Deux mois après le début du conflit en Ukraine, une enquête révèle que les artisans sont très touchés. Ils pointent notamment toute une série de difficultés qui pour certains risquent de mettre en péril leur activité.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. 64 % des artisans interrogés se disent "inquiets sur l’avenir de leur entreprise".
C'est le résultat d'une enquête menée par la Chambre des Métiers et de l'Artisanat de Nouvelle-Aquitaine auprès de plus de 1500 entreprises de la grande région.
Parmi ces professionnels inquiets, Marie-Paule Labarrère et son entreprise "Le comptoir des cocottes". C'est une rôtisserie sur la route de Lacanau à Saint Médard-en-Jalles qui vend essentiellement des poulets "élevés à la ferme par nos enfants", à Saint-Laurent du Médoc. Le ferme emploi trois personnes et la rôtisserie quatre.
Notre poulet d'élevage est nourri avec des céréales, du maïs. Et le prix à la tonne a doublé !
Marie-Paule Labarrière, "Le Comptoir des Cocottes"France 3 Aquitaine
En ce moment, c'est le prix des matières premières, en début de chaîne qui pose problème. "On était entre 3 et 400 euros pour le maïs et 800 pour le blé, ça a doublé".
"Il faudrait pouvoir répercuter ces prix au niveau de la ferme (...) mais s'ils font ça, c'est pas possible. Moi, après, à combien je vends mon poulet ?"
"Nos marges fondent comme neige au soleil et ensuite, tout a augmenté autour !" Elle raconte tout ce qui, depuis deux mois, s'accumule : le prix de l'essence de son camion pour livrer les clients, aller chercher les poulets à la ferme. "Le plein d'essence, c'était 80 euros, c'est 125. C'est un plein d'essence par semaine : c'est beaucoup !"
Et l'huile ? Avant la guerre, l'huile de tournesol utilisée par la rôtisserie coûtait 1,89 euros. "Elle est à 4 euros maintenant". Elle explique la situation ubuesque, par ailleurs, de Metro qui limite l'achat à 50 litres par jour et par entreprise. Elle doit s'y rendre tous les jours.
De la même façon, la rôtisserie fonctionne au gaz. "La tonne de gaz on la payait 895 euros. On est à 1260. C'est de la folie !". "Et le pouvoir d'achat des gens a baissé. Tout a augmenté partout". Elle parle de ses clients habituels : "ils ne veulent pas s'en passer du bon poulet fermier Mais par contre, ils vont venir moins souvent. Au lieu de venir tous les dimanches, ils vont venir tous les quinze jours".
Je paie tout le monde mais je ne me paie plus.
Marie-Paule LabarrièreFrance 3 Aquitaine
Ces augmentations généralisées ont déjà un impact sur la trésorerie et même sur les salaires. "J'ai plus de salaire. Du tout. C'est très très lourd". "Il ne faut pas oublié qu'on sort d'un covid !" Et elle rappelle qu'à tout cela va s'ajouter le PGE ( prêt garanti par l'Etat ) de 43000 euros qu'ils devront commencer à rembourser en juin prochain "à moins que la politique de l'Etat ne change là-dessus".
"On est inquiets parce qu'on ne sait pas ce qui va se passer. Quelle sera la politique de la France même dans 15 jours".
Question de survie
Didier Touya a créé la blanchisserie de l'Adour en 1993. C'est une blanchisserie industrielle basée à Saint-Paul-les Dax qui travaille avec les établissements thermaux, les hôtels, les centres de vacances, campings et collectivités, jusqu'à 50 kilomètres alentours. Il emploi 8 personnes à l'année et 15 au plus fort de la saison, de mars à novembre. Malgré la baisse de fréquentation des curistes, il raconte qu'en ce moment, "ce n'est pas le travail qui manque".
Je suis carrément impacté par le prix du gaz ... On est très inquiets
Didier Touya, patron des Blanchisseries de l'AdourFrance 3 Aquitaine
La guerre en Ukraine, bien loin de la ville landaise, touche son activité de plein fouet. Dans sa blanchisserie, tout fonctionne au gaz : "une chaudière qui produit de la vapeur qui alimente les machines. J'ai des tunnels de lavage, des trains de repassage, et des gros séchoirs pour les peignoirs, les serviettes éponges (...) alimentés au gaz exclusivement. Il n'y a pas d'autres solution".
"J'ai un contrat de gaz qui se termine en janvier 2023. Je paie 16 euros le mégawatt- heure (...) Mais on ne sait pas où on va. Si on va pouvoir continuer notre activité (...)C'est un prix garanti mais comme le prix actuellement est de plus de 60 euros... on ne pourra plus continuer à travailler. Car par an, j'ai une facture qui s'élève à 85 000 euros. Imaginez bien que multipliée par 3 ou 4, si j'ai 300 000 euros de gaz, ce n'est pas la peine!"
1500 artisans interrogés
Marie-Paule Labarrière et Didier Touya font partie de ces artisans inquiets qui ont répondu au questionnaire de la Chambre des métiers et de l'artisanat.
68,7 %* des chefs d’entreprise artisanale interrogés répondent rencontrer des difficultés depuis le début de la guerre en Ukraine et ses conséquences. Une enquête qui témoigne d'un " niveau de fragilité des entreprises artisanales élevé".
64 % des répondants se disent "inquiets sur l’avenir de leur entreprise" et près d'un quart (23,77 %) souhaitent être contactés par un conseiller de leur Chambre des Métiers de l'Artisanat.
Le président de la CMA Nouvelle-Aquitaine, Gérard Gomez, rappelle que le réseau des CMA est mobilisé pour soutenir les artisans : "les cellules de crise mises en place au moment des confinements ont été réactivées pour informer les artisans sur les dispositifs de soutien adaptés à leur situation. Des réunions régulières organisées avec la préfecture nous permettent de faire remonter les difficultés de nos collègues".
L’alimentation est le secteur le plus concerné
D'après cette enquête, tous les secteurs sont touchés.
- 77,8 % des artisans issus du secteur de l’alimentaire se disent impactés
- 75,3 % dans le bâtiment,
- 66,9 % dans la production
- 61,3 % dans les services
Déplacements et matières premières plus chers
Les principales difficultés évoquées sont le coût des déplacements qui arrive en tête avec 86 % des difficultés citées, le coût des matières premières (73,75%) mais aussi la baisse du pouvoir d’achat de la clientèle à (70,4%). Viennent ensuite les difficultés d'approvisionnement et coût de l'énergie.
Pour autant, d'après l'enquête " les problèmes d’exportations vers la Russie ou l'Ukraine restent marginaux" et sont cités pour moins de 1%.
Une fragilité financière
C'est un sentiment que partagent beaucoup d'artisans. Plus de la moitié des personnes interrogées (52,27 %) se disent "en situation de fragilité financière" que ce soit une basse trésorerie (la fragilité la plus citée : 80,64 %) ou la réduction des marges (62 %).
Sont ensuite évoqués, l’allongement des délais de paiement (17%), l’augmentation des impayés (15,25 %) ou bien l’échéance du remboursement du Prêt Garanti par l'Etat (emprunt contracté durant la pandémie).
Des besoins d'informations
Pour beaucoup d'entre eux également (52,6%) ils sont en recherche de plus d'information :
- sur les mesures de soutien aux entreprises (64 % des artisans en fragilité)
- 6,73 % souhaitent être informés sur les aides envers les Ukrainiens
- 5,64 % évoquent la cybersécurité
- 3,2 % souhaitent savoir s’il y a des sanctions sur les exportations vers la Russie
Inquiets pour l'avenir
Questionnés sur leur niveau de confiance en l’avenir, seuls 5 % se disent très confiants, 31 % plutôt confiants, 53 % plutôt pas confiants et 10,5 % pas du tout confiants. Alors ? Comment envisagent-ils de faire face à cette crise ?
- Près de 37 % des répondants pensent optimiser au maximum leurs consommations énergétiques
- 36 % envisagent d’améliorer leur stratégie commerciale
- 26 % pensent diversifier les fournisseurs
- 9 % pensent modifier leur organisation interne
- 3,5 % comptent renforcer leur sécurité informatique
Ce sont 1519 entreprises de toute la Nouvelle-Aquitaine (hors département de la Vienne) qui ont répondu à cette enquête envoyée par courriel entre le 21 mars et le 13 avril.
En savoir plus sur : www.artisanat-nouvelle-aquitaine.fr