Agathe Hébras nous raconte les souvenirs de cette amitié de quarante ans entre son grand-père et l'Allemand Fritz Körber. Dans la lignée de Robert Hébras, rescapé du massacre du 10 juin 1944, un autre attachement est naissant entre la jeune femme et la petite-fille d'un soldat SS. Un soldat qui a pourtant tiré sur son grand-père le 10 juin 1944.
Ce sont des rencontres du destin qui marquent à tout jamais. Des rencontres qui donnent naissance à des amitiés inattendues. Et qui portent un émouvant message de résilience.
Ce 10 juin 2024, à Oradour-sur-Glane, Fritz Körber est, une fois de plus, venu rendre hommage aux victimes du massacre d'Oradour, ainsi qu'aux rescapés, parmi lesquels son ami, Robert Hébras, décédé en février 2023.
Bien avant l'hommage des présidents allemands et français, ce 10 juin 2024, et bien avant l'hommage des présidents François Hollande et Joachim Gauck en 2020, l'histoire a rassemblé Fritz et Robert à Nuremberg en 1985, lors d'une conférence sur la paix.
Le Français, qui n'a cessé de perpétuer le devoir de mémoire et d'œuvrer pour la réconciliation des peuples, avait été invité par l'ancien chancelier Willy Brandt. "Fritz a tenu à relancer mon grand-père après la conférence. Après plusieurs allers-retours en Allemagne, mon grand-père a fini par se dire que les Allemands étaient finalement des gens ordinaires. Il a fini par intégrer tout cela. Mais ce n'était pas facile", raconte Agathe Hébras.
Aucun ne parle la langue de l'autre et pourtant, ils pouvaient passer des dîners entiers ensemble.
Agathe HébrasPetite-fille de Robert Hébras
Le récit de la petite fille se poursuit. Robert Hébras comprend qu'il y a beaucoup de choses à faire en Allemagne, pour assurer la paix entre les pays et se servir de son histoire comme d'un exemple à ne jamais reproduire. Fritz Körber va l'aider dans son chemin pendant quarante ans.
Même si les souvenirs d'Agathe Hébras sont vagues en raison de son jeune âge à l'époque, certains détails l'ont toutefois marqué "Quand Fritz venait en Limousin pour les commémorations d'Oradour ou autre chose, il passait voir mon grand-père. Aucun ne parle la langue de l'autre et pourtant, ils pouvaient passer des dîners entiers ensemble, parfois avec des interprètes. Ils s'échangeaient quelques mots. Ils étaient juste heureux d'être, là, ensemble. Il a été très affecté par le décès de mon grand-père", se souvient-elle.
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Un chagrin exprimé lors de l'hommage au rescapé rendu le 17 février 2023. Fritz Körber avait pris la parole lors de l'hommage : "après la douleur du départ, il y a la gratitude d'avoir connu Robert Hébras. Sans vouloir préjuger ce que les historiens ou les biographes diront un jour de l'œuvre de mon ami Robert, je ressens le devoir de lui rendre hommage. (...) Il s'est toujours battu pour l'entente et la paix entre les peuples. Nous nous souviendrons de lui avec une profonde gratitude."
Un moment décisif
Plus qu’une amitié, un symbole, alors que la réconciliation franco-allemande est loin d’être une évidence dans les 80 à 90.
Quelques mois avant la disparition de son grand-père, Robert Hébras ira encore plus loin dans cette démarche de résilience en faisant la rencontre de Karin, la petite-fille d'un soldat SS. Agathe Hebras nous confie que cette rencontre a apporté une forme d'apaisement à son grand-père, lui qui a passé des années à lutter contre le négationnisme. "Je suis reconnaissante envers Karin. Elle a eu le courage d'affronter mon grand-père. Elle a toujours été extrêmement marquée par cette rencontre. Mon grand-père a été très bienveillant envers elle. Elle n’y était pour rien, confie Agathe Hébras. Karin lui a raconté l’histoire de son grand-père : dans ses dépositions, il avait reconnu ce qu'il avait fait. Ça a été un moment décisif pour mon grand-père."
C’était la première fois que quelqu’un venait légitimer ce qu'il avait vécu, alors qu'il avait justement été critiqué pour avoir dénoncé ce qu’il s’était passé.
Agathe HébrasPetite-fille de Robert Hébras
Comme un héritage, depuis la disparition de son grand-père, la jeune femme a précieusement entretenu les liens d'amitié avec Fritz. Ensemble, ils continuent de travailler sur la question du devoir de mémoire "J’ai de l’amitié pour lui. Je sais qu'il était extrêmement bienveillant, j'ai envie de l'être à mon tour. Lorsqu’il m’arrive de me déplacer en Allemagne, en Moyenne-Franconie, en Bavière ou à Dachau, je sais qu’il fait en sorte de s’y rendre lui aussi", explique Agathe Hébras.
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De petite-fille à petite-fille
Au printemps 2024, Agathe et Karin, tissent, petit à petit, des liens avant la 80ᵉ commémoration du massacre d'Oradour-sur-Glane. "C'était beaucoup d’émotion pour elle, souligne Agathe Hébras. Ce n’est pas facile, pour elle, de se tenir là, lorsqu'on est du mauvais côté de l’histoire."
Les deux petites filles gardent contact et échange régulièrement des messages. Elles ne parlent pas non plus la même langue, mais le lien est fort. "Son grand-père a tiré sur le mien. On peut discuter sur des questions très intimes, discuter sur nos parcours similaires."
Ce n’est pas facile de se tenir là lorsqu'on est du mauvais côté de l’histoire.
Agathe HébrasPetite fille de Robert Hébras
Agathe porte le flambeau de son grand-père et aide Karin à faire aussi son cheminement. "Son grand-père est devenu un assassin, parce qu’il était dans cette idéologie depuis tout petit. On peut faire de vous un homme mauvais en vous persuadant que vous faites le bien", avertit la petite-fille de Robert Hébras.
Toutes les deux espèrent pouvoir animer ensemble des conférences en France ou en Allemagne, où des interventions dans les écoles pour que plus jamais, l’histoire ne se répète.