La ferme Emmaüs Baudonne, située à Tarnos dans les Landes à la limite du pays basque, accueille des femmes détenues en fin de peine. Le documentaire "Détenues à ciel ouvert" propose une immersion inédite dans le quotidien des prisonnières au sein de cette structure unique en France. Sa réalisatrice Sophie Bontemps explique les conditions particulières du tournage.
C'est un lieu unique. La Ferme Emmaüs Baudonne a été créée en 2020 dans les Landes, à quelques kilomètres de Bayonne. Cette petite structure accueille treize femmes détenues maximum pour purger la fin de leur condamnation.
Sur place, la réalisatrice Sophie Bontemps a rencontré Anne, Evelyne, Rosie et Annie. Pendant une année, elle les a accompagnées dans leur parcours vers la liberté. Elles ont accepté de se livrer face caméra et à visage découvert, au cours de cette période charnière de préparation à la sortie. Pour elles, la ferme est un passage entre la prison et le monde extérieur. Encore sous l'autorité de la justice, elles apprennent ici une autre façon de vivre leur captivité, sans barreaux aux fenêtres, sans barbelés, à ciel ouvert.
A la ferme Baudonne, c’est la nature, la forêt et les champs qui entourent les détenues. Elles habitent dans une grande bâtisse blanche où elles ont chacune une chambre individuelle dont elles possèdent la clef. Ici, elles vont commencer à réapprendre, pas à pas, la liberté tout en découvrant un nouveau travail.
On passe de la nuit au jour, dans tous les sens du terme.[...] C'est l'anti-prison ici. C'est un pas important vers le retour à la notion de femme libre.
Gabi Mouescadirecteur de la ferme Emmaüs Baudonne.
Au cours du documentaire, on suit ces femmes dans leur quotidien, que ce soit en groupe, autour de la table lors des repas ou bien dans l'intimité de leur chambre ou encore, en train de travailler ou d'échanger avec l'équipe encadrante.
On partage la dernière journée avant la sortie d'Annie, on accompagne Evelyne à sa levée d’écrou à la maison d’Arrêt de Mont-de-Marsan. A chaque fois, l'espoir et la perspective de retrouver la liberté les bouleverse, l’aube de nouvelles vies.
Pour elles, la ferme est un passage entre la prison et le monde extérieur.
Sophie Bontempsréalisatrice
Une structure d'expérimentation
Cette structure, soutenue par l'association Emmaüs est une alternative à l’univers carcéral.
Ce lieu d’expérimentation a été créé par Gabi Mouesca, ancien membre d'Iparretarrak, mouvement séparatiste basque, qui a passé lui-même 17 ans de sa vie en prison. Quand il en est sorti en 2001, il s'est engagé au sein de la Croix-Rouge, d'Emmaüs et de l'Observatoire International des Prisons qu'il a présidé pendant 4 ans. Il se bat depuis toujours pour le respect des droits des personnes emprisonnées.
Voilà, j'ai beau être directeur, je suis des leurs. J'ai vécu 17 ans derrière les barreaux. Je pense que jusqu'à mon dernier souffle, je resterai avec cette identité de taulard.
Gabi MouesacDirecteur de la ferme
La préparation à la réinsertion des femmes représente pour Gabi Mouesca un véritable enjeu. Dans les cinq ans qui suivent la sortie de prison, une femme sur trois est à nouveau condamnée et retourne en prison en France. Ce chiffre s’élève à 63% hommes et femmes détenu.e.s confondus.
Et même s'il a dû renvoyer trois femmes en prison depuis l'ouverture du centre, Gabi Mouesac reste persuadé des bienfaits d'une structure comme la sienne « Ici, on atténue le choc de la sortie ».
Une ferme agro-écologique
La Ferme Emmaüs Baudonne est une exploitation de 2,8 hectares, un atelier de production de légumes poussés sous-serre et en plein champ et certifiés en Agriculture Biologique .
La ferme est un chantier de réinsertion. Les détenues qui arrivent ici bénéficient d’un aménagement de peines, elles peuvent rester de six mois à deux années avant de retrouver la liberté .
Sur place, les femmes travaillent 26 heures par semaine et sont payées au smic. Un travail de maraîchage qui, bien que physique, leur donne l'opportunité de vivre au grand air, d’acquérir des responsabilités tout en respectant un emploi du temps . Pour beaucoup, c’est le premier contrat de travail de leur vie. Les mains dans la terre, elles retrouvent un sentiment d’utilité et c’est une renaissance pour certaines, à l'image des graines qu'elles plantent et des fruits et légumes qu’elles récoltent quelques mois plus tard. Une façon concrète de reprendre sa vie en main.
💬 “En prison, l'air est étouffant. Ici, l'air est libre, frais". Les femmes qui sont accueillies à la la ferme Baudonne, travaillent, perçoivent un salaire et se reconstruisent afin d'envisager un avenir plus radieux.
— France Culture (@franceculture) January 28, 2023
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⇒ Trois questions à la réalisatrice Sophie Bontemps.
- Comment avez-vous eu l'idée de faire ce documentaire ?
Je trouve que l'on ne parle pas assez du sort des femmes en prison et encore moins de ce qui se passe à la sortie. Dans ce domaine aussi, les femmes souffrent d’inégalité de genre. Très peu de dispositifs existent pour les préparer à vivre "dehors", trouver un boulot, un appartement, acquérir une autonomie, se remettre debout. Et ce qu'on appelle "réinsertion" se prépare et prend du temps. Les femmes représentent seulement 3,4% des personnes détenues en France, soit 2380 (au 1er février 2024) et cela explique peut-être le peu d'initiatives qui existent et qui leur sont destinées. La ferme Emmaüs Baudonne est le seul lieu en France dédié aux détenues en fin de peine. Ouvert il y a près de quatre ans maintenant, il m'a semblé intéressant de raconter cette expérience et le parcours de quelques-unes de ces femmes.
- Comment s'est déroulé le tournage ?
Je suis venue tourner pendant presque deux ans, ce qui est rare. Je savais qu’il nous fallait beaucoup de temps pour être acceptées. Je souhaitais aussi venir à des saisons différentes et à des moments clefs dans le parcours de Annie, d'Evelyne ou de Rosy, nos trois personnages principaux qui ont accepté de se livrer et surtout d'être filmées. L'image, c'était le point le plus difficile. Il a fallu des mois avant d'établir une certaine confiance, prouver qu'on n'était pas là pour stigmatiser, juger ou voler des instants de vie, mais que notre caméra était douce, respectueuse et pouvait les accompagner. Les interviews étaient souvent l'occasion de faire le point sur leurs ressentis, leurs évolutions, leurs attentes, leur culpabilité et leurs colères. J’ai été rejetée parfois, on a fait face à des refus violents ou inexpliqués mais j'ai entendu les peurs de la sortie et du monde du dehors, j’ai constaté aussi combien il était difficile pour elles de vivre à la ferme dans une apparente liberté alors qu’elles sont toujours sous-main de justice. C’est une difficulté immense pour chacune d’être à la fois à l’air libre, à ciel ouvert et contraintes, enfermées à l’intérieur de leurs peines. Cela peut générer de la violence, entre elles, contre elles.
- Quel est votre ressenti au terme du montage du documentaire ?
Ce documentaire, qui raconte les problèmes rencontrés par les détenues à quelques mois de leurs sorties, pourrait alimenter un débat sur la détention et les effets de l’incarcération sur les femmes. Je souhaite vraiment mettre en évidence le besoin crucial de préparation au retour dans le monde libre. La ferme offre une alternative à la prison, c’est un sas avant la liberté, un lieu où l'on peut renouer avec un quotidien, et des rapports humains plus respectueux qu’en prison, reprendre confiance en soi ,acquérir une autonomie, respecter des horaires et un emploi du temps puisque chaque détenue a un contrat de travail à la ferme qu’elle s’engage à respecter, quelque que soient son parcours de vie et le crime pour lequel elle a été condamnée. Je pense sincèrement qu'il devrait y avoir, non pas une, mais des fermes partout en France pour accueillir les femmes condamnées et les accompagner dans leur retour vers la société une fois leurs peines effectuées . C’est un choix politique. Mais qui se soucie réellement aujourd’hui de celles que la justice condamne et cache derrière les barreaux ?
Détenues à ciel ouvert, documentaire à découvrir en replay jusqu'au 5 octobre sur France.tv
Un film écrit et réalisé par Sophie Bontemps
Une coproduction Les Nouveaux Jours Producteurs - France Télévisions
Avec la participation du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, du Fonds Images de la Diversité – Agence Nationale de la Cohésion des territoires.
Avec le soutien de la Région Pays de la Loire, de la PROCIREP, Société des Producteurs et de
l’ANGOA.
Durée : 52 minutes
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