Agriculteurs en colère : la stratégie des syndicats face à la grogne, avant des élections importantes

La fronde des agriculteurs, à l'appel de différents syndicats, est l’occasion de proposer une photographie des forces en présence sur les rond-points et axe routiers de notre région. FNSEA, JA, CR, Confédération paysanne, ce mouvement de contestation partagé laisse aussi entrevoir des points de vue et une histoire différents, expliqués par le politologue Thomas Marty.

« On a trop souffert durant ces dernières années, autant se sacrifier une ou deux semaines de grève, on verra bien », explique un membre des JA sur un point de blocage, ce mardi sur la RN145, au niveau de Guéret, où ils se relaient pour tenir le piquet de grève. « On ne bougera pas tant qu’il n’y aura pas de réponses concrètes ! », prévient-il alors qu’une procession de tracteurs est en train de monter pour faire entendre leur colère.

Une semaine après la fronde du monde agricole, la colère ne baissait pas. L’abandon de la taxe sur le gazole non routier qui devait entrer vigueur début 2024, annoncé par le premier ministre Gabriel Attal, le 26 janvier, n’a pas suffi à calmer le mouvement. La promesse du renforcement des aides d’urgence pour les éleveurs touchés par la maladie hémorragique épizootique, à hauteur de 50 millions d’euros, pour les agriculteurs bretons affectés par la tempête, avec l’enveloppe qui est doublée, la filière bio qui est en souffrance et qui voit de nombreux agriculteurs revenir à l’agriculture conventionnelle, se voit aider d’une enveloppe de 50 millions d’euros. Sans oublier la viticulture qui devrait, pour sa part, recevoir un nouveau plan d’aide. Partie de la base, la grogne des agriculteurs ne faiblit pas et les forces syndicales tentent de récupérer le mouvement.

Quand la manifestation a surgi, on a vu chez nous trois points de blocage : au nord de la Haute-Vienne, au rond-point de la Croisière, un barrage tenu par la coordination rurale.

Plus proche de Limoges, au rond-point de carrefour Boisseuil, c’est la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs qui tiennent le piquet de grève.

Sur les barrages de Corrèze, c’est le MODEF (le mouvement de défense des exploitants familiaux) qui a mené une action sur l’autoroute A 89. La coordination rurale mène aussi la contestation sur place.

 

Le nom de la FNSEA est souvent accolé à celui des JA pourquoi ?

La FNSEA est le syndicat agricole majoritaire, résultats des élections professionnelles de 2019 avec 212.000 membres. Les Jeunes agriculteurs, sont souvent derrière la FNSEA, en tout cas pas très loin, car ils sont proches idéologiquement.

 

Créée dans l’immédiat après-guerre, la FDSEA a été proche du pouvoir, avec des responsables qui pouvaient devenir ministres, par exemple. Un syndicat classé plutôt à droite. Mais on observe que depuis trente ans, les syndicats agricoles combattent les pouvoirs politiques. La FNSEA domine les chambres, majoritairement les chambres d’agricultures, qui sont des instruments de cogestion.

Thomas Marty

chercheur en sciences politiques à l'Université de Limoges

 

À côté de ces deux syndicats, on parle beaucoup de la coordination rurale

La 'CR' est la deuxième force syndicale en termes de nombre d’adhérents : 15.000 membres. Ils sont majoritaires à la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne. Et ce sont eux qui sont à la pointe de la contestation et qui ont fait route vers Paris. Ils sont souvent décrits comme les plus déterminés, les plus radicaux. On l’a vu durant cette semaine de fronde.

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On prête à ce syndicat des ambitions politiques, du moins une influence sur le politique. La coordination rurale est souvent classée à droite. Elle est approchée, ces temps-ci, par le Rassemblement National, selon le politologue Thomas Marty. On a d’ailleurs aperçu l’élu régional Valéry Elophe sur le point de blocage d’Ussac en Corrèze. « J’apporte mon soutien inconditionnel aux agriculteurs qui font des manifestations qui sont pacifiques. Et j'encourage nos agriculteurs à continuer à exprimer leur colère légitime ».

Cela dit, « on ne peut pas dire » précise le politologue, « que la coordination rurale soit un syndicat d’extrême droite. Elle est plutôt dans une droite souverainiste. Ils sont majoritaires dans le sud-ouest, ce n’est d’ailleurs pas anodin que la manifestation soit partie d’ici ».

Alors que la FNSEA et les JA sont présentés comme des syndicats de compromis, qui cherchent le consensus.

Sur l'échiquier syndical, il y a aussi la Confédération paysanne, plutôt classée à gauche, présente notamment sur l'A20 pendant ces blocages. Elle représente, selon le politologue, une fraction du syndicalisme agricole qui a tendance à se tasser en Limousin, avec la concurrence de la Coordination rurale. Elle représente, selon lui, "une fraction écolo du syndicalisme agricole, et qui a tendance à être concurrencée par d'autres groupes, comme 'Terres de liens', en termes de revendications militantes". Pour ce syndicat, ni blocage, ni fumier, à Argentat-sur-Dordogne, le syndicat manifestait sans fracas pour proposer une autre direction pour l’agriculture française. À Argentat-sur-Dordogne, les agriculteurs de la Confédération paysanne réclamaient que l'agriculture prenne une nouvelle direction, celle de l'agriculture paysanne, plus respectueuse de l'environnement, avec des exploitations à taille humaine. 

Il y a aussi des agriculteurs qui ne sont pas syndiqués, mais qui sont solidaires du mouvement. On les a croisés par exemple au barrage de Saint-Yrieix-la-Perche en Haute-Vienne ou encore à Aixe-sur-Vienne.

Une contestation pour une lutte d’influence sur fond d’échéance électorale ?

Il faut savoir que les élections européennes du 9 juin prochain représentent un gros enjeu pour les syndicats agricoles.  « L’électorat agricole est plutôt de droite. Et on constate bien que sur la ruine des partis de droite, le RN laboure sur un terrain fertile », analyse le chercheur en sciences politiques.

Il y a surtout des élections professionnelles dans les chambres d’agriculture en 2025. Avec ces rendez-vous, les syndicats se livrent une bataille qui promet d’être rude. On en a l’avant-goût aujourd’hui.

« Les élections européennes, c’est le contexte politique où le RN est devant Renaissance et la gauche. Un contexte qui rend favorable la lutte contre la PAC pour les syndicats. Le RN arrive à se faire le relais des syndicats comme la coordination rurale et même des jeunes agriculteurs. Le vote RN est très fort chez les jeunes agriculteurs. », détaille le politologue. 

Sur les enjeux européens, le premier ministre a réaffirmé l’opposition de la France à la signature de l’accord de libre-échange entre les vingt-sept pays européens et le Mercosur (qui rassemble le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et l’Argentine), une opposition qui s’étend à tous les accords de ce type sans réciprocités des normes. Le Premier ministre a également demandé l’abandon de la mise en application du texte européen sur les zones humides et les tourbières.

Cela dit, le Premier ministre peine à convaincre, notamment sur la promulgation de la loi Egalim qui normalement devrait garantir une meilleure rémunération de la vente de leurs produits. La vérité, c’est que les intermédiaires, c’est-à-dire les transformateurs et distributeurs, sont accusés d'être peu enclins à faire appliquer la loi. Bruno Le Maire a d’ailleurs déclaré à ce propos que les distributeurs et industriels qui ne se conformeraient pas à la loi Egalim risquent des sanctions susceptibles d’atteindre 2% de leur chiffre d'affaires.

La FNSEA appelait, en début de semaine, à la poursuite du mouvement et demandait à être reçue par le chef du gouvernement. La coordination rurale appelait également au durcissement du mouvement. Tout en demandant la détaxation du GNR ainsi que le report des remboursements d’emprunts d’une année. La Confédération paysanne, plutôt classée à gauche, se disait déçue par les annonces du Premier ministre, et appelle à maintenir la pression.

Mais ce jeudi, La Coordination rurale, qui avait appelé, ces derniers jours, à bloquer Rungis, fait finalement demi-tour. 

Dans le même temps, un millier de tracteurs sont stationnés à Bruxelles ce jeudi 1ᵉʳ février et le Salon de l'agriculture ouvre ses portes à Paris dans trois semaines. Le mouvement peut-il durer ? Pour Thomas Marty, ce jeudi matin, il s'agit d'observer désormais le mode de mobilisation dans les régions. Sans exclure d'autres interventions politiques dans les prochaines heures, il n'est pas impossible que cette mobilisation - quoique populaire dans les sondages - s'essouffle "faute de dialogue et surtout faute de nouvelles revendications précises." 

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