Témoignage. Dépakine. Contraint d'interrompre une grossesse, un couple s'interroge sur les rejets de l’usine Sanofi

Publié le Écrit par Julie Chapman

Plusieurs familles riveraines de l’usine de Mourenx, dans les Pyrénées-Atlantiques, s’interrogent sur les effets des rejets de l'usine, épinglée en 2018 pour avoir émis bien au-delà des normes autorisées. Parmi elle, un couple, contraint d’interrompre une grossesse, après une malformation du foetus.

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Nous sommes en 2018. Travailleurs sur le bassin de Lacq, en Béarn, un couple, qui souhaite rester anonyme, se lance dans un projet de grossesse. “Nous attendions cet enfant depuis longtemps”, explique Nicolas (le prénom a été modifié), le père de famille.

"Nous avons entendu son cœur"

Mais au premier trimestre de la grossesse, cette dernière se transforme en cauchemar. Lors de la première échographie, le gynécologue découvre une acrânie sur le fœtus. “Il ne l’a détectée qu’en fin de rendez-vous. Nous avions entendu son cœur, nous étions hypers émus”, souffle Nicolas.

L’acrânie, une malformation rare du fœtus qui provoque une absence d’une partie du crâne, est incurable. La compagne de Nicolas est contrainte d'avorter. “Nous avions le choix entre une IVG, très rapide, et une IMG, qui nécessite de passer par les médecins. C’était déjà trop dur, nous ne pouvions pas envisager d’attendre”, confie Nicolas.

À l’époque, le scandale autour des effets de la Dépakine sur les femmes enceintes éclate à peine. L'usage de cet antiépileptique pendant la grossesse, a entrainé des troubles mentaux et du développement sur des dizaines de milliers d'enfants. “Nous en avions entendu parler, mais comme nous ne prenions pas ce médicament, nous n’avions pas pensé que cela pouvait nous toucher”, explique le père de famille.

Deux acrânies en 30 ans

Ce n’est que plusieurs mois après, lors d’un examen de contrôle post-IVG que le couple fait le lien. Il travaille sur le bassin de Lacq, tout proche de l'usine Sanofi, qui produit la Dépakine.  “Notre gynécologue était étonnée. Elle nous a expliqué qu’en trente ans de carrière, elle n’avait rencontré que deux acrânies, la nôtre et une autre, qui s’était déroulée, à proximité du bassin de Lacq, à la même période que nous” détaille Nicolas. Ce denier s'interroge sur les rejets de bromopropane de l'usine, épinglée en 2018 pour avoir très largement dépassé les normes.

On aurait respiré 190 000 fois la dose.

Nicolas

Ancien travailleur sur le bassin de Lacq

Pour autant, difficile d’établir un lien direct avec la Dépakine. Selon l'Apesac, une association fondée pour venir en aide aux victimes, la Dépakine ne reste trois mois dans le corps après exposition. “Nous n’avons pas fait de dépakinémie, pour tester le taux de Dépakine dans notre corps. Nous avons fait le lien trop tard pour qu’elle soit détectable”, explique Nicolas. 

Les rejets de l’usine, ils en avaient pourtant conscience. “Les anciens nous avaient dit qu’il y avait une pollution, mais nous n’avons jamais eu aucune information, même quand le scandale a éclaté”, regrette ce travailleur.

Pas d'information préventive

Face à ces nouvelles informations, le couple décide alors de déménager, loin de l’usine et de ses rejets. Plus tard, ils décident de retenter le projet d’avoir un enfant. “Nous ne pouvions pas prendre ce risque-là en restant sur place, ce n’était pas audible pour nous. Aujourd'hui, nous avons la chance d’avoir un bébé, sans aucune malformation”, sourit ce père de famille.

Pour autant, le couple ne peut s’empêcher de penser aux employés des entreprises situées à Mourenx. “Sanofi a dit qu’ils s’étaient mis en conformité, mais dans quelle mesure les rejets qui sont toujours présents ne sont pas néfastes ? Depuis 2018, aucune information n’a été communiquée aux employés ou aux habitants”, regrette Nicolas.

S’il n’a pas de preuve, Nicolas s’appuie sur “un faisceau d’indices”. “Nous réfléchissons encore à entamer une démarche. On sait qu’on n'a aucune preuve à avancer, mais nous voulons aider les autres familles à connaître les risques de cette exposition”, glisse Nicolas, en lien avec l’Apesac.

Études en question

Le couple refuse pourtant de se porter en accusateur. “Nous voulons que les études menées permettent de prévenir la population de Lacq pour que ces malformations ne se produisent plus”. Leur épreuve, ils le savent, ne sera probablement pas intégrée dans ces études. “À leurs yeux, il s’agit d’une IVG de confort. Pour faire partie des victimes, il aurait fallu passer par l’IMG, avec une décision médicale qui aurait souligné l’acrânie comme motif de l’avortement”, soupire Nicolas.

Des études sont en effet menées depuis plusieurs années pour évaluer les effets de la Dépakine au sein de la population riveraine, mais aussi chez les hommes ou encore sur les générations futures. “On veut apporter notre pierre à l’édifice, en alertant, et en soutenant l’Apesac. La justice mettra du temps, les indemnisations viendront, mais pas aujourd’hui. En attendant, il faut prévenir au maximum”, conclut Nicolas. 

Une plainte contre Sanofi a été déposée par une mère de famille, qui, elle aussi, travaillait à proximité du bassin. Ses deux enfants présentent des troubles de l’autisme. Elle n’a pourtant jamais consommé de Dépakine.

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