Témoignage. Meurtre d'Alicia Faye sur fond de trafic de drogue en Guyane : "quand on vous propose 20 000 euros, c'est difficile de résister"

Publié le Mis à jour le Écrit par Julie Chapman

Le 13 mars 2021, le corps d’Alicia Faye est découvert, sans vie, en Guyane. À des milliers de kilomètres de sa Gironde natale, la jeune femme faisait la “mule” et transportait de la drogue au-dessus de l'Atlantique. Trois ans plus tard, son meilleur ami, au cœur des confidences, raconte les dangers et les désillusions de ces opérations risquées.

Alicia Faye avait 25 ans. “C’était une fille débrouillarde, mature, toujours partante pour sortir”, décrit son meilleur ami, que nous appellerons Nicolas.
Sa vie s’est pourtant brutalement arrêtée dans la nuit du 12 au 13 mars à Cayenne en Guyane. Au petit matin de ce samedi, son corps est découvert dans un petit chemin, un trou de 9 mm dans la tête. La jeune Girondine était à Cayenne pour faire la “mule”, une mission qui consiste à faire passer de la drogue en France en s’insérant des capsules de cocaïne dans le corps. “C’était son deuxième voyage”, souligne Nicolas.

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"On était tout le temps fourrés ensemble"

Depuis son appartement bordelais, le jeune homme plonge régulièrement dans la mélancolie. “Décembre, c’est le mois de son anniversaire. Mars, la date de sa mort. Entre les deux, c’est toujours une période très dure”, explique Nicolas. Amis depuis l’enfance, Nicolas et Alicia se retrouvent après une période d’absence en août 2017. “Rien n’avait changé, tout est reparti directement”, décrit Nicolas. Restaurant, sorties, cinéma, avec une troisième amie, le trio est inséparable. “Je dormais chez Alicia minimum trois soirs par semaine, on était tous les temps fourrés ensemble”, se souvient-il.

On était des nighters, on faisait beaucoup de soirées.

Nicolas*,

meilleur ami d'Alicia Faye

Le groupe aime aussi le monde de la nuit. C’est à ce moment qu’elle aurait rencontré un homme qui l’aurait mise en contact avec le réseau. "Moi, je ne l’ai jamais vu, ou du moins, s’il était présent aux soirées, je ne l’ai jamais rencontré”, indique-t-il.

Accumulation de dettes

Dans leur vingtaine, le groupe est pourtant éloigné du monde de la drogue. “On fumait de temps à autre, mais jamais, on n'a jamais touché à de la cocaïne”, affirme Nicolas. C’est en effet l’argent et les dettes qui vont pousser Alicia à basculer dans l’illégalité.

Ses parents à la retraite, Alicia enchaîne les petits boulots pour vivre et payer son loyer. Mais en 2020, le Covid marque un frein à son activité. La première désillusion qui va la pousser vers l’illégalité. “Elle se blesse ensuite au genou et ne peut donc pas reprendre un nouveau travail”, indique Nicolas. Les dettes s’accumulent pour celle qui ne gagne que 900€ de chômage pour 550€ de loyer. “Elle avait des économies, mais elles n’étaient pas illimitées”, raconte Nicolas. 

Un jour de décembre 2020, Alicia lui propose un café “pour parler d’un truc”. “Là, elle m’annonce qu’elle envisage de faire la mule pour récupérer de l’argent”, explique Nicolas. Au début, le jeune homme ne comprend pas. 

Je ne savais même pas ce que ça voulait dire, mais quand elle m’a expliqué, j’ai commencé à m’inquiéter.

Nicolas*

meilleur ami d'Alicia Faye

Après quelques recherches sur internet, il tente de la dissuader, lui propose de l’argent. “Elle ne voulait aucune aide. Elle voulait s’en sortir seule”, regrette Nicolas.

"Je ne voulais pas savoir comment ça se passait"

Impuissant, son meilleur ami décide alors de “l’écouter sans la juger”. “Elle m’en parlait comme s’il n’y avait aucun danger. C’était clair, organisé dans sa tête”, se souvient Nicolas. Lui, ne veut pas être impliqué, par peur des répercussions sur son avenir. “Je ne voulais pas connaître les détails. J’étais présent émotionnellement, mais je ne voulais pas savoir comment ça se passait”.

Lors de son premier voyage, Nicolas garde l’appartement d’Alicia et s’occupe de son chat. “On discutait tous les jours sur Snapchat, je prenais des nouvelles constamment”. Alicia lui raconte ses mésaventures. “Un mec bizarre, un contact sur place, qui la draguait dans l’endroit où elle logeait en Guyane. Elle a dû partir ailleurs”, explique-t-il.

Au lieu d’une semaine, Alicia en passe deux, à Cayenne et ne réussit pas à obtenir la somme qu’elle espérait. “Elle n’a pas réussi à avaler la totalité de ce qu’on lui demandait”, explique Nicolas. Les capsules insérées dans son vagin, d’autres avalées ne suffiront pas pour récupérer les 10 000€ qu’on lui avait promis. À son retour, elle n’en récupèrera que 1 700€.

Trop peu. “En février, la veille pour le lendemain, elle m’annonce qu’elle fait un deuxième voyage avec une autre personne qui lui avait proposé le double”. Nicolas s’inquiète et tente tout pour la retenir.

Je lui parle des dangers, j’insiste pour lui prêter de l’argent, je fais tout pour qu’elle n’y retourne pas.

Nicolas*

meilleur ami d'Alicia

Peine perdue, la jeune femme prend l’avion le lendemain vers Cayenne, sans savoir que ce sera sa fin. “Elle avait dit à ses parents qu’elle était à Paris avec des amis et on ne devait le dire à personne”, explique Nicolas.

“Si j’avais su, peut-être que j’aurais parlé”

Ce silence complice pèse aujourd’hui lourd. “Le soir de son décès, elle m’a envoyé un message à 20h qui se terminait par “Je t’aime” comme on se disait à chaque fois”, se souvient Nicolas. Après deux jours d’angoisse, “et un mauvais pressentiment”, la mère d’Alicia apprend le drame à Nicolas. “Si j’avais su, peut-être que j’aurais parlé”.

Loyal envers son amie, il s’est tu, jusqu’à la fin. “Elle avait 25 ans, je ne pouvais pas la ligoter”, remarque-t-il. “Mais j’aurais pu en parler autour de moi, sans pour autant l’impliquer directement, pour savoir quelle démarche adopter pour que cette situation n’arrive pas”. S’il a préféré garder sa confiance “pour maintenir le lien et savoir ce qu’il se passait”, il avoue aujourd’hui, qu'en connaissant l’issue, il aurait parlé “à des flics, un psy ou même sa famille”. “Tout a été très vite, j’ai décidé de me taire, et de me protéger aussi”. 

Aujourd’hui, j’aurais préféré être interpelé pour l’avoir séquestrée et éviter qu’elle ne fasse ce deuxième voyage.

Nicolas*,

meilleur ami d'Alicia Faye

Le phénomène des mules "peut toucher tout le monde"

En Nouvelle-Aquitaine, 22 “mules” ont été arrêtées par les douanes en 2022. Elles transportaient 16 kg de cocaïne sur elles. “Ça peut toucher tout le monde, pas que les gens qui baignent déjà dedans”, rappelle Nicolas. “Quand on vous propose 20 000€, avec le voyage payé, les fêtes sur place, et que la seule mission, c'est de transporter de l’argent ou de la drogue, c’est difficile de résister, surtout si vous êtes en galère financière”. En France, si le trafic de cocaïne inonde toute la France, la Sarthe est particulièrement touchée par ce phénomène. 

Pour Sarah Perrin, sociologue auteur de l’ouvrage Femmes et drogues, Trajectoires d'usagères-revendeuses insérées socialement à Bordeaux et Montréal, si les “mules” sont souvent issues des pays expéditeurs, leur profil reste souvent le même “Ce sont des profils féminins. Féminin, parce que les trafiquants pensent, à juste titre, qu’elles passeront plus inaperçues”, explique la sociologue. Comme Alicia Faye, ces femmes sont généralement précaires. “Ce sont des personnes prêtes à prendre des risques énormes pour des sommes, importantes pour elles, mais dérisoires par rapport au trafic mondial. Et puis pour elle, ce sont aussi l’occasion de faire le voyage d’une vie”, explique Sarah Perrin.

Glamourisation d'un jeu dangereux

Nicolas met en garde aussi contre la “glamourisation” de la pratique. “Alicia était fan de la série Reines du Sud, qui parle de trafic de drogue, je crois que ça a joué dans sa décision”, explique-t-il. Un idéal loin de ce qu’a vécu la jeune femme.

Sur les vols entre Cayenne et Orly, principal point de chute en France de ce trafic, entre 20 et 50% des passagers de chaque vol sont des mules. En 2022, les douanes de Nouvelle-Aquitaine ont intercepté 709 kg de cocaïne. En France, le trafic représenterait 250 tonnes chaque année.

Comme les trafiquants, les mules sont poursuivies pour offre, détention et transports de stupéfiants. Les peines vont de 10 ans à 20 en d’emprisonnement, en cas de récidive. “Il s’agit généralement de dossiers faisant l’objet d’informations judiciaires ou de comparution immédiate, si on se rend compte qu’on n'arrivera pas à démanteler un réseau”, indique le procureur de Bordeaux.

Instruction difficile

Deux ans plus tard, personne ne sait qui a tué Alicia Faye. Dix-huit personnes sont mises en examen pour meurtre et trafic international de stupéfiants. Une dizaine est placée en détention provisoire, mais l’instruction piétine, au désespoir de ses parents.

L’une d’entre elles, soupçonné d’être à la tête d’un important trafic entre la Guyane et la métropole, est incarcérée à Nancy, après des menaces proférées envers l’ancienne juge d’instruction, aujourd’hui en arrêt maladie. "C'est une instruction compliquée où les personnes ne parlent pas", rappelle Michaël Beulque, l'avocat de la famille d'Alicia Faye. Dessaisie du dossier en février, la juge en charge du dossier a été remplacée par une nouvelle magistrate. "Elle a bien repris l'instruction", confirme Michaël Beulque.

Aujourd’hui, Nicolas se rend régulièrement sur la tombe de son amie, “aux heures d’ouverture et de fermeture”. “Je ne veux pas que ses parents me croisent, je représente trop à leurs yeux l’espoir brisé qu’on aurait pu la sauver”. 

*Le prénom a été modifié

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