Il y a deux mois, Railcoop, coopérative ferroviaire, était liquidée après avoir été placée en redressement judiciaire. Elle avait pourtant, à ses débuts, soulevé un réel enthousiasme du public en proposant de relancer la ligne Bordeaux-Lyon. Aujourd’hui, cet échec est durement ressenti. Des économistes et militants de Railcoop nous livrent leur analyse sur les raisons de cet échec.
Le 15 avril dernier, c’était le coup de grâce pour Railcoop : la coopérative était placée en liquidation judiciaire, la fin d'une aventure.
Le projet date de 2019. À cette époque, il avance sur de bons rails. 15 000 sociétaires lèvent 10 millions d'euros. Deux ans plus tard, la coopérative ferroviaire, un cas unique au monde, lance une ligne de fret.
Mais côté transport de passagers, le projet reste à quai. Railcoop est dans l'impossibilité de mobiliser les 42 millions nécessaires pour opérer la ligne Bordeaux-Lyon. Les déficits s'accumulent auprès des fournisseurs, qui eux réclament leur dû.
Modèle et gouvernance
Pour Patricia Perennes, spécialiste du transport ferroviaire, la principale raison de cet échec est la solidité du modèle : "Si Railcoop n'a pas fonctionné, c'est qu'ils n'ont pas réussi à obtenir suffisamment de fonds pour lancer leur projet. Et, s'ils n'ont pas eu suffisament de fonds, c'est que les banques ne leur ont pas fait confiance. Donc, c'est un problème de confiance, vis-à-vis des banques et parce que leur modèle, n'était pas très solide", analyse-t-elle.
S'ils n'ont pas eu suffisamment de fonds, c'est que les banques ne leur ont pas fait confiance
Patricia Perennesspécialiste du transport ferroviaire
Mais, d’autres explications sont avancées, notamment la question de la gouvernance. L'absence d'écoute de la direction décourage des salariés et agace les sociétaires. Marius Chevallier est militant de Railcoop et acteur de l'économie sociale et solidaire. Il ne peut que le constater sans amertume.
"Il y a eu un manque de transparence. Il y avait une vitalité démocratique dans les cercles de sociétaires. Mais, au niveau de la direction générale, ils étaient quand même moins issus des milieux démocratiques de l'économie sociale et solidaire et donc, il y a eu un peu plus de difficultés à informer sur les chiffres", estime le militant.
Il y a eu un manque de transparence.
Marius ChevallierMilitant Railcoop
Refus de financements publics
Au-delà de ces erreurs de gestion indéniables, l’échec de Railcoop est lié à la position de l’État et des collectivités territoriales qui, à l’image de la région Nouvelle-Aquitaine, n’ont pas toujours joué le jeu. C'est ce que rappelle Guillaume Bertrand, un des sociétaires de cette coopérative : "Railcoop avait besoin de garantie financière venant du public. Quand on développe un service public, c'est illusoire de pouvoir croire que ce sera suffisant, avec les cotisations ramassées ici et là, les contributions individuelles, à faire tourner le système."
Ce blocage ne surprend pas les deux autres connaisseurs du dossier. "C'est logique parce que Railcoop a dit initialement "Je ne souhaite pas avoir de financements des régions, on ne souhaite pas avoir de subventions de l'État''. C'est vrai qu'au fur et à mesure du temps, ils ont mis un peu d'eau dans leur vin, explique Patricia Perennes. Ils ont commencé à se dire "Ce serait bien qu'on reçoive une subvention initiale des régions et de l'Etat". Forcément, comme ils ne l'avaient pas pensé dans leur modèle initial, revenir par la suite, vers l'État, c'était plus compliqué."
Quand on développe un service public, c'est illusoire de croire qu'on va pouvoir, avec les cotisations ramassées ici et là, les contributions individuelles, que cela va suffire à faire tourner le système.
Guillaume Bertrandsociétaire de Railcoop
Marius Chevallier partage ce constat : "Effectivement, il y a une partie des dirigeants qui ont beaucoup insisté, sur le fait qu'on ne dépendra pas des fonds publics. Moi, je faisais partie des gens qui n'étaient pas complètement d'accord, en disant si ça ne suffit pas avec du bénévolat et des recettes marchandes, c'est normal de compléter avec de la ressource publique."
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Une vision du futur
Pourtant, tous s’accordent pour dire que Railcoop a initié une vision du futur, tant sur le plan démocratique que sur le plan territorial. "Ça montre que les habitants des territoires, en manque de dessertes, isolés, sont capables de se mobiliser jusqu'à investir dans une coopérative pour dire qu'ils veulent le développement d'un transport ferroviaire, pour pouvoir voyager en France, d'une autre façon que celle qui nous est imposée", raconte Guillaume Bertrand.
Ça montre que les habitants des territoires, en manque de dessertes, isolés, sont capables de se mobiliser.
Guillaume Bertrandsociétaire de Railcoop
Patricia Perennes retient l'aspect positif "Ce que l'on peut porter au crédit de Railcoop, c'est d'avoir montré qu'il y a une attente des gens sur le territoire pour le retour du train. Donc, c'est évidemment une déception avec le modèle économique qui n'a pas fonctionné. Il y avait une demande du retour du train et on espère que d'autres personnes vont venir par la suite."
Marius Chevallier complète : "C'est manière-là, d'identifier et de puiser dans la grande diversité de ressources qu'il y a dans les sociétaires, c'est quelque chose qu'on peut retenir pour d'autres actions coopératives ou associatives plus tard."
En attendant, une chose est sûre : les sociétaires ont perdu leur mise. Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux de continuer d’y croire, à travers l’association Les Amis de Railcoop, déterminée à reprendre le flambeau.