un début.