Née en mars 1946, Annette Rigon, née Rénaud, n'a pas connu le massacre du 10 juin 1944, mais toute sa vie personnelle et familiale tourne autour de cet événement traumatique. À l'approche des commémorations du quatre-vingtième anniversaire du massacre, elle raconte, pour la toute première fois, cette histoire faite de drames et de reconstruction(s).
Sur la nouvelle fresque peinte sur les murs de l'école d'Oradour-sur-Glane, deux enfants posent tout sourire devant un baraquement en bois. Cette scène, qui symbolise la vie qui reprend son cours, peu de temps après le massacre, est tirée d'une photo bien réelle. Cette photo, prise au début des années 1950, Annette Rigon, née Rénaud, la garde précieusement avec elle. Car c'est elle sur cette photo, en compagnie de son petit frère Jean-Pierre.
La septuagénaire a un choc lorsqu'elle découvre la fresque en avril dernier : “Presque brutalement, j’ai dit : “c’est nous !”. Personne ne savait que c’était nous qui étions dessus, personne ne nous avait reconnus. Je me demande encore où on a trouvé la photo !”, en observant cette œuvre, ce sont presque huit décennies qui défilent devant ses yeux...
Une enfance singulière
Née en mars 1946 dans la maison de sa grand-mère paternelle, à quelques kilomètres du bourg d'Oradour, Anne-Marie (mais appelez-la Annette) Rénaud a grandi dans le village provisoire d'Oradour-sur-Glane avec ses deux parents, Jeannine et Aimé, tous les deux rescapés du massacre et son petit frère.
Annette tient à nous emmener sur les lieux de ce village provisoire, aujourd'hui complètement disparu, remplacé par un lotissement en dur. Elle a conservé une photographie aérienne des constructions en bois, comme beaucoup d'autres documents de l'époque. “Le garage de mon père était là, et la maison juste à côté", nous montre-t-elle sur la photo en noir et blanc.
La petite fille grandit dans des baraquements en bois très sommaires, sans eau courante, ni toilettes, ni chauffage. Une vie rude qui ne l'empêche pas de couler des jours heureux, malgré l'inconfort et malgré le traumatisme vécu par ses voisins : "Tout le monde s’occupait de moi. Ces mamans qui avaient perdu leurs enfants étaient presque devenues des membres de la famille. Mme Rouffanche (NDLR, Marguerite Rouffanche, seule survivante de l’église) je l’appelais Mémé Rouffanche ; Mme Simon, c'était “Tata Millie”... J’ai marché à neuf mois et demi, je ne sais pas si ça vient de là… Tout le monde essayait de me faire marcher."
J’étais bien, on s’occupait bien de moi, c’était tout ce qui comptait.
Annette Rigon, fille de rescapés du massacre
Un destin brisé
Comme toutes ces familles, le destin de la famille Rénaud bascule le 10 juin 1944. La mère d'Annette, Jeannine, est coiffeuse au-dessus du café tenu par sa grand-mère, à l'entrée du village. Aimé, son père, travaille au garage Desourteaux, dans l'artère principale qui porte le même nom.
"Ce jour-là, ma mère coiffait Mme Goujon, la femme de l’instituteur lorrain. Elles ont entendu du bruit puisque les Allemands sont arrivés par cette entrée. Elles ont regardé par la fenêtre et cette dame a dit : “ce sont les Allemands, il faut prévenir les hommes. Allez prévenir votre mari, moi, je vais prévenir le mien (...) Elle est partie en courant."
Derrière elle, Jeannine Rénaud laisse sa mère, ses deux sœurs, et sa petite fille, Any, âgée de quatre ans, en pensant revenir plus tard. "Seulement, elle s'est retrouvée coincée là-bas..." Une fois au garage, Jeannine prévient son mari ainsi que son patron de l'arrivée imminente des soldats de la division Das Reich. Une cliente de la boulangerie voisine est également alertée. "Ils ont vu la colonne qui arrivait, ils ont décidé de se cacher."
Ils ont tout entendu, mais ils disaient qu’ils ne pouvaient pas estimer le temps ni rien… C’était irréel. Tout brûlait autour d’eux.
Annette Rigon, fille de rescapés
“Un Allemand est venu à la porte du garage. Mes parents l’ont vu, mais il est reparti…” Acte de désobéissance ou simple négligence ? Impossible à dire. Vers trois heures du matin, le silence, enfin. Les quatre rescapés s'enfuient à travers champs, traversent la Glane et rejoignent la ferme des grands-parents paternels. Pendant tout ce temps, Jeannine et Aimé Rénaud pensent retrouver leur fille. "Ils sont revenus le lendemain. Ils ont vu le tas de cendres dans l’église, mais ils ont continué d’espérer… quelques jours. Mais personne n’est jamais revenu."
"Ils ont continué à vivre"
Sur le caveau familial, dans le cimetière d'Oradour, sont alignés les portraits de trois femmes et une petite fille. Trois générations massacrées : “Je ne les ai jamais connues, mais c’est comme si je les connaissais. Les photos de ces quatre personnes ont habité avec moi, chez mes parents."
Annette - qui porte presque le même prénom que sa sœur - naît moins de deux ans après le massacre. “Je ne sais pas comment ils l’ont vécu, ils ne me l’ont pas dit. Mais ils ont continué à vivre : ils nous ont eu, mon frère et moi, ils ont travaillé… Ils nous ont vus grandir, nous marier, eu des petits-enfants, des arrière-petits-enfants…"
Comme sa mère, Annette deviendra, par la suite, coiffeuse et comme sa mère, elle ne quittera jamais Oradour-sur-Glane : "Mes parents, leur vie était là, et je peux dire que j’ai fait la même chose." Si son père resta mutique toute sa vie sur les événements tragiques du 10 juin 1944, sa mère, en revanche, se rendait régulièrement sur les ruines avec ses enfants : "Après notre emménagement dans le nouveau bourg, elle nous disait : “Allez, on descend chez nous." Je crois qu’elle l’a dit toute sa vie...”