Témoignage. "Un corps sans âme pendant un an et demi" : elle perd sa fille et se bat pour sensibiliser au burn-out

Publié le Mis à jour le Écrit par Toky Nirhy-Lanto et Isabel Hirsch

Élise était manipulatrice radio à l'hôpital de Châtellerault. La femme de 41 ans était en arrêt longue maladie. Elle se disait en burn-out. Son corps a été retrouvé sans vie à son domicile, il y a quelques semaines. Une marche blanche se tient à Châtellerault, ce samedi 28 septembre.

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Depuis le 1ᵉʳ août, la vie d’Élisabeth Michel n’est plus la même. Sa fille Élise a été retrouvée sans vie, ce jour-là. Elle était employée de l’hôpital de Châtellerault (Vienne), qui dépend du centre hospitalier universitaire de Poitiers (Vienne). Avant sa disparition, cette manipulatrice radio a dit ressentir une situation de burn-out.

"Un syndrome d’épuisement professionnel", comme le précise la Haute autorité de santé. L'agence publique indépendante ajoute qu'il peut notamment causer une grande fatigue, un repli sur soi, des troubles du sommeil ou encore de l’anorexie.

Cette situation aurait été causée par ses difficultés au travail, d’après l’entourage d’Élise. Aujourd’hui, ils sont en colère et s’interrogent encore. Sa maman Élisabeth livre aujourd’hui son témoignage.

Une situation très énigmatique et inquiétante

Tout commence au début de l’année 2022. "On la sentait de plus en plus fatiguée. Elle avait demandé à travailler à mi-temps, et de jour", se souvient Élisabeth, avec émotion. Pourtant, ces aménagements de son temps de travail ne suffisent pas : "À la mi-décembre, on l’a vue rentrer du travail. J’ai cru voir une démente arriver. On n’a jamais pu savoir ce qui s’était passé, mais elle était complètement transformée et nous disait ‘J’ai fait une bêtise, je vais être virée’. Avec son compagnon, nous n’avions pas compris. De ce jour-là, elle n’est plus sortie de sa chambre. Elle a vécu prostrée, dans le noir."

Élisabeth souhaite alors comprendre ce qui arrive à Élise. "On a discuté avec ses collègues. Quand on a rencontré le directeur des ressources humaines de l’hôpital, il nous a dit qu’il n’y avait pas d’incident ouvert a priori", relate-t-elle. Elle en appelle à sa famille et à des spécialistes : "J’ai essayé avec ses frères de la faire parler, mais sans succès. Je l’ai emmenée voir un psychiatre, des naturopathes, cela n’a rien changé."

Bien au contraire, tout se complique. "Elle a d’abord fait une phobie du milieu médical. À table, dès qu’on prononçait un terme lié à la médecine, c’était terminé. J’allais jusqu’à emmener ses enfants chez le médecin, car cela n’était plus possible pour elle. On avait très peu de dialogue avec elle. Les seules choses qu’elle faisait, c’était de s’occuper de la scolarité de ses enfants, et de faire le marché du samedi matin, comme mon gendre est maraîcher. Ça, elle l’a fait jusqu’au bout. Ce sont les seuls moments où elle sortait de sa coquille", ajoute sa maman.

Cette situation dure "pendant un an et demi, jusqu’au jour où elle est partie", à en croire Élisabeth. Dans cet intervalle, elle constate aussi un changement physique d’importance : "Elle avait perdu 40 kilos."

Une triste nouvelle et des interrogations

Nous sommes le 4 juillet. Le conjoint d’Élise, maraîcher, est parti faire du foin. Dans le même temps, Élise disparaît. "Nous étions absents ce jour-là. Quand on est rentrés vers 17 heures, ma petite-fille cherchait Élise. À partir de là, on ne l’a plus retrouvée. On a organisé des battues partout avec la gendarmerie, qui a vraiment été d’une humanité au-delà de ce qu’on peut imaginer et bien meilleure que l’hôpital ne peut l’être", détaille Élisabeth.

La gendarmerie enquête sur ce qui est alors une disparition inquiétante. Les investigations reprennent, jusqu’à cette triste découverte : "La gendarmerie la retrouve cachée dans le grenier, le 1ᵉʳ août. Vraiment dans un endroit où il était quasi impossible de la voir. Pour preuve, mon gendre est monté cinq jours avant avec ma petite-fille, pour porter des cartons de linge. Ils ne l’ont pas vue."

Presque deux mois après la découverte du corps sans vie d’Élise, la famille n’a toujours pas d’explication à ce décès. "À ce jour, nous n’avons pas les résultats de l’autopsie. Nous ne sommes d’ailleurs pas autorisés à l’incinérer, comme nous l’avions choisi. L’enquête n’est pas terminée et les conclusions ne sont pas là", s’indigne Élisabeth.

Au-delà de la désolation, l’entourage d’Élise doit aussi faire face à d’autres interrogations : "Le 13 juillet, on a reçu par courrier un avis de saisie sur salaire qu’on ne comprenait pas. On a tout de suite demandé un rendez-vous à l’hôpital, pour essayer de comprendre. On n’a rien eu. À cette date, il y a eu une saisie de faite, sur un compte bancaire que l’on ne connaissait pas. Nous avons ensuite reçu un second courrier, annonçant une saisie sur salaire, sur un autre compte. Nous avons eu cinq ou six courriers, et cela a duré jusqu’au 26 juillet."

La lutte pour la vérité

La désolation et l’incompréhension se transforment alors en colère. "J’ai alors dit : ‘Puisqu’on n’arrive pas à avoir de rendez-vous, alors que nous cherchons juste à comprendre tout cela, nous allons être obligés de prendre un avocat’. Nous avons alors obtenu subitement un rendez-vous avec le directeur adjoint des ressources humaines, le 29 juillet. Il nous avait expliqué qu’elle n’avait pas envoyé un de ses arrêts-maladie, qu’il s’agit d’argent public que l’on doit récupérer. Le 1ᵉʳ août, nous avons reçu un mail indiquant que les prélèvements ne seraient plus faits. Avant de recevoir de nouveau, deux jours plus tard, un avis de saisie", détaille la mère d’Élise.

Elle émet l’hypothèse que ces événements ont quelque chose à voir avec le décès de sa fille : "La gendarmerie avait trouvé des courriers annonçant des saisies sur salaire, cachés sous ses piles de vêtements. D’où le fait que nous pensons que c’est un événement déclencheur. Elle n’en avait pas parlé, son compagnon n’était pas du tout au courant. Si elle les cachait, c’est que visiblement, c'était une honte supplémentaire pour elle, et qu’elle n’assumait plus cette partie-là."

Élise était en arrêt-maladie. D’après sa maman : "Les arrêts-maladie qu’elle n’aurait pas envoyés dataient d’avant sa longue maladie. Elle était déclarée en longue maladie depuis février 2023, et il semblait que ces arrêts dataient de janvier ou février. Pourquoi en veut-on autant ? C’est quand même assez inhumain, quand on sait que quelqu’un est en burn-out. Tout le monde le savait à l’hôpital. Qu’on envoie des courriers recommandés sans prévenir l’entourage, c’est quand même un sujet supplémentaire et c’est d’une inhumanité."

L'impression d'une certaine solitude

Aujourd’hui, ce désespoir se double d’une sensation de ne pas être soutenue. "L’une des interlocutrices que j’ai eues est l’infirmière du travail. Il se trouve que c’est quelqu’un que j’ai connu, dans une autre vie. J’ai donc pu communiquer avec elle à un moment donné, au moins pour connaître l’état du dossier. Il y a aussi l’assistante sociale. Ce sont les deux seules personnes avec qui j’ai parlé, mais elles font partie de l’hôpital et elles ont aussi un droit de réserve. Ce sont elles qui nous aident", relate Élisabeth.

Elle déplore la réaction du centre hospitalier de Poitiers, auquel est rattaché l'hôpital de Châtellerault : "En dehors de ça, on a eu à la mi-août un carton de l’hôpital présentant des condoléances. Nous l’avons retourné. Un courrier anonyme et un carton qui n’est pas signé, ce n’est pas avec ça que l’on aide la famille à s’en sortir. C’est la seule relation qu’on ait eue avec eux."

L’établissement de santé, quant à lui, dément les affirmations de la famille d’Élise. En ce qui concerne les saisies, l’hôpital de Châtellerault maintient avoir suivi un processus habituel. Pour le reste, la direction a réagi dans un communiqué du 23 septembre : "Le CHU de Poitiers déplore et conteste aussi les accusations affirmant ou laissant entendre que des méthodes de management porteraient en elles-mêmes atteinte à la santé de son personnel, et que les organisations induiraient structurellement des faits de nuisance et de souffrance au travail."

Éviter d’autres drames

Une réponse indécente, de l’avis d’Élisabeth. "Nous, on voyait qu’elle était fatiguée. On lui disait ‘Arrête-toi’, et elle disait ‘Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça à mes collègues, aux patients’. Un amour du métier qui fera qu’ils ne s’arrêteront pas, qu’ils iront au bout. C’est un de nos combats", nous déclare-t-elle.

Une représentante syndicale déplore les conditions de travail particulières, au sein de l'hôpital. "Si déjà, nous étions plus nombreux, on pourrait avoir des équipes qui pourraient tourner plus facilement. Avoir l’occasion de pouvoir poser ses jours de repos, sans que cela soit problématique. Quand on a un accident de la vie, que ce soit un enfant malade ou un arrêt de travail, les équipes ne devraient pas se trouver en difficulté et pouvoir tourner sans culpabilité", affirme Karine Rousseau-Cingal, secrétaire générale CGT du CHU de Poitiers.

Pour éviter de nouveaux drames, Élisabeth a décidé de créer une association. "Elle ne servira malheureusement pas pour Élise, mais pour aider toutes les personnes qui souffrent au travail. Celles qui souffrent à l’hôpital, comme c’est le contexte, et parce qu’on sait qu’il y en a d’autres. D’autres sont venus nous confier qu’ils n’allaient pas bien. Tous ceux que j’ai rencontrés ont quitté l’hôpital, car ils n’en pouvaient plus. Nous voulons militer pour montrer que le burn-out est un vrai problème de santé publique", maintient sa mère.

LIRE AUSSI "Pas loin du burn-out" : épuisées, trois médecins arrêtent leur activité et laissent 3 500 patients sur le carreau

Élisabeth et l’entourage d’Élise envisagent aussi de prendre un avocat "et d’aller plus loin". 

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