Le sujet est encore un peu tabou, mais il connaît une médiatisation plus importante depuis quelque temps. La question de la maternité des sportives de haut niveau est de plus en plus évoquée, soit à l’aulne de grossesses de sportives en activité, ou parfois à l’occasion de scandales : exemple avec l’affaire Clarisse Crémer en 2023, lorsque son sponsor principal avait « abandonné » la navigatrice du fait de sa maternité.
Une petite bouille à croquer : quand nous l’avions rencontré, le petit Ishak avait tout juste un mois et il se faisait dorloter à temps complet par Tiphaine Zinaï. Depuis, sa maman a retrouvé les parquets de LF2, la seconde division française de basket féminin. Entre la salle Roger Couderc de Feytiat et le domicile feutré de la joueuse, où ce jour-là, le nourrisson passait le plus clair de son temps à dormir, c’est un petit peu « deux salles, deux ambiances ». « Quoique », tempère en riant la joueuse, « Parfois, ses pleurs, c’est limite comme la banda… »
Dépasser les appréhensions
Au cours de la saison 2022-2023, Tiphaine Zinaï avait décidé de concrétiser son envie de maternité, comme l’avait fait, un an auparavant, sa coéquipière Caroline Misset-Villéger, aujourd’hui maman d’une petite Iris. Lorsqu’elles ont respectivement su qu’elles étaient enceintes, les deux sportives ont eu la même réaction : hors de question de ne pas poursuivre la saison en cours, malgré leurs propres appréhensions et surtout celles des autres. Car jouer des matches de haut niveau, suivre des entraînements intensifs, prend une autre dimension lorsque l’on porte un bébé.
C’est un peu difficile, car il faut gérer la fatigue, gérer les chutes, les coups dans le bas-ventre.
Tiphaine ZinaïJoueuse professionnelle de basket
"Mais une fois qu’on est sur le terrain, que l’idée s’est faite et qu’on est suivie médicalement, j’ai levé l’appréhension et je ne pense pas que mon jeu se soit différencié par rapport à avant", ajoute la jeune maman.
Si, bien sûr, le club et l’équipe ont été rapidement informés, il a cependant fallu veiller à ne pas ébruiter la nouvelle au-delà des murs de Feytiat Basket pour ne pas prendre de risques inutiles.
On n’est pas à l’abri d’avoir un adversaire malintentionné et de se prendre un coup dans le ventre, donc on est obligé de garder le secret vis-à-vis de ça.
Caroline Misset-VillégerJoueuse professionnelle de basket
Le corps médical encore trop réticent
Mais les personnes les plus craintives, ne sont pas les premières concernées. Tiphaine et Caroline ont toutes deux été confrontées à la grande prudence et aux réticences du corps médical.
Quand on dit qu’on fait du basket et qu’on est enceinte, forcément la gynéco n’a pas envie qu’on continue à jouer. Pour elle, l’idée, c'était d’arrêter le plus vite possible.
Caroline Misset-VillégerJoueuse professionnelle de basket
Alors, pour continuer sa saison, la capitaine des Diablesses a passé une échographie toutes les deux semaines pour vérifier que sa grossesse se poursuivait normalement. Aujourd’hui les médecins du sport et les recommandations scientifiques sont unanimes : sauf sports de combats, les sportives de haut-niveau peuvent poursuivre la pratique de leurs disciplines.
"Le corps médical est toujours un peu réticent à laisser faire certaines activités, ou même à des reprises précoces après les accouchements, explique le Docteur Guillaume Gerbaud, médecin du sport, à la Polyclinique de Limoges, mais pour autant, il faut se fier aux recommandations qui sont générales, qui disent qu’aujourd’hui, l’activité physique est à valoriser, réduit les risques, et pour l’enfant, et pour la mère."
À nous, médecins du sport, d’informer nos collègues, que le sport, s’il était pratiqué avant, peut être poursuivi pendant la grossesse.
Dr Guillaume GerbaudMédecin du sport
Le corps comme outil de travail
Après la naissance de leurs bébés, les sportives doivent ensuite gérer une période post-partum où il faut rééduquer leur outil de travail : leurs corps.
La première fois que j’ai posé un pied au sol sur le parquet, il restait limite collé au sol, tellement j’avais perdu en explosivité. Ça c’était dur…
Caroline Misset-VillégerJoueuse professionnelle de basket
Pour autant, la connaissance fine et en profondeur de leurs corps et de ses capacités permet, bien souvent, à ces femmes de reprendre très rapidement leurs vies de sportives professionnelles. Mais l’accompagnement des clubs, n’est souvent pas adapté, faute de connaissances et de compétences sur la question de la rééducation post-partum. Caroline Misset-Villéger se souvient de ses séances d’entraînement physique avec son entraîneur Cyril Sicsic : "Il était à l’écoute, me demandait si j’avais des douleurs au dos ou aux abdos. Mais ces séances s’apparentaient plus à celles qu’on met en place lors d’un retour de blessure. C’est logique, Cyril n’est ni médecin, ni préparateur physique. C’est vrai que, sur ce plan-là, on a très peu d’aide."
Des pionnières
Cléopâtre Darleux, championne olympique de handball, Serena Williams, star mondiale du tennis féminin, Amel Majri, première joueuse internationale de football à tomber enceinte en cours de carrière : les exemples de sportives en activité qui donnent naissance à des enfants au beau milieu de leur carrière, sont de plus en plus nombreux. Sophie Roulaud, ancienne championne de boxe française, aujourd’hui coach sportive, a constaté au fil des ans, une évolution des mentalités : "Ce n’est pas que ce n’était pas compatible, mais il y a quelques années de ça, ce n’était pas accepté. Et du coup, les femmes ne se permettaient pas de le faire."
Et puis il y a des femmes qui ont osé, et qui ont fait avancer les choses et qui ont demandé à ce qu’on fasse avancer les choses.
Sophie RoulaudAncienne championne de boxe française
Un manque de cadre légal
Pour autant, le tabou n’est pas encore complètement levé. Le handball français, secoué en 2020 par le scandale des tests de grossesse illégaux et non consentis de ses joueuses par le HBC Nantes, a pris les devants.
Depuis 2021, les joueuses de première division sont dotées d’une convention collective leur permettant de bénéficier d’un congé maternité sans perte de salaire. Mais depuis, aucun autre sport n’a franchi le cap. "Nous, au basket, il n’y a rien de mis en place, regrette Tiphaine Zinaï, également kinésithérapeute en libéral, donc tout dépend des clubs : ce que le club accepte ou non, de faire un contrat, de casser un contrat, de refaire un contrat une fois que la joueuse est revenue…"
Ça serait bien que les choses avancent. Mais quand je vois que même en dehors du sport, il n’y a pas forcément de congé maternité pour les professionnelles (libérales, NDLR), on se dit que ça avance, mais à petits pas…
Tiphaine ZinaïJoueuse professionnelle de basket