Violences policières, faux en écriture, harcèlement. Six fonctionnaires de police racontent, dans un livre, les infractions dont ils ont été témoins, commises par des collègues et couvertes par la hiérarchie. Parmi eux, Jean-Marc Cantais, qui revient sur son expérience au commissariat de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Jean-Marc Cantais à 52 ans, et trente années de carrière dans la police. Une institution qu'il a choisie, et aimée, avant d'être écœuré par ses dysfonctionnements. Avec cinq autres policiers, il témoigne dans un livre, pour dénoncer les dérives d'un système.
Un récit à visage découvert pour ce policier, devenu depuis chargé de mission au sein du syndicat Snuitam-FSU. Il y raconte notamment ses expériences de violences illégitimes, observées et vécues au sein du commissariat de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Pour avoir dénoncé ces agissements, il a été visé par une enquête de l'IGPN et poursuivi au pénal pour dénonciation mensongère. Relaxé à deux reprises, il vit désormais dans les Pyrénées-Atlantiques et a, à son tour, porté plainte pour harcèlement moral contre certains de ses supérieurs hiérarchiques. "Police, la loi de l'omerta", édité aux éditions du Cherche midi, à paraître le 1er décembre. Entretien.
Vous êtes entré dans la police en 1991. Après plusieurs années en tant que CRS, vous êtes affecté au commissariat de Pau. Vous découvrez alors un autre univers.
Quand j'arrive à Pau, j'intègre la direction de la sécurité publique. On est sur quelque chose de plus local, on est plus proches des citoyens, à qui on apporte aide et assistance. Différents familiaux, accidents de la route… On est là au quotidien pour les personnes qui ont besoin des policiers.
Mais je découvre surtout une facette de la police que je n'avais jamais observée auparavant. Certes, on a pu voir, notamment pendant les manifestations des Gilets jaunes, des débordements filmés, avec des CRS en action.
Mais à titre personnel, tout au long de ma carrière et à travers les différentes compagnies que j'ai traversées, je n'avais jamais rencontré de violences gratuites sur des personnes menottées ou des mineurs. J'ai assisté à des choses qui se passaient hors cadre professionnel et hors cadre déontologique. Des violences illégitimes, hors la loi, gratuites et qui n'ont pas lieu d'être.
Vous racontez plusieurs scènes dans ce livre. Un homme menotté et frappé au visage, un autre, sans domicile fixe, roué de coups lors de son transport à l'hôpital, et même des mineurs, qui subissent des violences…
Quand on voit un gamin, un mineur, entouré de dix policiers, traîné par terre, qui prend des coups de pied dans les hanches, des coups dans le visage… C'est totalement gratuit. Ça ne sert à rien et c'est inacceptable.
Vous êtes le seul à vous en offusquer et signaler ces faits. Comment l'expliquer ?
Il y a, dans la police, au quotidien, des choses qui sont un peu rentrées dans les mœurs. Quand on ne réagit pas la première fois, d'une certaine manière, on a le sentiment de cautionner. La deuxième fois, on ne dira rien puisqu'on n'a pas parlé la première fois. Beaucoup de policiers se sentent mal à l'aise, mais craignent de se sentir esseulés et préfèrent ne rien dire.
Il y a aussi les policiers "fortes têtes", qui font partie d'une meute et exercent une forme d'emprise. Ce sont eux qui font la loi sur le terrain, et même entre policiers. J'en veux pour preuve le fait qu'on a essayé de me régler mon compte sur terrain, pour avoir parlé. (Dans le livre, Jean-Marc Cantais raconte avoir pris des coups, volontairement assénés par un autre policier, lors d'une interpellation, NDLR)
La hiérarchie est-elle dépassée face à ces comportements ? Comment réagit-elle face à vous, lorsque vous avez fait remonter vos observations ?
Je ne peux pas concevoir que des officiers ou des commissaires, ou directeurs départementaux qui ont des postes à responsabilité, des formations en management et représentent l'autorité de l'État, soient dépassés par ces quelques fonctionnaires au comportement violent. On essaie plutôt de les couvrir.
Quand j'ai dénoncé les violences volontaires que j'ai subies, j'ai moi-même été poursuivi par ma hiérarchie, l'IGPN et le parquet pour dénonciations calomnieuses et violences volontaires sur le policier qui m'a agressé. Les policiers interrogés dans l'enquête avaient corroboré les propos de ce fonctionnaire. Ils avaient tous fait de fausses déclarations, couvertes par ma hiérarchie. (Jean-Marc Cantais sera relaxé par le tribunal correctionnel de Pau, puis par la Cour d'appel, NDLR).
Parce que vous avez refusé "de rentrer dans le moule", vous racontez avoir subi un violent harcèlement moral. Exclu, stigmatisé, désarmé… N'avez-vous jamais pensé à baisser les bras ?
Je savais, en dénonçant les faits, que j'allais subir un ostracisme et un rejet. Le fait de dire certaines choses, c'est dérangeant.
Il peut arriver, lors d'une interpellation, que la personne soit virulente et qu'on ait à utiliser la force. En revanche, quand il s'agit d'un mineur, d'une personne en situation de vulnérabilité qui reçoit des coups gratuitement, ce n'est pas qu'en tant que policier que je réagis, mais aussi en tant qu'être humain, en tant que père de famille.
Si des policiers se comportaient comme ça avec mon fils, je ne l'accepterais pas. Donc, je ne vois pas pourquoi, en tant que policier, je pourrais accepter ces violences illégitimes et gratuites. On n'est pas dans un pays totalitaire où on peut se permettre de se comporter comme ça avec les citoyens.
On m'a demandé, après les procès, si j'étais prêt à fermer les yeux, sans le formuler de cette façon. Pour moi ce n'est pas pensable. Je suis catégorique là-dessus.
Quelle serait alors la solution pour mettre fin à cette "omerta" ?
Beaucoup de personnes sont contentes de la police. On en a besoin, et la police protège. Il y a aussi beaucoup de policiers qui ont l'amour de leur métier, qu'ils font par vocation. Il ne faut surtout pas généraliser. Mais la police est en souffrance. Il y a certes un manque de moyens, mais il n'y a pas que ça. Il y a un réel problème en interne.
À partir du moment où un fonctionnaire de police dénonce un crime ou un délit, ça ne devrait pas être géré par la police. L'IGPN gère les enquêtes comme elle en a envie, et marque ce qu'elle veut. Ce fut le cas pour moi : la justice a reconnu que les conclusions de l'IGPN étaient subjectives et qu'il n'y avait pas de preuves.
Tant que tout restera en interne, on subira toujours une oppression de l'administration. Une des solutions serait d'ouvrir tout ça à des experts indépendants pour avoir une impartialité, ce qui permettrait de repartir sur des bases saines.
Vous vous exposez à nouveau en témoignant. Qu'attendez-vous aujourd'hui de la publication de ce livre et de ces six témoignages de policiers ?
J'ai tellement galéré. Ça fait presque une décennie que je subis ce harcèlement. J'ai été privé de salaire, j'ai dû vendre ma voiture, du matériel de sport. Il est arrivé que ce soient des collègues qui viennent m'apporter à manger. Encore aujourd'hui, je suis considéré comme un paria : je suis maintenant affecté au commissariat de Lourdes, en renfort des services civiques de 18 ans qui sont à l'accueil. Après trente ans de carrière !
Parfois, l'injustice que vous vivez, que vous avez l'impression d'infliger à vos proches, est tellement insupportable, qu'on pense à mettre fin à ses jours. C'est triste d'en arriver là pour une administration, qui en réalité, vous méprise. Peut-être que ce livre peut permettre à des policiers qui ne s'expriment pas, de se reconnaître à travers les différents témoignages, de se dire "je ne suis pas seul", et de parler.
C'est aussi l'occasion de montrer la détresse des policiers auprès de la population. D'expliquer que s'il y a des policiers qui ont de mauvais comportements, il y en a aussi d'autres, qui font tout ce qu'ils peuvent, en interne, pour ne pas être associés à ces comportements, et qui sont en souffrance.